UNE DÉFINITION EN PROCESSUS par rapport à l’Église catholique et par rapport au mouvement des femmes

UNE DÉFINITION EN PROCESSUS

par rapport à l’Église catholique et par rapport au mouvement des femmes

Monique Dumais, Houlda

L’autre Parole  : une collective de femmes engagées dans la redécouverte ou la reconstruction d’une tradition ouverte aux femmes. Une redécouverte ou une reconstruction qui s’est  faite à partir de l’expérience de ces femmes, par leurs implications  dans des événements, par des actions interpellantes qui, tout en jalonnant des avancées, ont créé et développé la solidarité entre elles et avec les femmes du monde.

 En quête d’une tradition innovatrice dans l’Église…

En retournant au début de la collective, j’ai pu discerner de façon étonnante comment tous les dynamismes étaient là pour faire surgir un grand arbre. La relecture de notre revue L’autre Parole et une  révision de nos activités m’ont fait  redécouvrir avec bonheur tout ce qui nous habitait à l’époque et que nous avons accompli depuis.

Qu’est-ce qui nous animait alors en tant que féministes et chrétiennes ? Ce questionnement s’est posé à nous dès le début. Il  nous permettait  de creuser et d’approfondir notre enracinement dans la tradition chrétienne et nous fournissait, en tant que féministes, l’occasion d’une nouvelle approche. Il fallait sortir cette tradition de sa rigidité formelle stratifiée au cours des siècles, lui redonner son effervescence originelle, sa force d’interpellation. Tâche dynamisante en même temps que  pleine de défis !

En consultant mes archives j’ai découvert des  éléments significatifs illustrant notre façon de procéder. Tout a commencé le 14 avril 1976. Ce jour-là,  je faisais part de mes préoccupations  de théologienne à d’autres théologiennes, les invitant à créer des liens entre nous en vue d’un regroupement.  Mon premier objectif était de savoir jusqu’à quel point les théologiennes étaient conscientes de leur « situation » spéciale ( ! ) dans l’Église et dans la société. (L’autre Parole, 2002, no 92 )

Mon appel ayant eu des échos, il s’agissait de passer à l’action : nous rencontrer et mettre en commun nos perceptions individuelles concernant notre rapport à  l’Église et jeter les bases d’un projet conduisant à une participation entière de la femme dans l’Église. N’était-ce pas ambitieux ?

Une citation d’Elisabeth Schüssler Fiorenza va nous mettre en route :

« Si les femmes veulent être en relation avec leurs propres racines et leur propre tradition, elles doivent ré-écrire la tradition chrétienne et la théologie de telle sorte qu’elles deviennent non seulement« history », mais aussi bien « herstory » ramassée et analysée d’un point de vue féministe » .( Elisabeth Schüssler Fiorenza, Feminist theology as a criticaltheology of liberation, Theological Studies, vol. 36, no 4, December 1975, p. 611.)

Il s’agissait maintenant de préciser ce que nous voulions.

Dans un article intitulé :  « À propos des femmes…et du pouvoir patriarcal » Marie-Andrée Roy  énonce ce qui suit :

« Que veulent donc les femmes ? Se hisser au haut de la pyramide ? Non. Nous ne voulons pas reproduire la domination que les hommes ont fait peser sur nous pendant tant de millénaires. Nous ne sommes pas intéressées à gravir les marches du pouvoir. Ce qui nous tient à cœur,  c’est l’égalité et la justice pour tous, que l’on partage les pouvoirs, que l’on s’autogère. Et que dans l’Église les femmes aient des frères plutôt que des pères. »  (L’autre Parole, 1977, no 4, p.10-11 )

Nous voulions ouvrir des brèches dans la forteresse patriarcale pour que les femmes puissent y pénétrer,  y faire entendre leur voix et créer :

«  L’espérance nous portait, mais il s’y mêlait toujours des moments de peine, de déception. La fonction de recherche et de critique de la théologie, qui venait d’être remise en cause par les instances romaines, frappait des frères théologiens. Les interpellations percutantes des sciences psychologiques, historiques, sociologiques, anthropologiques étaient  suspectées.  De plus, les possibilités de compréhension de notre situation par la société demeuraient fort limitées ». ( Monique Dumais, L’autre Parole, 1980,  no 11, p. 1)

Malgré tout, l’ekklèsia des femmes  poursuit sa marche ! Le colloque du 20e anniversaire sous le thème Une EKKLÈSIA manifeste a fait connaître les avancées de la collective. Il a permis de penser et de vivre une communauté de partage de nos expériences de foi en tant que féministes et chrétiennes. Le temps n’était plus à l’attente, mais à l’accomplissement .

Notre rapport à l’Écriture est évident dans notre pratique collective de ré-écriture des textes bibliques « qui implique une réappropriation des Écritures dont nous avons été dépossédées pendant trop longtemps et une inscription de notre expérience dans ces Écritures. »  (L’autre Parole, 1997, no 72, p. 31)

L’éthique féministe que nous avons développée  prend aussi en compte les grands enjeux du devenir des femmes, notamment en ce qui concerne la maîtrise de leur corps et de leur santé reproductive. Et  en créant des célébrations et des rituels nouveaux, notre spiritualité s’est développée et enrichie.

Élargissement de notre praxis

« L’ekklèsia des femmes est tout autant en lien avec le mouvement des femmes actuel , dans sa dimension pluraliste et œcuménique,  qu’elle est en lien avec l’héritage biblique, du moins pour les Juives et les chrétiennes. » ( Idem, p. 27) Nos engagements dans les différents milieux où les femmes sont opprimées et en quête de libération ont élargi notre praxis. Comme ekklèsia des femmes, nous avons posé un bon nombre d’actions : pétitions, gestes d’appui,  réactions à des décisions romaines, textes collectifs dans différents journaux.

Au tout début,  L’autre Parole a dû faire sa place au Québec.  Invitée, un jour, à l’émission « Femmes d’aujourd¹hui » pour présenter La marée montante  (groupe de femmes de Rimouski), j’avais pressenti un certain malaise, à l’autre bout du fil, lorsque  j’avais mentionné que je faisais partie du collectif L’autre Parole, qui regroupait des femmes chrétiennes et féministes. Un long silence avait suivi. Comment des femmes catholiques pouvaient-elles s’afficher comme féministes ? Il faut dire qu’au Québec d’alors, les femmes marquées par les enseignements de l’Église catholique, prenaient clairement leur distance vis-à-vis une institution patriarcale qui les avait trop longtemps  brimées dans leur désir d’être.

L’existence de L’autre Parole a quand même été reconnue dans des journaux féministes tels que Des luttes et des rires de femmes, février-mars 1979 ; La vie en rose, septembre 1984 ; La Gazette des femmes, juillet-août 1984 et
novembre-décembre 2002, ainsi que dans « Bible et engagement social » carnet biblique publié par SOCABI en 1981.

Solidarité, c’est le maître-mot qui nous anime.

Ce mot apparaît dans les objectifs présentés dans la lettre du 14 avril 1976 : « Créer, entre théologiennes, une solidarité qui pourra être nécessaire pour oser des actions dans l’Église » et se répercute dans L’autre Parole, 1979, no 4  : « C’est une parole commune, forte de notre solidarité qui doit jaillir dans le monde actuellement . Nous refusons de lutter isolément pour le changement de notre condition, nous avons choisi de lutter ensemble collectivement »  Signé par : Monique Desrochers, Judith Dufour, Monique Dumais, Béatrice Gothscheck, Louise Melançon, Marie-Andrée Roy , à la rencontre tenue le 20 août à Montréal.  Déjà , à la suite du premier colloque, l’appel : « La solidarité pour combattre l’isolement ; la parole collective pour rompre le silence » avait été lancé (L’autre Parole, 1978,  no7, p.7). Cet objectif est évidemment rappelé, dans le no du 20e anniversaire en ces termes : « Nous voulions promouvoir des solidarités, élargir les  possibilités d’information et de concertation entre les femmes et les groupes féministes et chrétiens au Québec et développer des solidarités intergénérationnelles afin d’assurer la relève. » ( L’autre Parole, 1997, no 72, p. 5 ) Un chant thème « Solidarité, sororité, mutualité  » composé par Louise Melançon  à l’occasion de cet anniversaire, va dans le même sens.

Notre solidarité s’étend  aussi à d’autres groupes qui poursuivent des objectifs proches des nôtres, tels que Femmes et Ministères, l’ARPF (Association des Religieuses pour la Promotion des Femmes).

Nos liens avec des femmes impliquées dans l’Église

Il nous importait de créer aussi des liens avec des femmes déjà fortement impliquées dans l’Église, comme les religieuses qui étaient invitées à participer aux luttes féministes ( L’autre Parole, 1978, no 5, p.9-10),  sœur  Claire Richer nommée responsable – curé, sans le titre – de la paroisse de Saint-Michel de Napierville, sœur  Rita Gagné, en pastorale au diocèse de Gaspé, Monique Desrochers à la Société catholique de la Bible (L’autre Parole, 1977, no 3 ). Notons aussi qu’à l’occasion de son  20e anniversaire, L’autre Parole a fait connaître les groupes de femmes et les revues religieuses féministes qui travaillent à l’avènement d’une voix féministe (L’autre Parole, 1997, no 72 ).

Rencontres de féministes chrétiennes d’autres pays

Nos contacts se font surtout par l’intermédiaire de Femmes et Hommes dans l’Église ; Marie-Thérèse van Lunen Chenu ( L’autre Parole, 1978, no 7, p. 24) est une interlocutrice très significative pour nous.  Quelques femmes de L’autre Parole ont participé à des colloques internationaux organisés par ce groupe (1979, no 9). Nous avons été aussi en contact avec Françoise van der Meersch, et plus récemment avec Ivone Gebara du Brésil.

L’autre Parole dans des congrès

Les femmes de L’autre Parole  ont veillé à assurer une participation constante à des congrès annuels comme  ceux de l’ACFAS, (Association Canadienne-Française pour l’Avancement des Sciences) ceux de la Société canadienne de théologie, de même qu’à  des sessions spécifiques telles que « Être chrétienne, solidarité féministe et conscience chrétienne », organisée par l’Institut de pastorale des Dominicains à Montréal, en janvier 1980 ;  « la place de la femme dans l’Église » tenue par le groupe Chrétiens pour une Église populaire, à Québec, le 22 mars 1980. Et bien d’autres.

L’autre Parole dans les médias

Au tout début, les activités de L’autre Parole ont reçu des médias une bonne part d’attention. L’heure était aux changements, l’année internationale des femmes était encore bien vibrante dans l’air du temps. C’est alors que notre collective a fait sa marque.  Son  premier colloque en 1978 qui avait affiché audacieusement comme thème : « Le corps de la femme et l’Église » s’est mérité un compte rendu dans l’hebdomadaire de Rimouski, Progrès-Écho par Monique Dumais, dans le journal du Service de pastorale de l’UQAR par Simonne Plourde ; et dans le Le Devoir de Montréal par Micheline Carrier.

À cette occasion, Marie-Andrée Roy et Monique Dumais ont participé à des émissions radiophoniques et télévisées (L’autre Parole, 1978, no 7, p. 19-20), à des entrevues publiées dans des revues telles que Le Bulletin du C.S.F. (Conseil du statut de la femme) (septembre1978). Louise Melançon, Marie Gratton, Judith Dufour et quelques autres ont aussi apporté leur contribution à des entrevues  médiatisées.

La solidarité, notre lieu d’espérance

La solidarité est présentée dans la revue L’autre Parole comme « notre lieu d’espérance » (no 18, juin 1982), car nous sommes conscientes que si c’est la « solidarité qui nous tient » (no 55, septembre 1992) nous deviendrons des  « tisseuses de solidarité, un métier planétaire » (no 80, hiver 1998-99) et « Femmes en marche dans le monde » (no 81, printemps 1999). La rencontre de diverses cultures et de différentes spiritualités est un stimulant qui nous habite de plus en plus et pousse la collective L’autre Parole à aller toujours plus loin.

Rédiger un essai de définition de L’autre Parole par rapport à l’Église et au mouvement des femmes n’a pas été une tâche facile pour moi. Comme il s’agit du numéro 100, je me suis laissé inspirer par la documentation tirée des numéros précédents.