SONDAGE RESSAC DU LANGAGE INCLUSIF CHEZ LES 18-30 ANS

SONDAGE RESSAC DU LANGAGE INCLUSIF CHEZ LES 18-30 ANS

LÉONA DESCHAMPS, FRANGINE DUMAIS, RACHEL ST-PIERRE, HOULDA

Betty Friedan, l’une des prêtresses américaines du féminisme, déclarait que « c’est seulement arrivées à la trentaine que les filles commencent à comprendre ce mouvement.  »2

Et Jacqueline Fidman affirmait en 1980 que « De toutes les armes qui servent à dominer les femmes, la plus subtile, la plus pernicieuse est sans doute le langage.  »3

Considérant que le dossier de ce numéro porte sur le langage inclusif, il nous est apparu intéressant de contacter les jeunes femmes de 18-30 ans, afin de les sensibiliser à ce type de domination et à susciter ou promouvoir leur engagement féministe.

Plus précisément, nous voulions connaître le comportement de la vague du langage inclusif ou non sexiste chez les jeunes femmes de 18-30 ans du Bas-Saint- Laurent.

Un sondage fut donc réalisé ; il comportait deux objectifs. Dans un premier temps, nous voulions savoir l’importance de la visibilité des femmes dans le langage des jeunes et dans un second moment, les initier à l’action féministe au niveau de l’écriture.

Des cent feuilles distribuées, nous avons compilé quarante-deux retours dont vingt-neuf avec commentaires (10 présentant un texte de 6 à 15 lignes).

Nous publions ce sondage avec la compilation des réponses permettant ainsi à nos lectrices et lecteurs de voir dans un premier regard les ressacs de la vague du langage non sexiste se heurtant sans cesse à l’expression androcentrique traditionnelle où le masculin prévaut toujours sur le féminin.

Langage inclusif — Féminisation des textes — Langage non sexiste

Mini-sondage aux femmes de 18 à 30 ans

1. De façon générale, tu juges nécessaire l’emploi du langage inclusif :

a) en l’employant oui 24.59 % non 3 7 % à l’occasion 14 3 4 %

b) en l’exigeant oui 9 22 % non 7 17 % à l’occasion 25 61 %

 

2. Tu réclames l’emploi de la féminisation des textes parce que tu crois :

a) que le changement des mentalités passe par l’emploi d’un langage non sexiste :

             1 2 3              4 5

34 %    (3 4 7)             (18 9) 66 %

b) que l’emploi du langage inclusif facilite la place des femmes :

               1 2 3             4 5

42 %      (3 4 10)         (11 13) 58 %

c) que c’est un moyen de revendiquer l’égalité des chances entre hommes et femmes dans la société et l’Église :

              1 2 3               4 5

34 %     (3 7 4)             (10 17)66 %

3. Depuis 1985, tu remarques l’emploi du langage non sexiste dans divers milieux. Évalue la fréquence de cet emploi.

a) Écoles : Occasionnellement 15_37 % Régulièrement 26_ 6 3 %

b) Rue : 35 85 % 6 15 %

c) Médias : 20_49 % 21_51 %

d) Église : 32.78 % 9_22 %

4. Tu souhaites que la Bible, les missels, tes Prions en Église soient édités en langage inclusif. Tu sollicites cette réalisation :

a) en invitant le prêtre de ta paroisse à employer le langage non sexiste quand i célèbre l’eucharistie : oui 20 4 9 % non 21 51  %

b) en écrivant une lettre à la maison d’édition Novalis : oui 12 30 % non 29 70  %

c) en participant à des comités de réécriture de textes bibliques selon les principes de féminisation des textes : oui 10 24 % non 11 76 %

5. Au verso de ce mini-sondage, commente brièvement ta position sur l’emploi du langage non sexiste. 29 commentaires (71 %) dont 10 (24 %) de 5 lignes et plus

P.S. : 42 retours dont l’un sans réponse mais avec le commentaire d’une féministe en colère.

Dynamisme de la vague

Selon les réponses reçues, 59 % des répondantes emploient régulièrement le langage inclusif et 34 %, à l’occasion. Quant à l’exiger, 22 % le font toujours et 61 % à l’occasion. Ceci est compréhensible car exiger demande plus de conviction, d’audace et comporte toujours certains risques, affectant le plan relationnel.

Quelques jeunes femmes ont commenté leurs réponses. Pour elles :

. Le langage inclusif est l’antidote au mépris.

. L’emploi du langage non sexiste fait partie de mes valeurs.

. Je crois qu’il est nécessaire d’utiliser un tel langage pour que les femmes puissent enfin prendre leur place dans la société et dans les écritures.

. Lorsque ce n’est pas féminisé, je me sens exclue et cela ne me concerne pas.

Des répondantes (66 %) croient que le changement des mentalités passe par l’emploi d’un langage non sexiste, et y voient un autre moyen de revendiquer l’égalité des chances entre les hommes et les femmes dans la société et dans l’Église.

Puis, 58 % admettent que c’est un élément facilitant la place des femmes.

Certaines répondantes appuient leur foi en la valeur de l’emploi du langage non sexiste comme suit :

. La féminisation des textes rend les gens plus sensibles et plus attentifs à l’utilisation d’une langue qui tient compte de la place des femmes dans la société d’aujourd’hui.

. L’utilisation du genre féminin dans le langage courant ainsi que dans la langue écrite facilite mon identification et mon intégration à la société nord-américaine de cette fin de siècle, encore trop patriarcale, mais qui fait de plus en plus de place aux femmes.

. Je crois que c’est en employant un langage inclusif ou du moins en incitant la population à le faire que les mentalités évolueront. Nous les femmes, visibles dans la langue, nous aurons pris la place qui nous revient.

. Je trouve l’utilisation du langage non sexiste très important puisqu’il est nécessaire pour faire cesser les rapports qui sont inégaux entre hommes et femmes.

. L’emploi du langage non sexiste redonne une place et une visibilité aux femmes.

Nos enfants (nos filles) pourront s’identifier, se reconnaître en juste équité ; le langage non sexiste brise la suprématie des hommes.

. Nous avons droit à notre reconnaissance entière et ce jusque dans l’écriture.

. Nous représentons une partie de l’humanité et nous devons faire transparaître celle-ci en paroles, en gestes et dans l’écrit.

. Les hommes et les garçons ont besoin de sentir notre présence et ce môme dans l’écriture.

Au niveau de l’observation de cette pratique dans le quotidien, i ressort clairement, selon les réponses compilées, que c’est à l’école qu’elle s’effectue davantage avec 63 % régulièrement et 37 % occasionnellement. Une des répondantes affirme qu’au Cégep tous les textes proposés sont féminises.

Cette pratique est aussi remarquée dans les médias avec 51 % régulièrement et 49 % à l’occasion. Les milieux qui semblent les moins impliqués sont l’Église avec 22 % et la place publique où l’on note 15 % d’emploi habituel du langage inclusif, d’où un taux de 78 % et 85 % d’exploitation occasionnelle de cette attention. A promouvoir la visibilité des femmes dans le langage.

Quelques commentaires des répondantes faisaient écho à ces affirmations :

. L’emploi du langage non sexiste a encore beaucoup à faire pour que tous et chacun l’utilisent de façon systématique.

. Pour ce qui est du langage non sexiste, je crois que la population est de plus en plus avisée (sauf l’Église).

. Pure hypocrisie : l’Église laisse le pouvoir aux hommes seulement. L’égalité, ce n’est pas juste dans les mots qu’on la veut.c’est aussi dans les comportements et le respect.

La quatrième affirmation nécessitait un engagement féministe dans le milieu ecclésial, lié par une organisation hiérarchique et une longue tradition. Cette réalité implique une grande militance de la part des féministes chrétiennes. Inviter le prêtre de sa paroisse à employer le langage non sexiste quand 1 célèbre l’eucharistie semble un engagement possible à 49 % des répondantes. Écrire une lettre à la maison d’édition Novalis n’intéresse que 30 % des répondantes (l’abonnement au Prions en Église n’est pas le fait de toutes ces jeunes femmes).

Participer à des ateliers de réécriture de textes bibliques selon les principes de la féminisation des textes n’intéresserait que 24 % des répondantes.

L’une d’elles motive ainsi son refus :

Si on féminisait les textes bibliques, la valeur historique de ces écrits serait perdue. Une autre répondante s’exprime globalement sur l’emploi du langage non sexiste :

Je suis pour. Je l’emploie quand j’écris des textes. Pourtant je ne m’implique pas dans ces ateliers.

Recul de la vague

Jeter un regard sur l’autre mouvement de la vague à travers la vision des jeunes femmes de 18-30 ans permet de saisir plus complètement leur position quant à l’emploi du langage non sexiste.

Des répondantes (7 %) avouent ne jamais employer le langage inclusif et 17 % ne voient aucunement la nécessité de l’exiger. Elles motivent ainsi leur point de vue :

. Je trouve que ça allonge le texte.

. Ce n’est pas nécessaire dans les textes de tous les jours.

. Dans mon quotidien, le langage employé me convient.

. Ne généralisons pas, c’est la liberté de chaque personne d’utiliser ou non ce langage.

. Pas une priorité dans ma vie courante.

Quant au fait que l’emploi du langage inclusif contribue au changement des mentalités ou qu’il soit un moyen de revendiquer l’égalité entre les hommes et les femmes, 34 % des répondantes l’admettent plus difficilement (cotes 1, 2, 3). Et 42 % doutent de son importance pour accroître la visibilité des femmes.

Les opinions qui suivent vont de la tolérance à l’inutilité du langage inclusif :

. Je crois qu’il est bien de vouloir, dans la mesure du possible, qu’il y ait féminisation des textes et dans le langage parlé. Cela peut certes aider à une égalité réelle entre les hommes et les femmes. Cependant, je crois qu’il ne faut pas que cela devienne excessif.

. Employer le masculin pour alléger le texte : ce n’est qu’une convention qui, à mes yeux, ne menace pas la place de la femme dans la société.

. Je crois qu’il est d’une grande nécessité d’employer un langage non sexiste. Par contre, Il me semble qu’en employant dans chaque texte ce type de langage, on risque d’alourdir les textes ce qui pourrait conduire jusqu’à une certaine confusion dans ces textes.

. L’emploi du langage non sexiste n’est pas pour moi nécessaire. Et je ne crois pas que le fait d’employer le féminin dans les textes facilite l’accession à une meilleure place ou vision des femmes.

. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de se fâcher, de partir « sur ses grands chevaux » pour revendiquer l’égalité de l’homme et de la femme.

Au niveau de la quatrième affirmation suscitant un plus grand engagement, il ressort que 51 % des répondantes avouent ne pas inviter le prêtre de leur paroisse à employer le langage non sexiste quand i célèbre l’eucharistie. Ensuite 70 % déclarent ne pas être prêtes à écrire à la maison d’édition Novalis et 76 % ne semblent pas intéressées à participer à la réécriture de textes bibliques en langage inclusif.

Elles accompagnent leurs réponses de commentaires fort énergiques :

. L’Église n’accorde plus beaucoup d’importance aux jeunes d’aujourd’hui.

. Si on féminisait les textes bibliques, la valeur historique de ces écrits serait perdue.

. I ne faut pas « paniquer » avec la féminisation des textes parce que dans certains cas, c’est le féminin qui est utilisé.

. Je crois que ce sondage est un peu trop exagéré. Le féminisme est poussé à l’extrême. Pour les rares fois où j’ai posé les yeux sur la Bible, lorsque je voyais le mot Homme, j’incluais aussi les femmes. On se sent dans la société, même si tous les textes ne sont pas réécrits avec des « e » à la fin de tous les mots. I ne faut pas se chercher des troubles où il n’y en a pas, quand même !

. Je suis une féministe de la vie mais contre le changement des écrits déjà faits.

Vers la houle du langage inclusif

Comme leurs devancières, les jeunes femmes se heurtent au roc du langage androcentrique. Et leur vie quotidienne dans un contexte socio-économique difficile accroît leur sentiment d’impuissance, multiplie leurs frustrations et leurs souffrances. Ces réalités commandent la militance et la solidarité des femmes. L’une d’elles formule un souhait qui dénote une urgence au niveau de l’implication :

Ce projet doit venir de tous et chacun et dès maintenant. Bonne chance à vous !

Elle convie notre « sororité ». Cet appel à se montrer, à s’exprimer, à se rendre visibles ensemble pour revendiquer notre juste place dans l’écrit questionne notre sororité. Mais elle interpelle aussi les hommes et c’est une requête aussi intéressante. Les féministes de l’avenir pourraient être des hommes aussi bien que des femmes.

S’adressant aux femmes, Lise Payette disait :

Des féministes, il y en a eu et il y en aura de toutes sortes. Des douces, des craintives, des prudentes, des intraitables… l’éventail est complet. Mais je n’ai jamais rencontré une seule femme qui ne le soit pas un peu, beaucoup, passionnément, môme si parfois elle hésite à prononcer le mot, tellement elle a peur des représailles.4

À notre avis, les quarante-deux répondantes étaient un peu, beaucoup, passionnément féministes si l’on reconsidère les réponses et les commentaires. Les cinquante-huit qui ont accepté de recevoir le sondage ont été interpellées. Leur intérêt pour un tel sondage témoigne d’une certaine vitalité féministe. Maintenant aidons-les à voir qu’affirmer sa présence, exprimer ses besoins et ses aspirations est un agir qui relève d’une reconnaissance de sa dignité humaine et non d’une situation de frustrations. Elles sauront alors traduire cette aspiration et en exiger le respect dans la vie comme dans les écrits parvenant ainsi, à l’usage, à polir le rocher du langage androcentrique par une houle aux multiples ondulations langagières non sexistes.

1 Printemps 1996, L’autre Papote, Rimouski

2 DAGOUAT, Maryène. – « Kate Millet est vivante, elle habite Manhattan », dans L’Express, 23 nov. 1990

3 Le jeu du dictionnaire, Montréal, L’Etincelle, 1980.

4 Lise Fayette, – Le XXIe siècle sera celui des femmes et des enfants », dans Châtelaine, juin 1991.