Un tapis de femmes berbères

Un tapis de femmes berbères
Monique Dumais, Houlda
Un tapis jaune or
avec des losanges, des carrés
tissé par des femmes berbères
du Maroc, pays musulman,
est étendu dans la petite chapelle

de ma résidence.

Je suis très fière de ce tapis qui me rappelle le travail constant de ces femmes et  leur vie généreuse dans une culture différente de la mienne. Je l’ai rapporté d’un voyage effectué à l’occasion du 5e Congrès des recherches féministes dans la francophonie plurielle qui s’est tenu à Rabat, au Maroc, du 21 au 25 octobre 2008. C’était ma découverte de ce pays de l’Afrique du Nord, pays musulman, gouverné par un roi, Mohammed VI, et un parlement : « Une monarchie constitutionnelle, parlementaire, multipartite, s’apparentant donc à une démocratie moderne » (Site internet Ritimo).
Le Maroc est un pays magnifique avec de splendides paysages de montagnes, des villes impériales Fès, Meknès, Rabat, Marrakech, de merveilleux décors de mosaïque, de dentelles de pierre et de bois, des médinas et des souks à découvrir,  un artisanat très vivant (tissage de tapis, foulards, céramiques, maroquinerie, joaillerie, dinanderie, menuiserie, épices variées). Tout est à vendre en abondance dans les souks où on se doit de marchander ! J’ai résidé à Rabat dans le Ryad Alia un de ces petits hôtels privés, hauts en couleurs, construits autour d’un jardin souvent minuscule.
Cependant, au Maroc, parmi toute cette beauté, se cachent « des problèmes à tous les niveaux : analphabétisme, manque d’infrastructures, chômage massif, pas d’accès facile à l’eau, aux soins, corruption, bidonvilles ». (Site internet Ritimo)
Et l’islam est présent partout, au moins très audible avec le muezzin qui appelle à la prière cinq fois par jour. Dès le lever du jour, retentit du minaret l’appel  à la prière, qui nous réveille à coup sûr.
Parlons maintenant de ce congrès international bien rempli auquel ont participé près de 150 femmes et quelques hommes :  Participation venue de l’Afrique subsaharienne, du Maghreb, des Amériques dont une quarantaine du Québec, de l’Europe.
Le thème  choisi était Le féminisme face aux défis du multiculturalisme. « Chez certains/nes, le féminisme et le multiculturalisme sont considérés d’emblée comme des concepts opposés. Cette opposition fait largement l’objet de débats entre chercheurs/res, féministes, militants/tes du Sud et du Nord.  Depuis plus d’une décennie, ces débats gagnent les espaces politiques et deviennent par conséquent des débats publics qui opposent les partisans de l’universalité où le principe de l’égalité, mis en avant, ne peut composer avec la spécificité culturelle, fondée sur la complémentarité des rôles sociaux.  Pour d’autres, ces deux concepts ne sont pas antinomiques, le principe de l’égalité n’exclut pas le respect de l’identité culturelle » (Note de présentation envoyée par les organisatrices.)
Il est important de tenir compte que les critiques du multiculturalisme sont fondées sur le fait que le respect de certaines valeurs culturelles n’améliore pas la condition des femmes dans des sphères culturelles souvent patriarcales, fondées sur la discrimination des sexes dans l’espace privé et favorisant l’exclusion des femmes de l’espace public.
Au Maroc, le féminisme est sans cesse confronté à l’islam. Des luttes se font pour parvenir à une véritable participation et émancipation des femmes dans la société. Le dernier coup d’éclat est le Code de la famille présenté par le roi Mohammed VI le 10 octobre 2003. Cette date est désormais considérée comme la « vraie Journée des femmes au Maroc ». Il a été adopté par le Parlement en janvier 2004.  « Mohamed VI a voulu donner un aspect démocratique à la réforme, et montrer que le code de la famille doit dorénavant relever du parlement, c’est-à-dire d’une instance ‘laïque’ qui comprend l’islamisme modéré com-me force politique intégrée ». Ce Code compte onze points nouveaux dont la répudiation de la femme qui doit se faire dans le cadre d’un tribunal, le divorce consensuel, la répartition des biens entre époux. Il semble que les nouvelles données de ce Code de la famille ne soient pas encore toutes effectives. Le droit successoral est encore à l’étude, car on sait que, selon la charia, la femme n’a droit qu’à la moitié de la part de l’héritage d’un homme ayant un degré de parenté équivalent avec le défunt.
Dans le cadre de ce congrès international de recherches féministes francophones, qui s’est tenu au Maroc, force est de constater que dans ce pays du Maghreb il existe de concert avec l’Association des femmes africaines des recherches féministes dynamiques pour la recherche et le développement (AFARD-AAWORD). Les points de vue sont variés.
Des sujets comme féminisme et islam, féminisme et laïcité, féminisme et développement ont été étudiés pendant le Congrès.  Les rapports des féminismes et des féministes à l’islam piquent au plus haut point notre intérêt, mais il est difficile de trouver une réponse unique à ce sujet, car elles sont multiples.
Citons un fait révélateur, rapporté par Abdessamad Dialmy, un sociologue marocain qui travaille depuis 30 ans sur le féminisme. La marche 2000 des femmes marocaines s’est faite autour du Plan National d’intégration de la Femme au Développement qui a suscité une grande polémique nationale.  À Rabat, la foule a clamé : « Nous sommes toutes musulmanes, et toutes nous soutenons le Plan » (p. 194).  À Casablanca, la marche s’est faite contre le Plan, avec le slogan : « Les femmes sont les sœurs  des hommes », formule qui signifie, comme l’explique Dialmy, qu’il n’y aurait « pas de conflit entre les hommes et les femmes », que l’islam aurait apporté une réponse définitive et idéale à la question des sexes.  D’où la nécessité, selon les marcheurs de Casablanca, de préserver l’islam et de lutter contre la dissolution des mœurs en rejetant le Plan » (p. 194).
Des hommes dans le souk de Fès ou de Rabat nous ont interpellées : « Où sont les hommes ? » Nous circulions six femmes ensemble. « Ils sont à la maison », avons-nous répondu.  Nous avons pu voir comment le fait que des femmes se promènent seules dérangeaient leurs habitudes.  De plus, des Marocaines se préoccupent de la place des hommes dans leurs rencontres féministes.  Deux hommes ont été appelés à lire un poème lors de l’assemblée de clôture du congrès. Par ailleurs,  Abdessamad Dialmy soutient que « le monopole féminin sur le marché scientifique des études féminines doit cesser pour impliquer le chercheur masculin.  C’est peut-être là une condition de plus grande objectivité.  Le moins de vécu reste une condition de connaissance » (4e de couverture du livre cité).
La participation des Québécoises, très forte en nombre, a permis de mettre en lumière entre le féminisme et l’interreligieux, différentes formes de pratiques et de militances, des études sur le terrain concernant la prostitution et le travail du sexe, les droits de la personne et les migrations, les discours sur les femmes mulsumanes et les pratiques d’accommodements au Québec, la rencontre entre bouddhismes et féminismes.
Ce congrès au Maroc m’a donné une nouvelle sensibilité quant à ce qui se passe en terre musulmane, tout en demeurant consciente que le débat sur l’égalité des femmes et des hommes demeure multiple : entre femmes marocaines, parmi la population du Maroc et entre les occidentales et les africaines. Il faut donc se garder d’une solution unique en maintenant sa tête et son cœur  en éveil.