UN GROUPE DE REFLEXION A RIMOUSKI

UN GROUPE DE REFLEXION A RIMOUSKI

Nous sommes un groupe de sept femmes qui ont pris goût à se rencontrer, à échanger, à mettre en commun leurs expériences, leurs idées, leurs réflexions .••

Cette cellule a pris naissance à l’automne ’78. L’une des membres du collectif de L’autre Parole Monique Dumais, souhaitait mettre sur pied un groupe de réflexion. Dans son milieu de travail,-a l’Université du Québec, elle a eu l’occasion de connaître Janine, l’une de nous sept, qui travaillait temporairement.

Janine vivement intéressée par le projet en a parlé à ses amies. Chacune de nous était déjà sensibilisée à ce groupe féministe, puisque la presse locale avait livré le compte rendu du colloque de L’autre Parole sur le thème : « le corps de la femme et l’Eglise ». Nous étions cependant motivées à en savoir davantage, et c’est ainsi, qu’au début de l’automne dernier, nous nous sommes réunies pour la première fois chez Janine. Pour nous cette rencontre en était une d’information à laquelle participait Monique Dumais. Celle-ci nous a présenté L’autre Parole : son hi torique, ses objectifs, son organisation, ses actions, ses difficultés, ses orientations, son feuillet.de liaison, etc. Déjà, nous avons compris que nous avions toutes comme femmes, le même questionnement. Il nous fallait consolider cette solidarité naissante.

Cette première réunion nous a permis d’échanger nos points de vue sur ce collectif féministe chrétien. Ses objectifs rejoignaient nos préoccupations personnelles. Chacune avait déjà identifié la discrimination et le sexisme au sein de l’Eglise. « La moitié du monde est une femme » , nous savions pertinemment qu’elle n’est pas ou peu consultée dans 1’Eglise, qu’elle ne participe d’aucune façon au niveau décisionnel, que l’Eglise exerce un contrôle certain sur le corps de la femme à cause du pouvoir de parole que la femme n’a pas dans l’Eglise, que c’est l’homme qui a la parole et qui peut orienter l’enseignement de l’Eglise dans le sens qu’il choisit. Après quelques échanges sur le rôle des femmes dans la société et dans l’Eglise, nous avons exprimé le désir de nous rencontrer à nouveau. Entre temps, nous aurions la possibilité de faire le point sur notre motivation à continuer d’être un groupe de réflexion et comment nous orienterions la démarche de notre groupe.

.    Toutes les sept nous nous connaissions, mais certaines avaient des relations d’amitié plus soutenues. Ainsi le cercle amical s’agrandissait … Nous sommes toutes des femmes mariées, mais avec des expériences de vie différentes. Quatre ont des enfants, les autres pas. Quelques-unes ont vécu avant leur mariage la vie religieuse en communauté. La plupart ont été ou sont dans l’enseignement ; l’une est infirmière, une autre est créateur artisan. Nous nous rejoignons toutes sur un terrain commun : nous sommes des femmes chrétiennes et nous avons le désir que L’autre parole se fasse entendre, la parole des femmes, que la société et l’Eglise tiennent compte de nos compétences et de nos expériences.

Et nous nous sommes retrouvées le 15 mars 1979 chez Sophie, deux du groupe étaient absentes pour des raisons majeures. La rencontre très animée, avec une structure très souple, a porté sur nos réactions de femmes chrétiennes face l’hypothèse énoncée à la page 26 de la politique globale du Conseil du Statut de la Femme, Pour les Québécoises : Egalité et indépendance, à savoir :

« les conflits dans les rapports entre les sexes proviennent de la division du travail fondée sur le sexe »

Nous avons entamé la discussion en posant trois questions. Je livre ici le fruit de nos réflexions, réactions et suggestions telles qu’elles ont été exprimées.

1ère question : « Quelle est votre réaction ou votre position personnelle devant cette affirmation centrale du rapport sur la condition féminine ? »

« Il faut conscientiser les femmes au sujet de l’éducation à donner à leurs enfants : il ne faut pas qu’elles habituent la petite fille à être au service des garçons, il faut qu’elles habituent les garçons à remplir les tâches familiales. »

« Il faut conscientiser les professeurs par rapport à une situation observable à l’école. En Secondaire V, beaucoup de jeunes étudiantes sont convaincues qu’il n’est pas nécessaire de poursuivre de longues études, que le marché du travail pour elles ne sera que temporaire et qu’elles le délaisseront définitivement pour se marier, avoir et éduquer leurs enfants. Les professeurs doivent être éveilles à une éducation plus réaliste et objective à dispenser aux filles : le pourquoi de la continuation de leurs études et le besoin qu’elles auront de se faire une place sur le marché du travail et dans la société. »

« Au sein de la famille, il ne faut plus définir les rôles à partir des sexes, mais plutôt les définir par le goût personnel, l’intérêt, les besoins, la gratuité, les aptitudes, la disponibilité, etc. Qu’il y ait équilibre et partage. « 

« Bien souvent, la femme mariée est admirée si elle reste au foyer, mais elle l’est moins si elle s’en va sur le marché du travail. »

« Très fréquemment, lorsque des femmes posent leur candidature à un poste de direction, le jury de sélection s’acharne plus à prouver l’incompétence des femmes que la compétence des hommes. C’est aberrant de voir ce qui se passe dans ces situations. »

« Que le travail accompli à la maison par la « femme au foyer » soit reconnu comme travail. »

2e question : « En quoi cette analyse de la condition des femmes rejoint-elle votre conscience chrétienne ?

« Le Christ est venu libérer l’Homme de l’esclavage : l’Homme, c’est toute l’humanité, c’est l’homme et la femme. »

« Le christianisme donne un sens à ma conception sur la condition féminine, plus de dignité, plus d’humanisme. »

« Le Christ était aussi humain, il a passé sa vie avec des hommes et des femmes. La présence des femmes est très sentie auprès de Lui, il a écouté leurs paroles. Ceux qui l’ont suivi à travers les siècles, ont­ils mal traduit ou défiguré son message ? »

« L’Eglise continue son évolution en se servant des mêmes vieux stéréotypes, comme celui qui dit : « La femme est un objet de péché, de séduction et de damnation. » Que penser des interdits sexuels ? N’oublions-pas que c’est au XIIe siècle que les prêtres ont été canoniquement interdits de se marier. »

« Le Christ a dit : « Aimez-vous les uns les autres. » Comme chrétienne, je pense que l’on retrouve cet impératif dans le rapport sur la politique d’ensemble du Conseil du Statut de la Femme. »

« Le fait d’être chrétienne, ce n’est pas un chapeau qui s’ajoute à ma personnalité. Je suis une femme chrétienne bien intégrée, c’est là toute mon identité, et c’est en tant que femme chrétienne que je vis toutes les situations. »

3e question : « Selon la réponse que vous donnez aux questions précédentes, quelles conséquences voyez­vous pour l’Eglise comme agent de socialisation et source d’influence sur les mentalités ? »

« Il faudrait que l’Eglise commence à  se conscientiser elle-même sur la valeur de l’humanité, soit celle de l’homme et de la femme, et elle aura une meilleure influence sur la société. »

« Certains prêtres et évêques sont assez ouverts, mais d’autres, par leur enseignement, ne font que contribuer à  l’élargissement du fossé entre les hommes et les femmes, entre les sexes et à maintenir les conflits dans leurs rapports. »

« Si l’Eglise change, respecte l’égalité entre les hommes et les femmes, nous aurons aussi une chance de changer, de nous regarder autrement, de nous considérer comme des égaux et de nous respecter. »

–    « 11 faut prendre conscience que les structures de l’Eglise institutionnelle ne sont pas faciles à faire bouger ou à changer. »

– « Il faudrait que l’Eglise retrouve le sens du message du Christ : il est venu libérer l’humanité. Le Christ a dit, entre autres paroles : « Aidez-vous les uns les autres. » « Ne jugez pas les autres et vous ne serez pas jugés. »Que celui qui est sans péché lui lance la première pierre. »

« Moi en tant que femme chrétienne et membre de l’Eglise, je pense que l’Eglise ne m’aide pas dans ma libération : elle n’aide pas du tout la société à sortir de ses préjugés, à régler les conflits dans les rapports entre les sexes qui proviennent de la division du travail fondé sur le sexe. L’Eglise génère les mêmes conflits au sein de l’assemblée de ses fidèles. Elle reste attachée au texte de saint Paul : « Femmes, soyez soumises à vos maris. » L’Homme, (homme et femme) se sent donc brimé dans sa dignité. La femme ne doit pas être un « bouche-trou » dans certains diocèses où il y a pénurie de prêtres. »

Ces quelques réflexions sont le fruit de notre expérience, de notre vécu au sein d’une société qui, par ses lois, sa mentalité, ses préjugés, son racisme, ne respecte pas toujours les droits, les besoins, les aptitudes de ses deux composantes humaines, l’homme et la femme. Elles révèlent aussi la frustration, les déceptions, les interrogations de femmes profondément chrétiennes qui croient au message libérateur du Christ, mais qui vivent à l’intérieur d’une Eglise institutionnelle qui ne tient pas compte d’elles, qui est opprimante dans le sens qu’elle ne les consulte pas suffisamment et que si elles le sont, c’est en dernier lieu la hiérarchie ecclésiastique masculine qui prend les décisions, décisions qui engagent les hommes et les femmes.

Nous crayons aux objectifs de L’autre Parole : « reprendre le discours théologique en tenant compte de la femme et entreprendre des démarches pour une participation entière des femmes dans l’Eglise ». Notre groupe de réflexion est une première tentative dans ce sens.

Nous souhaitons que d’autres groupes comme le nôtre se forment. Seule, on ne peut rien changer, mais ensemble tout est possible. Possible, non pas pour détruire, mais pour améliorer et construire. Espérant que L’autre Parole se fasse entendre. il y a de l’espoir.

Rimouski

Sophie Lemieux-Guy

pour le groupe des sept.