SORTIR DU PARADOXE DE LA PARESSE
Marie-Andrée Roy, Vasth
Maudite grosse paresseuse ! Espèce de flanc mou, pâte molle ! Les quolibets ne manquent pas pour qualifier les paresseuses, les paresseux. Ce péché, dit capital, m’intrigue et m’interpelle.Ma réflexion se fera en deux temps.
D’abord, quelques éléments de déconstruction de la notion de paresse, telle qu’elle s’est forgée dans ma jeunesse et avec laquelle je me débats toujours, puis, quelques fragments pour pister des manifestations actuelles de la paresse à l’endroit desquelles il me semble souhaitable d’avoir une certaine « vigilance critique ».
Éléments de déconstruction
Dans ma famille on a l’habitude de dire que « le travail ne tue pas ».
Ce qui est suspect chez nous, ce sont les vacances qui se prolongent plus d’une semaine, la farniente des longues fins de semaine, le temps pour soi consacré aux loisirs, et aux activités non productives, bref, tout ce qui peut être associé à de la paresse, la mère de tous les vices (orgueil, avarice, envie, impureté, colère, gourmandise…) !
J’ai, dans une certaine mesure, intégré cette lecture dans ma vie quotidienne, en même temps, celle-ci me questionne sérieusement. Que signifie cette addiction pour le travail et cette méfiance vis-à-vis du plaisir du temps libre ? Thomas d’Aquin lui-même considérait que les temps de quiétude sont porteurs d’occasions de méditation et d’approfondissement de la foi. En fait, les temps de silence, les temps libres de tout agenda ne sont-ils pas nécessaires pour se retrouver soi-même, prier, se construire spirituellement ? D’où vient cette frénésie pour les agendas surchargés ?
La paresse est un péché paradoxal. Tous les autres péchés capitaux constituent une faute pour quelque chose que l’on fait : trop de sexe, trop de bouffe, trop de désirs, etc. ! La paresse constitue un péché pour quelque chose qu’on ne fait pas. En fait, il me semble que la notion de paresse a des accointances avec les développements du capitalisme moderne : il fallait parvenir à dresser des femmes et des hommes pour qu’elles et ils respectent des horaires, des temps de travail fixes, des cadences, la régularité de la production, des règles d’organisation, des hiérarchies, bref, pour qu’elles et ils deviennent des travailleuses et des travailleurs productifs et rentables pour l’industrie. Celui ou celle qui ne se conformait pas à cette nouvelle normativité était taxé de paresseuse, de flanc mou, etc.
Qui plus est, avec l’extension actuelle du temps de travail, du travail à domicile, du travail dit autonome, ne risque-t-on pas de taxer de paresseuses, paresseux celles et ceux qui ne réussissent pas à se conformer à ces nouvelles normes de performance, de productivité ?
Manifestations actuelles
Est-ce à dire que le péché de paresse n’a plus sa raison d’être ? Je discerne deux pistes d’affirmation actuelle de la paresse pécheresse ! Je pense à la paresse intellectuelle et à la paresse militante.
La paresse intellectuelle. Je suis convaincue que, pour jouer pleinement notre rôle de baptisées, d’icônes de l’espérance, il faut se donner des moyens pour connaître, comprendre, critiquer le monde actuel et développer des outils de changement. Or, la complexité de l’économie, des savoirs sur l’environnement, des débats politiques, des règles du droit, font qu’on se sent souvent impuissantes pour cerner les enjeux qui concernent le devenir de l’humanité. Qu’en est-il réellement des tractations qui entourent les gaz de schistes ? Comment interpréter les décisions politiques d’un Charest ou d’un Harper ? Que faut-il faire face à la souffrance d’Haïti ? La tentation est forte de renoncer à savoir, à comprendre, à débusquer le scandale. Par cynisme, par lassitude ou simple paresse, on abandonne notre rôle de combattantes pour la liberté, la justice. Je réalise plus que jamais que la vigilance intellectuelle, la lucidité, la rigueur et la persévérance sont nécessaires pour débusquer les idoles et les mensonges et proposer des pistes de changement et des voies d’affirmation de la justice. Ce n’est pas de tout repos ! Mais n’est-ce pas le prix de l’espérance chrétienne ?
La paresse militante. L’effort de lucidité doit s’accompagner d’un engagement de tous les instants sur le terrain. Tout un défi ! Les militances n’ont pas bonne presse par les temps qui courent ; elles sont souvent taxées de dépassées. Comme féministes, nous avons sans doute à secouer nos torpeurs pour redire haut et fort que la subordination des femmes, dans la société comme dans l’Église, constitue une violation de notre humanité. La redécouverte des plaisirs de la solidarité constitue sans doute un puissant antidote pour contrer la paresse militante.