À PROPOS D’ACÉDIE ET DES FEMMES

À PROPOS D’ACÉDIE ET DES FEMMES

Monique Hamelin, Vasthi

Si la définition d’acédie n’est plus dans les dictionnaires contemporains (entre autres Le Petit Robert), elle reste accessible sur Internet dans l’Encyclopédie Wikipédia. Marie-Josée Riendeau nous présente dans ce numéro un bref historique du 7e péché capital : la paresse. Elle rappelle le sens d’acédie, comment il s’appliquait aux moines et comment lors de sa laïcisation, il y a eu glissement vers la paresse. Je crois qu’en chemin, nous avons perdu des nuances qui pourraient nous aider à comprendre certains comportements de femmes.

À l’aide d’un exemple tiré d’une nouvelle de Madeleine Ferron1 intitulée : La tricheuse, je vous propose une relecture de l’acédie ou de la paresse, ce « mal de l’âme » qui se référait à l’ennui, au dégoût du moine pour la prière, la pénitence, la lecture spirituelle. La maladie spirituelle qui s’ensuivait pouvait amener un repli sur soi. Une transposition contemporaine pour les femmes serait le dégoût pour les tâches domestiques répétitives sans horizon de faire autre chose. Mais est-ce de l’acédie ou de la paresse ?

La tricheuse – les principaux éléments de l’histoire

Madeleine Ferron met en scène une femme sur son lit de mort. L’action se passe en milieu rural, quelque part dans les années 1940, peut-être 1950. Une mère écrit une lettre d’adieu à son fils qu’elle aime tendrement. Elle s’excuse, mais ne regrette pas d’avoir menti à tous depuis près de 25 ans. Elle veut lui dire qu’elle a triché, mais ne souhaite pas qu’il raconte cela aux autres membres de la famille. Elle n’est pas folle ni malade. Ses jambes ne sont pas « mortes ». Cette tricherie lui a donné du temps pour réfléchir et même écrire. En voulant faire comprendre son geste, elle rappelle qu’enfant, aînée d’une nombreuse famille, quand les travaux de la ferme ou ceux requis pour assurer les soins du petit dernier de la maisonnée faisaient qu’elle n’en pouvait plus, elle simulait un évanouissement et cela lui permettait de passer une journée au lit à se reposer. Elle écoutait avec plaisir les bruits de la maisonnée alors qu’elle n’avait pas à s’occuper des uns et des autres.

« Il y a 22 ans, écrit la mère, je me suis levée la dernière, exténuée comme toujours. Puis du haut de l’escalier, je te vis avec ton père, vous vous laviez les mains. Puis, j’ai aperçu Rita, ta femme, qui fut soudainement prise d’un haut-le-cœur. Je revis « la ronde des nouveaux-nés, les accouchements de Rita, ses relevailles, l’ouvrage qui s’accumule, le rythme des jours qui s’accélère, déborde de plus en plus sur les nuits. Je fus prise de panique. Je portai la main à ma gorge pour étouffer ce cri terrible que j’entendis. Il était tragique, douloureux, comme étranger à moi-même… Ce matin-là, je n’ai pas triché… Le lendemain, Rita m’apporta mon déjeuner sur un plateau recouvert d’un carré de toile empesée. Je réprimai ma joie et l’envisageai d’un regard absent. »2 « Ce même matin, je n’ai pas réagi aux demandes de ta jeune sœur et j’ai accepté que le transfert se fasse vers Rita. Je lui ai cédé la première place. »

La mère ajoute également qu’elle a préféré les enfants de son fils aux siens, car elle a eu le temps de les aimer.3 Elle fuit également la réalité trop pénible au décès de son conjoint4. Elle compte se présenter devant Dieu et lui dire tout comme à son fils : « j’ai dû tricher pour vivre. Je m’en excuse mais ne le regrette pas. »5

L’acédie ou le mal de l’âme devant la routine domestique et la paresse intellectuelle

De prime abord, on peut comprendre l’épuisement de cette femme qui a encore de jeunes enfants et un fils marié qui vit sur la ferme familiale. Elle n’a jamais de repos, les tâches quotidiennes commandent un travail incessant, pas toujours gratifiant. L’épuisement arrive. Le manque de ressources financières ne permet pas l’embauche d’une aide domestique. Puis, elle voit sa belle-fille qui est enceinte, elle n’a plus l’énergie pour poursuivre, recommencer les nuits blanches. Par ailleurs, même si la nouvelle de Ferron ne le mentionne pas, pour moi, cette tricherie pour survivre, la mère la fait aux dépens de Rita, sa belle-fille et sans doute de ses filles qui sont encore à la maison et qui devront assumer sa part du travail.

L’épuisement est compréhensible, le désir du repos n’est pas de la paresse. On voit qu’il y a un « mal de l’âme », une forme contemporaine de l’acédie décrite chez les moines. Par ailleurs, j’ai un malaise devant cette histoire, et il relève de la paresse intellectuelle de la protagoniste pour défendre un espace vital pour elle-même. Il n’est jamais facile de revendiquer du temps pour soi surtout dans les conditions décrites précédemment. Par ailleurs, la voie d’évitement choisie pour vivre, je dirais survivre, ne me semble pas une solution, car d’autres en paieront le prix. Il y a un manque de solidarité de cette femme à l’égard entre autres de sa belle-fille. Et pourtant, l’auteure lui fait dire ces mots : « Dans la vie, les hommes sont tributaires les uns des autres. Il y a donc toujours quelqu’un à maudire ou à remercier. Je te remercie. Toi qui as accepté que ta mère soit folle, tu permets sans doute qu’elle ne le soit pas. Mais, je t’en prie, ne le dis à personne. Mon témoignage serait cruel… non… les femmes refuseront d’y croire pour n’avoir pas à se juger. La vérité est intransigeante. Il faut du courage pour répondre à ses exigences. Les gens préfèrent les incertitudes, les accommodements pour s’absoudre, s’encourager, se valoriser. »6 Oui, il faut du courage pour répondre à ses exigences, mais il doit s’exprimer sans en faire payer le prix à d’autres par paresse intellectuelle.

1. Madeleine Ferron, « La tricheuse » in Le chemin des dames, Bibliothèque Québécoise, 2002, p. 55-65. Édition originale : Montréal, La Presse, 1977.
2. Idem, p. 58.
3. Idem, p. 62.
4. Idem, p. 64.
5. Idem, p. 65.
6. Idem, p. 65