RÉFLEXION SUR LE MYSTÈRE EUCHARISTIQUE

RÉFLEXION SUR LE MYSTÈRE EUCHARISTIQUE

Yvette Laprise, Phoebe

 Si nous avons connu le Christ à la manière humaine, maintenant nous ne le connaissons plus ainsi .       ( 2e lettre aux Cor. 5 , 1-21)

Cette citation de l’apôtre Paul, recueillie dès l’aube du christianisme, me rejoint aujourd’hui, quelque 2000 ans plus tard, et inspire ma réflexion concernant le mystère de l’eucharistie à partir de mon cheminement personnel.

1930 : Je me revois agenouillée à la balustrade de mon église paroissiale, tenant fébrilement la nappe de communion, en attendant que le prêtre vienne déposer sur ma langue l’hostie consacrée en disant Corpus Christi.

Revenue à ma place je garde les yeux baissés, obsédée par la pensée que l’hostie consacrée ne doit pas toucher à mes dents de peur de blesser Jésus qui venait chez moi !

J’avais 7 ans. Jésus était alors pour moi un ami, un modèle. J’aspirais à être comme lui : bonne, généreuse, obéissante à la maison comme à l’école, pieuse : allant à la messe et écoutant le sermon de monsieur le curé pour le mettre en pratique en évitant de me chicaner avec les autres pour ne pas faire de peine à Jésus, mon ami.

1941 : Je me trouve, à la chapelle du noviciat de ma communauté, agenouillée devant l’hostie consacrée pour prononcer les vœux de pauvreté, chasteté, obéissance en réponse à l’appel de Jésus en quête d’apôtres pour continuer son œuvre de salut.

J’avais 18 ans. Par ma consécration à la vie religieuse, Jésus devenait mon époux. Je lui promettais fidélité en me conformant aux obligations de la Règle de Vie de la communauté. Pendant un bon moment, je demeurai plongée comme dans un vide mystérieux : Jésus était en moi,  il m’aimait et serait mon compagnon de vie pour toujours.

2006 : Je suis debout,  portant à mes lèvres l’hostie consacrée que le célébrant vient de déposer dans ma main en disant « Le Corps du Christ » auquel je réponds « Amen ».

J’ai 83 ans . Jésus, tour à tour  mon ami, mon époux est devenu mon frère. Né comme moi et comme toute l’humanité de l’unique Source de Vie , qu’il nomme son Père,  nous formons avec lui la grande famille des enfants de Dieu en marche vers la maison paternelle où nous attend l’ultime banquet de la Vie .

La Bible ne nous présente-t-elle pas Jésus comme le premier-né d’une multitude de « frères » ?

 Ce rapide parcours à travers le temps m’a invitée à prolonger ma réflexion pour pénétrer plus avant dans la profondeur de ce  mystère en me reportant à la dernière Cène.

Ce soir-là, l’émotion était à son comble au Cénacle. En Jésus,  l’humanité allait franchir un nouveau pas dans sa marche vers l’Essentiel. À quoi pensait-il alors ? Qu’est-ce qui l’habitait pendant qu’il tenait la miche de pain dans ses mains ? Avant de la partager, promenant son regard sur chacun de ses disciples , il leur dit :  « Bientôt vous me chercherez et  vous ne me trouverez pas parce que vous me chercherez  au-dehors pendant que je serai au-dedans de vous,  ainsi que dans toute la création. Quand vous aurez  fait le passage de l’extériorité à l’intériorité,  vous comprendrez que tout ce que vous faites au plus petit d’entre les miens c’est à MOI que vous le faites. En vous aimant les uns les autres, comme je vous ai aimés, on vous reconnaîtra pour mes disciples et adviendra l’humanité nouvelle ».

Maintenant que Jésus s’est dérobé à leurs sens, les disciples se demandent ce qu’ils vont devenir. Désorientés, ils se réfugient dans le silence et c’est dans ce vide intérieur qu’ils retrouveront le Maître resplendissant de lumière qui leur parlera non plus en paraboles mais au cœur.

C’était en ce temps là. Mais aujourd’hui, en 2006, qu’est devenu le message eucharistique ? Quel signe de son influence peut-on lire dans notre monde matérialiste, tourmenté, insatiable, où dominent la violence et la peur ? La pollution de la planète n’est-elle pas le reflet de nos pollutions  intérieures d’individus inconscients de leur dignité et de leur origine divine ?

À l’heure actuelle, toute la création est en attente de ré-unification : devenir un seul peuple, une seule famille. Pour que cela advienne, l’eucharistie devra être l’actualisation d’une Présence, la présence du Christ le laissant  se révéler à travers nous, dans le quotidien de nos vies, au cœur de nos défis.

Cette approche nous renvoie à l’histoire d’un amour qui existait bien avant que tout rejet soit possible : amour premier et éternel d’un Dieu qui est à la fois Père et Mère, source de Vie, de toute Vie, de tout amour.

Révéler cet amour inépuisable, illimité, maternel et paternel de Dieu le Vivant, ce Dieu d’amour qui veut toujours nous accueillir dans sa maison et nous montrer le chemin qui y conduit fut l’unique passion de Jésus durant sa vie terrestre et l’eucharistie en est le symbole vivant.