SUR L’AMOUR

SUR L’AMOUR

Femmes de Houlda

C’est sur l’amour que nous avons choisi de réfléchir et non sur la charité dont la signification nous apparaissait trop liée à l’aumône. Chacune a trouvé un aspect de l’amour sur lequel elle voulait élaborer. Léona voyait l’amour comme un puzzle à réaliser. C’est pourquoi, lors de la présentation au colloque, elle a peint un paysage typique de Rimouski : une représentation de l’Île Saint-Barnabé, qui a été découpée en gros morceaux, portant au verso les qualités retenues.

Roselyne nous parle de l’attachement, de la liberté

Le plus grand amour que je connaisse est l’amour maternel.  Aimer quelqu’un sans retour, même si le retour est merveilleux. Mettre un enfant au monde puis l’élever. D’ailleurs il faut prêter à ce mot que l’on entend souvent comme un dressage (entretenir, nourrir, soigner) un autre sens : porter plus haut, éduquer (de ex ducere : conduire hors de). Porter plus haut jusqu’à l’aider à s’envoler pour notre bonheur commun et non par sacrifice.

J’aime à raconter une histoire que j’ai lue il y a bien longtemps. C’est celle d’une ancienne coutume sur les marchés turcs. Des oiseleurs installent de grandes cages remplies d’oiseaux. Chacun peut aller y acheter un oiseau, non pas pour le remettre dans sa propre cage, mais pour lui donner la liberté. C’est ainsi que l’on élève un enfant ; pour qu’il s’envole.

L’attachement qui provient de l’amour, ce n’est pas un fil à une patte, parce qu’il est important de laisser l’autre libre. Toutefois, il ne s’agit pas d’un détachement comme une absence d’émotion, peut-être même de sentiment. Attachement et liberté, c’est ainsi que je comprends l’amour.

Léona a choisi de nous faire connaître selon le charisme de sa communauté religieuse la tendresse et la sollicitude

Dans la Bible, le mot tendresse revient dix-sept fois dans les psaumes et révèle le grand amour de Dieu pour toutes ses oeuvres. Quant au mot sollicitude, on le retrouve chez Néhémie six fois et chez Job une fois, dans le but de désigner une expression louant l’intérêt soutenu de Dieu pour l’humanité. Cependant, Paul invite les fidèles de Corinthe à développer entre eux une sollicitude mutuelle (1Co 12, 25).

En ce qui me concerne, j’avoue cultiver la tendresse et la sollicitude dans ma façon de vivre surtout depuis la définition du charisme-mission de ma congrégation religieuse, les soeurs de Notre-Dame du Saint-Rosaire, en 1979, à la suite de notre fondatrice Elisabeth Turgeon ; toute une inspiration pour mon élan de pédagogue impliquée auprès des enfants du primaire de l’école publique, durant 40 ans.

Aujourd’hui, la manifestation de la tendresse et de la sollicitude continue d’être le fil d’Ariane de mon agir dans mon engagement auprès de centaines d’enfants inscrits dans les parcours catéchétiques du volet Formation à la vie chétienne. Une manifestation qui suscite une constante ouverture favorable des yeux et du coeur à l’égard premièrement de soi et de toutes les personnes avides d’amour. Des expériences d’humanité où s’entremêlent délicieusement des regards attentifs, des paroles bienveillantes, des attentions délicates, des gestes empreints de douceur, de l’entraide particulière et de la présence affectueuse selon les besoins.

À notre monde, que l’on souhaite habitable par tous les êtres humains selon la Charte mondiale des femmes pour l’humanité, s’impose l’éthique de la tendresse pour contrer les lois de la compétition et de la suffisance à tout prix.  Une sagesse favorisant l’accueil des personnes avant tout jugement, un accueil qui a tout du sourire chaleureux.

La sollicitude n’est pas oubliée.  Dans les pays anglo-saxons, s’est développée une réflexion sur l’ethics of care. Monique Dumais aborde ce sujet dans son livre Femmes et mondialisation (2009), en y révélant le rôle des femmes dans leur attention donnée à l’alimentation, l’environnement et la recherche de la paix. Ce sont des actions qui manifestent le profil de la tendresse.

En vérité, en vérité,  je vous le dis : « Tendresse et sollicitude sont plus que des expressions ardentes pour décrire l’amour, mais bel et bien une manière de vivre en surabondance dans le monde. »

Francine se retrouve dans la confiance et la vulnérabilité qu’elle nous livre dans un dialogue entre Fidélia (F) et Dubita (D)

F – Je crois que notre monde tel qu’il est, serait bien différent si la confiance en était absente.

D – Le trouves-tu si merveilleux avec toutes les guerres qui l’ont marqué ? Moi, je préfère me méfier des autres, même de ceux et de celles que l’on croit bien connaître.

– Même de moi ? Comment penses-tu progresser ou réaliser un projet quelconque si tu doutes de la bonne foi des autres ?

– Ma foi ! Ce que tu peux être naïve ! Dans la vie, si tu ne surveilles pas ce que font les autres autour de toi, tu vas te faire jouer dans le dos. Dans notre société compétitive, on peut te voler tes idées ou tes réalisations pour se les attribuer. C’est à qui aura la primeur d’une nouvelle ou sera reconnu comme le créateur d’un chef d’œuvre ou d’une invention. Tant pis pour celui ou celle qui se sera fait berner !

– Je sais ! Il y a des gens qui vivent ainsi, trompant la confiance de relations ou d’amis. Les affaires, la recherche scientifique, les soins de santé, les divers moyens de transport, entre autres, seraient paralysés ou inefficaces sans une bonne dose de cet ingrédient vital. Dis-moi alors comment pourrait aller notre monde si on ne se fiait pas aux autres ?

– Probablement mieux que par le passé ! Quant à moi, j’ai décidé d’être sur mes gardes pour ne pas me faire avoir.

– Oui, bien sûr, il y a une fragilité dans le fait de faire confiance à l’autre. Cependant cette attitude ouverte lui permet de nous révéler ses talents et ses capacités. Si je doute sans cesse de l’autre, j’empêche sa créativité ou son épanouissement.

– Ce n’est pas de l’autre dont je parle, mais des autres. Tu écoutes sans doute autant les nouvelles que moi. Que penses-tu des gens qui ont réalisé trop tard que leurs placements si rentables n’étaient que des mirages et que leurs économies de toute une vie se sont volatilisées aux mains de courtiers malhonnêtes ?

– Ah ! Ça ! On doit bien s’informer, user du gros bon sens, consulter des amis ou des experts mais il y aura toujours un risque. Mais parfois nous sommes vraiment naïfs et refusons d’écouter les avis de prudence que nous auraient lancés certaines personnes.

– Ouais ! Tout cela est bien compliqué. Ce serait tellement plus simple si l’on pouvait se fier aveuglément aux professionnels, aux autorités, aux experts de tout acabit.

– Oh ! Je ne parle pas d’une confiance aveugle. Tu connais un peu, beaucoup la nature humaine qui aime tourner les coins ronds, en rajouter un peu plus pour faire plus vrai que nécessaire. Il faut garder les deux yeux ouverts et se fier d’abord à soi-même.

– Wow ! On dirait que tu te rapproches de ma ligne de pensée qui ne croit pas à tout ce qu’on nous raconte. Pour ce qui est de se fier à soi-même, cela dépend de notre fond. Je trouve que certaines personnes auront toujours de la difficulté à savoir quand il faut faire confiance et quand il faut se méfier des belles paroles que l’on aime entendre.

– Tu le laisses sous-entendre : Quand c’est trop beau pour être vrai, ça ne peut l’être. Il faut quand même développer un esprit critique et douter modérément comme René Descartes. Ce dernier, au XVIIe siècle, a élaboré le doute méthodique pour éviter les erreurs de jugement. Mais ce doute est temporaire afin de parvenir à une première certitude. Es-tu d’accord, Dubita ?

À son tour, Marcelle nous entretient de la virginité et de la maternité.

Comment vous parler de la virginité sinon à partir de mon expérience ? Elle est pour moi, le signe d’un grand Amour qui m’a précédée et auquel j’ai répondu ; un Amour qui a décuplé mes puissances d’aimer et fait éclater les limites de mon jardin.

La maternité, même sans donner naissance à un enfant, pour moi, c’est faire surgir ou fleurir la vie, par le regard admiratif, l’estime que je porte à la personne, la reconnaissance de ses dons et de sa valeur. Être, d’une certaine manière, un miroir pour l’aider à s’apprécier elle-même. Un   regard de considération véritable peut même changer un comportement. Voici un petit exemple.  J’avais un étudiant de secondaire IV qui entrait en classe et donnait un coup de poing sur chaque pupitre en se rendant à sa place. Lui n’avait pas froid aux yeux. Un jour je lui ai dit : « Sylvain, je trouve ça beau un homme fort, mais je trouve ça encore plus beau un homme capable de tendresse. » Unique intervention !

La maternité  c’est aussi  nourrir la vie,   je le fais  par l’accueil et le toucher des personnes qui vivent avec un handicap intellectuel et parfois physique, quand elles viennent à leur rencontre mensuelle. Elles forment une grande famille où elles se sentent accueillies « intégralement ».  Elles goûtent la vie dans cette expérience de fraternité.  Il s’agit d’une Communauté de Foi et Lumière,  mouvement fondé par  Jean Vanier, pour sortir de la solitude ces personnes blessées et leurs parents.

La maternité c’est aussi faire vivre et ouvrir l’avenir  par une écoute soutenue et encourageante  jusqu’à ce que la personne, assez affermie, puisse s’engager dans un projet adapté soit celui d’aller aux études ou celui de travailler.

Il est arrivé que quelques membres de mon groupe d’Associées – associées au charisme d’Angèle Mérici – m’ont avoué que j’étais devenue pour elles, une personne libérante, inspirante et stimulante.  À ce moment-là,  j’ai éprouvé un véritable sentiment de maternité.

Monique présente la solidarité

La charité, l’amour, s’exprime pour moi dans la solidarité. Elle est d’ailleurs dans le conscient de Houlda. Pour les 30 ans de L’autre Parole, nous avions dégagé cette valeur qui est si présente dans notre collective (voir le no 112, hiver  2007).

Ici, je parlerai d’une façon plus personnelle de la solidarité.

Si je déconstruis le mot « solidarité »,  je trouve  sol- soli – solid-arité.

Le SOL, la note de musique qui débute une chanson, elle s’élève dans les airs et peut parcourir le monde. Quand j’ai commencé à enseigner à l’UQAR, c’était le premier envol qui m’a amenée à aller plus loin.

Le SOL, avoir les deux pieds sur terre, s’enraciner, sentir que nous sommes bien plantées pour croître et donner et des fleurs et des fruits. C’est avec d’autres que se fait cet enracinement.

SOLI, SOLAE, dirions-nous pour nous les femmes. Sentiment d’être seules, mais ardentes dans sa propre intimité, son propre désir de s’engager, de participer à  la vie du monde. Il ne s’agit pas seulement d’un rêve, ni d’une « inception »,  inspirée du film Origines, en français, mais de la réalité qui se révèle, la construit. Croire en soi pour avancer, savoir se faire entièrement confiance pour regarder la vie, chercher  à bâtir avec d’autres. Une force dans la solitude pousse à aller plus loin. Ne pas craindre cette solitude, elle n’est pas mortifère, mais pleine de vitalité.

SOLIDE, nous sommes solides pour nous incruster dans une construction, surtout dans un lien de rapprochement,  de mise en commun, de partage des désirs, des sentiments, des ressources. Des grands mouvements sociaux ont surgi des rencontres, de l’acceptation des risques, d’un amour du monde pour aller de l’avant sans peur et sans reproche. L’autre Parole, le mouvement des femmes, l’Association des religieuses pour la promotion des femmes sont pour moi des formes de concrétisation de la solidarité.

Il me semble qu’il faut beaucoup d’amour pour commencer à cheminer ensemble, beaucoup d’amour pour se faire confiance tout au long de la route, pour oser des aventures, beaucoup d’amour pour réaliser ensemble des oeuvres, pour fêter ensemble.

Voilà le parcours que les cinq membres du groupe de réflexion Houlda de Rimouski ont fait pour démontrer les multiples visages de l’amour dans le quotidien.