RÉFLEXIONS SUR LES MINISTÈRES DES FEMMES DANS LES ÉGLISES ORTHODOXES

RÉFLEXIONS SUR LES MINISTÈRES DES FEMMES DANS LES ÉGLISES ORTHODOXES

Monique Dumais – Rimouski

Une théologienne orthodoxe de grande expérience, Elisabeth Behr-Sigel, nous présente dans son ouvrage, Le ministère de la femme dans l’Église, Paris, Cerf, 1987, des éléments de questionnement et de propositions au sujet des ministères des femmes dans les Églises orthodoxes. Je m’attacherai surtout à faire connaître ses prises de position sur cette question.

Dans son livre, elle aborde plusieurs aspects qui ont trait à la condition des femmes, tels que l’altérité homme-femme dans le contexte d’une civilisation chrétienne (chap. 1), la femme comme image de Dieu (chap. 2), Marie, mère de Dieu (chap. 6) ; mais c’est surtout au chap. 4 : « La femme dans l’Église orthodoxe. Vision céleste et histoire », et au chap. 5 : « La place de la femme dans l’Église » que sont soulevées les questions sur le diaconat et le sacerdoce féminin.

Dans la préface signée du 15 juillet 1987, le métropolite de Souroge, Antoine, indique : « La question de l’ordination des femmes au sacerdoce ne fait qu’être posée. Pour nous, orthodoxes, elle nous vient du « dehors ». Elle doit nous devenir « intérieure » (p. 11). L’auteure, pour sa part, signale que le moment important, c’est la Consultation des femmes orthodoxes, organisée conjointement par le Conseil œcuménique des Églises et les Églises orthodoxes membres de ce Conseil, en septembre 1976, au monastère d’Agapia en Roumanie. Retraçons quelques aspects importants de la pensée orthodoxe au sujet des femmes.

L’Esprit-Saint et la féminité

Le théologien orthodoxe, Paul Evdokimov, a parlé du mystère de la femme, il voyait dans la Personne du Saint-Esprit, une maternité hypostatique, se prolongeant dans la maternité virginale de Marie, Théotokos, préfigurant de toute éternité la vocation de toute femme à la maternité spirituelle (cf. La femme et le Salut du monde, réédité, Paris, Desclée de Brouwer, 1978). Elisabeth Behr-Sigel rappelle également que l’Esprit-Saint est « l’archétype divin d’une féminité définie comme dynamisme de vie et de sanctification, comme maternité hypostatique » (p. 53). Elle présente quelques références intéressantes :

Un évangile apocryphe, L’Évangile des Hébreux, fait dire au Christ : « Ma mère, l’Esprit-Saint ». Dans la Didascalie des Apôtres, écrit d’origine syrienne de la fin du Ille siècle, on trouve cette recommandation qui atteste d’ailleurs l’existence d’un ministère fé34 minin : « Honore le diacre à la place du Christ, honore la diaconesse à la place du Saint-Esprit. » (p. 56).

La conception de la Tradition chez les orthodoxes

Elisabeth Behr-Sigel insiste pour affirmer que les orthodoxes ne voient pas dans la Tradition « une collection d’expériences et d’espérances qui appartiennent au passé ». La Tradition, c’est « la vie même de l’Église en sa continuité comme en sa nouveauté toujours jaillissante. Toutes deux, continuité et nouveauté créatives, sont, en elle, l’oeuvre du Saint-Esprit. » (p. 100). Conséquemment, elle n’accepte pas « une certaine forme de critique, une condamnation globale, unilatérale, de l’Église historique » (p. 102), même si elle n’en ignore pas les imperfections et les péchés. Elle préfère parler du « mouvement féminin » (p. 115) plutôt que féministe, craignant un féminisme agressif à l’occidentale.

Cependant, elle n’est pas sans constater que les femmes sont encore exclues des consultations sur des sujets qui les concernent au plus haut point tels que la contraception et l’avortement. Elle pose aussi des questions fort pertinentes : « De quelle Tradition s’agit-il dans l’Église ? (…) Et quelle nature ? » (p. 113). Au sujet des différences et d’une spécificité des femmes, elle affirme : « On la voue au foyer et à la maternité. Mais n’est-ce pas jeter la poudre des mots sur le vide de beaucoup d’existences féminines dans les conditions de la vie moderne ? » (p.116).

Même si elle a une structure hiérarchique, l’Église n’est pas ressentie, selon Elisabeth Behr-Sigel, « comme une pyramide de pouvoirs mais comme une communion de prière et d’amour » (p. 130). Ainsi, l’utopie que l’auteure propose, ce n’est pas de « réformer l’Église, mais (de) rendre nos communautés chrétiennes plus conformes à leur principe spirituel, révélatrices de ce que l’Église est dans ses profondeurs cachées. » (p. 142).

Diaconat et ordination des femmes

Le diaconat des femmes a déjà existé dans les premiers siècles de l’Église (cf. La Didascalie des Apôtres déjà cité, le canon 19 du Concile de Nicée (325) qui mentionne l’ordination des diaconesses par imposition des mains, la présence de diaconesses à Byzance). Les diaconesses étaient généralement choisies parmi les vierges et les veuves, seulement quelques-unes étaient mariées. Les diaconesses ne pouvaient plus se marier après avoir reçu l’ordination ou la consécration diaconale. « À partir du IX-Xe siècle le diaconat féminin dégénère en fonction presque uniquement honorifique » (p. 154).

Elisabeth Behr-Sigel propose un diaconat ouvert aux femmes, sous la guidance de l’Esprit, elle le souhaite comme « un ministère original » (p. 155, cf. p.233).

L’ordination des femmes à la prêtrise est un sujet de réflexion qui se poursuit pour Elisabeth Behr-Sigel. Elle partage l’avis de la résolution finale d’Agapia en 1976 :

Le problème de l’ordination de femmes au sacerdoce, dit cette résolution, a été considéré comme ne se posant pas pour les femmes orthodoxes (un premier texte disait « comme ne se posant pas actuellement » …). Cependant, on recommande que ce problème soit étudié à la lumière de la Tradition orthodoxe en vue d’un énoncé plus clair de la position orthodoxe dans le dialogue oecuménique, (p. 146).

Toutefois, elle regrette qu’il n’y ait pas eu un second Agapia.

La théologienne orthodoxe insiste sur le sens de la continuité de la vie de l’Église comme une des caractéristiques de la mentalité orthodoxe. Une continuité qui ne doit pas être sclérosée ni sclérosante, si l’on tient compte de sa conception de la Tradition. Elle écrit que « les arguments opposés au sacerdoce féminin ne sont pas tous d’égale valeur et que certains apparaissent faibles, voire opposés à l’esprit évangélique » (p. 149).

Sa déclaration la plus importante me semble celle-ci :

Que le sacerdoce féminin n’ait jamais existé jusqu’ici dans l’Église orthodoxe est un fait historique. Peut-on déduire d’un fait une règle immuable ? En tant qu’institution terrestre, l’Église n’est pas totalement étrangère à l’histoire et aux cultures. Ce qui était impensable

dans les conditions culturelles d’une époque donnée peut devenir une exigence morale et spirituelle pour le chrétien dont la conscience a acquis plus de maturité, (p. 150).

Son texte manifeste l’évolution de sa pensée : « La masculinité, certes, ne fait pas le prêtre. Mais elle apparaît comme un signe convenable pour désigner l’Époux de l’Église » (p. 152). Et plus loin, « J’ai longtemps pensé que la masculinité du prêtre se justifiait par sa fonction, en quelque sorte iconique, dans la liturgie eucharistique. J’en suis moins convaincue aujourd’hui. » (pp. 185-186).