CLAIRE D’ASSISE VUE PAR UNE CLARISSE

CLAIRE D’ASSISE VUE PAR UNE CLARISSE.

Une parole autre…

Cette parole, elle est de Claire d’Assise, une moniale du XIIIe siède. De si loin, peut-elle être porteuse d’un message qui rejoigne les préoccupations des féministes chrétiennes d’aujourd’hui ? C’est à voir.

Un peu de recul dans l’Histoire et nous pouvons entendre cette délicieuse anecdote au sujet d’une certaine Nouveline, fille d’un économiste célèbre de Bologne. Très savante, elle remplace son père pendant ses absences. Elle est si belle que le père craint que sa vue ne trouble ses auditeurs. Il la contraint donc à porter une « petite courtine » devant son visage. Ainsi parée, elle monte dans sa chaire enseigner le droit aux étudiants, fascinés par leur docte professeur d’occasion.

Au temps de Claire, dans le Traité de l’amour courtois, on peut lire : « Les hommes ne sont rien s’ils ne sont mus par des femmes ».

Claire « femme nouvelle » – ainsi nommée par le pape Alexandre IV – se situe entre ces deux extrêmes. D’une part, elle n’est pas étrangère au courant novateur de son époque qui a une incidence sur la promotion de la femme en milieu chrétien. D’autre part, les hérétiques, en lui accordant toute la place désirable, risquent d’exercer sur elle une redoutable séduction. Contrairement aux siècles précédents, des théologiens de cette époque font l’éloge de la femme. Abélard a, à ce sujet, des propos surprenants. À travers l’Europe, des femmes jouent un rôle important. Elles gouvernent des États, dirigent l’Économie, fondent des Églises… C’est aussi l’heure de l’émergence des laïcs avec un surgissement de groupes divers. Pour contrer les abus du temps, ils ont la hantise d’une vie chrétienne radicale, avec ses élans, mais aussi ses dérapages et ses excès.

La jeune Claire aurait pu choisir ce type d’appartenance, ou encore se joindre aux béguines qui gagnent en popularité. Non. Elle se tourne vers la vie monastique, mais une vie monastique renouvelée aux sources pures de l’Évangile. Ce qu’elle demande à (Institution ecclésiale, c’est un espace de liberté pour faire l’expérience de Dieu, avec un coeur ouvert à tous et présent à toute réalité humaine. Ce sera là le lieu de son combat, de sa clairvoyante ténacité, de son inusable patience, dans une authenticité de vie qui la tient en lien avec les autorités en place. Avec Claire – et c’est une première dans l’Histoire de la vie religieuse – une femme écrit une règle pour une communauté féminine, alors que dans le passé c’était l’oeuvre exclusive des hommes. La « forme de vie » qu’elle propose à ses compagnes présente l’autorité comme un service, ouvre à la coresponsabilité et à la démocratisation dans les décisions à prendre. Il y a là, te plus souvent, une nouveauté à cette époque. Dans le cadre de la société féodale, les moniales vivent de leurs propriétés terriennes. Claire, après beaucoup d’instances, obtient le « Privilège de la pauvreté », soit le droit de vivre sans possessions. Ce mode de vie est exigeant, mais Claire sait y mettre sa touche féminine dans le respect des personnes et l’attention aux situations particulières.

Claire se présente comme une femme libre, de cette liberté puisée dans les forces libérantes de l’Évangile ; de là son attitude souvent désarmante, empreinte de transparence dans les relations. Dans la perspective chrétienne, selon Olivier Clément, le masculin et le féminin ne sont pas des essences hiérarchisées, mais des modalités de l’unique nature humaine. C’est l’espace ouvert au partenariat. La vie aurait pu tenir Claire et François à distance. Ils étaient si différents par leur statut social, leur éducation, leur expérience et, à un niveau plus profond, par tout leur être. Ils deviennent cependant deux partenaires de choix dans la richesse de leur complémentarité et la convergence de leur visée spirituelle. À un moment crucial de son existence, François recourt aux conseils de Claire. Il s’interroge sur l’orientation plus contemplative à donner à sa vie de prédicateur itinérant. Claire de son côté, avec l’appui de François, va créer un pôle féminin à la voie franciscaine qu’il a lui-même ouverte.

Le projet de Claire, tel qu’il nous apparaît aujourd’hui, a été un mouvement de femmes avant d’être un ordre. Dans une ambiance lourde de contraintes juridiques, grâce à cette femme mue par l’Esprit, prend naissance une nouvelle famille religieuse qui porte à maturité une spiritualité originale. Par sa profondeur et sa durée, elle a été plus qu’une sorte d’« été indien ».

En son temps, Claire a donc proféré une « parole autre ». Son charisme n’a pas d’âge. Il est celui d’une femme de vision, consciente des forces vives à faire éclater dans une société en pleine mutation et une Église en voie de renouvellement. Les intuitions de Claire, dans ce qu’elles ont de fondamental, peuvent être transposées dans une autre époque et vécues dans un contexte différent.

C’est surtout par sa vie que Claire nous parie. Elle peut devenir source d’inspiration pour les théologiennes, les militantes féministes et les femmes d’aujourd’hui qui vivent à plein leurs valeurs de féminité. Ne pourrait-elle pas redire à chacune ces paroles empruntées à sa correspondance avec Agnès de Prague : « Ce que tu tiens, tiens-le. Ce que tu fais, fais-le. Va confiante, allègre et joyeuse ».

Annette Parent, Clarisse