Recension Dessine-moi le mystère. Regards sur l’art sacré

Recension

Dessine-moi le mystère. Regards sur l’art sacré[1]

Louise Melançon, Sherbrooke

Quand ce livre de Marie Gratton est paru, je me rappelle avoir été en admiration au sujet du titre qu’elle avait choisi pour parler de l’art sacré. C’est en lisant l’introduction qu’on apprend que cette expression est tirée de la fameuse phrase de Saint-Exupéry, dans Le Petit Prince  : « dessine-moi un mouton ». Elle développe sa réflexion sur l’art sacré autour de cette symbolique au premier abord étonnante, du mouton caché dans une caisse. Par ailleurs, le regard attentif du personnage, sur la couverture, illustre le sous-titre, apparemment contradictoire, « Regards sur l’art sacré ».

Le socle sur lequel repose l’art sacré, selon notre autrice théologienne, tourne autour de ces deux pôles : le mystère, ce qui est caché à nos yeux, et les regards que nous portons à ce qui est, par contre, invisible. Comme dit Saint-Exupéry, « l’essentiel est invisible pour les yeux ». Et pourtant, par l’art, les religions, comme les sagesses, ont créé des représentations, ont illustré des histoires, des mythes, des textes, pour parler de l’invisible. Marie Gratton nous présente des peintures, des sculptures, des statues, des monuments, des temples, des églises, des vitraux, et même des lieux naturels qui sont des œuvres d’art produites par diverses religions ou cultures. Mais il y a aussi chez les humains une recherche d’absolu qui accompagne souvent le fait de notre condition fragile et mortelle. Aussi perçoit-on souvent dans des œuvres artistiques, sur des visages ou dans des histoires, cette dimension de l’art sacré.

Dans la présentation de ces œuvres, Marie Gratton a choisi de donner plus de place à notre tradition chrétienne. Le chapitre premier lui est consacré. Mais au cours des autres chapitres, l’art chrétien est aussi présent. Le christianisme s’est démarqué de la tradition juive, et particulièrement de l’Islam ensuite, en représentant sans retenue, pourrait-on dire, son expérience religieuse, l’objet de sa foi. Selon la foi juive, on ne pouvait représenter le visage de Dieu, et l’Islam a trouvé une manière d’exprimer leurs textes coraniques dans une calligraphie très raffinée, enjolivée d’arabesques. L’art chrétien, tel que nous le fait voir l’étude publiée par Marie Gratton, est d’une grande variété : du vitrail magnifique qu’est la Rosace Sud de la cathédrale Notre-Dame de Paris jusqu’à la sculpture de L’Ange souriant, sur le portail de la cathédrale de Reims, en passant par les fresques byzantines de scènes de l’Apocalypse, au monastère du Mont-Athos, en Grèce, et les enluminures superbes d’un texte de saint Augustin du 8e siècle.

Notre autrice, dans le chapitre premier, sollicite notre regard vers le mystère chrétien, dont le centre est ce qu’on a appelé l’incarnation, et tel que le racontent les Évangiles, et les autres écrits du Nouveau Testament, dont Paul. Les œuvres mariales abondent pour introduire à ce mystère. D’abord L’Annonciation comme l’a peinte, au 12e siècle, un maître anonyme, représentant l’ange qui apporte à Marie la nouvelle de la venue d’un enfant dans son sein, et de manière unique en peignant un Enfant Jésus minuscule envoyé par l’action de l’Esprit. Et puis, une Nativité aussi rare de la fin du 14e siècle, peinte par un artiste non reconnu qui montre Marie sur sa couche avec l’Enfant Jésus, alors que Joseph accroupi s’occupe d’un feu, et derrière le bœuf et l’âne accompagnés, semble-t-il, d’un berger. Malgré ses maladresses, ce tableau est apparu à l’autrice « avec un charme irrésistible ». Enfin, pour la Résurrection de Jésus, Marie Gratton présente un retable d’autel, peint à Prague, au XIVe siècle ; elle écrit que « les artistes… n’ont pas hésitéà l’illustrer » alors que « les évangélistes ont renoncéà nous raconter la résurrection de Jésus » (p.41). C’est une remarque fort pertinente qui montre que l’art chrétien qui s’est développé au cours des siècles sous une grande variété d’influences ne répond pas toujours au sens caché du mystère. Le chapitre se termine avec le Christ en majesté, entouré des symboles attribués aux quatre évangélistes, qu’on trouve sur le portail de Notre-Dame-de-Chartres. Mais d’autres œuvres représentant le mystère chrétien ont été mises dans d’autres chapitres : entre autres, une scène de la Crucifixion de Jésus, dans une enluminure du XVe siècle, qui donne à voir « des fleurs, des anges musiciens et des couleurs vibrantes… » (p.85) ; la magnifique icône du XVe siècle qu’on trouve à Moscou, et qui, sous le titre de La Déposition, montre l’ensevelissement de Jésus ; et la très renommée Pieta de Michel-Ange qu’on trouve à la basilique de Rome.

Pour terminer cette recension, je veux revenir sur les œuvres mariales que nous offre Marie Gratton dans ce livre. Elle a su choisir des œuvres qui ne font pas partie des illustrations les plus populaires d’une Vierge Marie au voile bleu comme les derniers siècles l’ont montrée. Par ses choix, elle l’a présentée dans des scènes au caractère très incarné dans une époque précise. Pour la Pieta cependant, elle dit que « Marie est trop belle, trop sereine et trop jeune… » (p.76). J’ai gardé pour la fin une figure de Notre-Dame de la Miséricorde, statue venant de la Slovénie, encore au XVesiècle, la « Marie consolatrice qui “donne son cœur aux miséreux” et leur accorde sa protection maternelle sous les plis de son manteau » (p.66). On peut dire que c’est une Vierge à l’Enfant, (elle tient l’Enfant Jésus dans ses bras) comme il en existe énormément, mais avec un caractère spécial : son manteau, de couleur vert pâle, est étendu par des anges pour couvrir, à la manière d’une tente, une assemblée d’êtres humains ; au-dessus de sa tête, une couronne d’or tenue par des anges, et elle est blonde… Ce n’est pas seulement la mère de Jésus, comme les évangiles en parlent, mais la représentation de ce que l’Église a retenu, surtout à partir du XIXe siècle, la Vierge Mère de l’humanité sauvée, Marie, Reine du ciel et de la terre.

Dans ce livre, notre autrice n’en fait pas mention, mais dans un article antérieur[2] où elle fait une réflexion critique sur les dogmes mariaux établis par l’Église, elle promeut Marie, femme juive, femme de foi exemplaire qui a donné naissance à Jésus, et a su reconnaître sa mission. Alors que les traditions chrétiennes ont, au cours des siècles, enveloppé Marie dans des formes mythologiques pour en faire la Femme déifiée, aujourd’hui, bien des études en histoire et en exégèse nous la restituent de manière plus réaliste, et plus proche de nous.

[1]Marie GRATTON. Dessine-moi le mystère. Regards sur l’art sacré, Montréal, Fides, 2002.

[2] Marie GRATTON. « Marie ou l’utopie faite femme », L’autre Parole, numéro 153, automne 2020, p. 16-37.