Travailler de l’intérieur, disent-elles !

Travailler de l’intérieur, disent-elles !

Monique Hamelin

Soupa et Pedotti sont deux Françaises chrétiennes et catholiques, engagées dans leur Église. Dotées d’une solide formation en théologie doctrinale, elles argumentent sur le terrain de l’institution quoique dans un langage très accessible, imagé et vivant.

Un incident les a marquées, elles ont réagi en formant le Comité de la jupe, en déposant une plainte contre le cardinal Vingt-Trois et en écrivant un livre – Les pieds dans le bénitier, et aujourd’hui, elles sont les cheffes de file de la Conférence des baptisé-e-s de la francophonie. Elles sont venues au Québec pour présenter leur livre et leur groupe et donner des conférences publiques à Montréal, Québec et Trois-Rivières afin d’établir des liens avec les baptisé-e-s francophones d’ici.

D’entrée de jeu, elles énoncent : « Nous croyons […] que la proposition chrétienne est juste, bonne, valable, crédible, aujourd’hui et dans le monde. » (p. 11) Elles ajoutent : « […] nous croyons que le christianisme change le monde et le rend plus hospitalier. […] Voilà pourquoi, nous nous engageons de toutes nos forces pour donner un avenir au christianisme. » (p. 12) Elles veulent des héritiers et des héritières pour la suite des choses. Elles regrettent que l’Église ne sache plus parler du Christ avec les mots de la vie aux jeunes générations. Si les femmes et les hommes des générations passées ont accepté des compromis, nos enfants les refusent, mais il importe que le christianisme puisse continuer. C’est là un programme stimulant.

Comme de fines stratèges féministes, elles partent de leur expérience de vie pour nous amener avec elles vers le partage de propositions pour l’avenir du christianisme. Par ailleurs, elles refusent le terrain du féminisme. Elles refusent l’étiquette. Elles ne veulent pas que leur propos soit rabaissé qu’à ça. Leur analyse politique de la situation en France leur a dicté une telle ligne de conduite à laquelle elles ne dérogent pas, en tout cas pas pour le moment. Ainsi, elles ont toujours refusé de se prononcer à propos de l’ordination de femmes prêtres. Par ailleurs, elles seraient ouvertes au diaconat pour les femmes, cela permettrait de faire un pas en avant et elles expliquent comment ce passage serait actuellement possible. Si des femmes célébraient les mariages et les baptêmes,

alors, sans doute, quelque chose changerait radicalement dans la façon qu’aurait l’Église de se comprendre elle-même dans sa richesse humaine profonde, celle d’être faite d’hommes et de femmes, tous équivalemment revêtus de la dignité de filles et de fils de Dieu. (p. 55)

La théorie des petits pas et ce qui peut être fait dans le cadre actuel de l’Église, voilà leur leitmotiv.

Leur cause est plus large maintenant que la question de la dignité des femmes. (Voir Annexes p. 239 et suivantes) Elles ne revendiquent pas, elles ne demandent pas des changements, pour elles, les baptisé-e-s réunis doivent prendre leur responsabilité pour faire l’Église d’aujourd’hui et de demain. (p. 242)

Elles sont dans l’esprit du concile Vatican II, elles prônent « le sacerdoce commun des fidèles » (p. 85) « C’est le peuple chrétien tout entier qui est un peuple sacerdotal. » (p. 92) Il est pour elles urgent de réexaminer la question de la vocation commune des baptisés. (p. 100) Exerçons nos responsabilités, regardons ce que nous pouvons faire dans le cadre actuel des choses (p. 144 et suivantes), dans le cadre de notre vocation baptismale. Trois ministères sont visés : celui de l’écoute, de la bénédiction et de l’espérance. Écouter l’autre, reconnaître sa pleine humanité et donner de l’espoir.

Qu’en est-il de ma lecture de cet ouvrage ? Je dirais que la stratégie de travailler de l’intérieur, ce n’est pas mon option. Si je me sens solidaire des femmes et des hommes baptisés qui sont pour la justice et l’égalité des hommes et des femmes et qui optent pour travailler de l’intérieur, j’ai aussi la conviction que tout le travail fait de l’intérieur sera vite récupéré par la hiérarchie en place.

Soupa et Pedotti voient entre autres l’Église française comme pré-schismatique, je ne crois pas qu’il en soit ainsi en Amérique du Nord, ni même au sein des Églises canadienne ou québécoise. Nos grandes institutions ont une capacité de résistance très forte. Oui, on peut reconnaître que les églises se vident de leurs fidèles, qu’il y a de moins en moins de prêtres en Occident, mais l’institution maintient le cap sur le passé. Elle refuse de reconnaître aux femmes les mêmes avancées que dans la société, d’accueillir les personnes divorcées, les lesbiennes et les homosexuels, le sacré est refusé aux femmes, il n’est même pas question d’en discuter. Alors, c’est à l’extérieur de cette institution que personnellement j’œuvrerai. Tant que l’institution perpétuera le péché de sexisme, c’est qu’elle ne souhaite pas nous accueillir, nous, les femmes, comme disciples égales et ce ne peut être de l’intérieur que je ferai ecclésia. Je considère que je suis toujours de l’Église, que j’ai le devoir d’une prise de paroles, je me dois d’exercer mon sacerdoce de baptisée, d’avancer dans mes réflexions et mes actions, et d’être solidaire de toutes celles et tous ceux qui lutteront pour une église de disciples égales et égaux.