COMMENT LE LANGAGE ECCLÉSIAL DEVIENT-IL PAROLE ?

COMMENT LE LANGAGE ECCLÉSIAL DEVIENT-IL PAROLE ?

PAULINE MAHEUX, MONIQUE MASSE, HOULDA

Les femmes croyantes engagées qui fréquentent encore certaines églises du Québec observent de plus en plus qu’elles sont toujours absentes du langage liturgique.

Dans les paroisses, les comités de liturgie sont bien placés pour poser des actions concrètes en vue de transformer le langage sexiste de l’Église en langage inclusif afin de redonner à chaque baptisé-e, femme ou homme, sa place et son rôle.

Un mini-sondage a été envoyé aux comités de liturgie des dix-sept communautés chrétiennes d’une zone pastorale dans laquelle nous avons oeuvré pendant plusieurs années. Nous voulons explorer, à travers leur prise de parole et leurs engagements quotidiens comment se traduit leur démarche. Dans cette perspective, mettons-nous à leur écoute.

Que disent ces comités sur le langage inclusif ?

Sur un échantillonnage de dix-sept, huit ont répondu à nos trois questions. Tous personnalisent vraiment leurs énoncés. Tous les contenus portent la préoccupation de l’équité dans l’utilisation des termes femme et homme.

Trois niveaux de compréhension ressortent de notre analyse :

Un premier niveau tient compte uniquement du vocabulaire (25 %).

Un deuxième dépasse les mots pour englober la dimension plus large de la réalité sociale hommes/femmes (37,5 %).

Un troisième niveau favorise l’égalité et la dignité de chaque personne en présentant une vision transformante de l’Église (37,5 %).

Nous constatons que le pourcentage le plus élevé comprend les niveaux 2 et 3 (75 %) dans lesquels s’amorce un projet élargi de transformation sociale et ecclésiale.

Comment les équipes liturgiques produisent-elles le changement ?

Toutes les équipes liturgiques mentionnent l’utilisation du langage inclusif dans les oraisons, l’homélie, les autres prières et le bulletin paroissial. Quelques-unes vont plus loin. Voici quelques témoignages

. Les corrections sont apportées, s’il y a lieu, à chaque célébration, sur les textes et les chants. Les nouveaux chants inscrits au livret y sont dans un langage inclusif.

. Nous actualisons tes chants : si le chant comporte des paroles pour un homme, nous lui faisons chanter ; si le chant a des paroles pour une femme, nous demandons à une femme de le faire (Ex. : la Samaritaine ou le gestuel « Je suis la servante du Seigneur »).

. Nous avons traduit pour nos réunions le texte des Béatitudes en langage inclusif.

. J’ose aussi employer le langage inclusif dans les lectures bibliques.

La créativité manifestée par chaque communauté chrétienne dans sa prière liturgique témoigne d’une vitalité évidente provoquant le changement des mentalités.

L’écriture devient Parole

Nous avons puisé dans les données recueillies par le sondage des exemples signifiants d’accomplissement. Nous vous les partageons. Dans sa lutte pour l’égalité, une femme livre ce touchant témoignage :

J‘ai 36 ans. Pour moi, travailler en paroisse, c’est faire Église et promouvoir la place des femmes. Je ne prends la place de personne. Je prends seulement ma place comme tous ceux et celles qui veulent une Église vivante. De par mon baptême, je suis Prêtre, Prophète et Roi.

La lecture de ce témoignage nous renvoie à l’actualisation de la place des femmes dans l’Église. Cette volonté des communautés chrétiennes de donner aux femmes leur place dans l’Église s’exprime par deux événements à valeur symbolique :

La bénédiction, pendant l’Avent, d’une statue représentant la Vierge enceinte ;

L’installation dans une église, de six verrières/mémoire religieuse des femmes du Québec.

Origine de cette Parole en devenir 

Le mouvement de libération des femmes du Québec a précédé d’une décennie la prise de conscience de l’importance du langage inclusif comme moyen de faire avancer la cause des femmes dans l’Église. En effet, de 1970 à 1982, des groupes de femmes engagées se multiplient et prennent en mains leur visibilité dans l’Église. Il faut attendre 1982 pour retrouver dans les recommandations faites par les femmes à leurs évêques la préoccupation du langage.

En août, l’AFÉAS mentionne dans sa recommandation #6 : Que l’on invite les pasteurs à tenir compte des deux sexes dans le langage liturgique et pastoral.

En octobre 1984, Elisabeth Lacelle, présidente du comité ad hoc chargé d’analyser la situation des femmes dans l’Église, dépose le rapport de travail. La recommandation #2 mentionne :

Que les évoques du Canada mettent en oeuvre des politiques en vue d’éveiller la conscience ecclésiale à l’importance du langage dans une Église de la communion et de prendre les moyens pour le corriger (homélies, liturgies, prières, chants) ;

Que les évêques du Canada s’assurent que leurs interventions pastorales, aux niveaux national et diocésain, soient formulées en un langage inclusif partout cela est approprié.

Les 1er et 2 mars 1986, quatre-vingts femmes présentes à la session de l’Assemblée des évêques du Québec sur le thème « Le mouvement des femmes dans l’Église » font plusieurs recommandations dont deux sur le langage inclusif :

Que les répondantes à la condition des femmes de chaque diocèse créent un espace de concertation permettant la conscientisation et la formulation d’alternatives pour un langage inclusif.

Que les répondantes aient accès à des outils de sensibilisation et d’analyse du langage afin d’animer leur milieu.

Les répondantes placent immédiatement en tête de leurs priorités la transformation du langage sexiste en un langage inclusif.

Après trois années de remises en question, d’étude, de réflexion et d’action, les répondantes diocésaines à la condition féminine reçoivent l’appui d’un document produit par l’équipe pastorale de la Conférence des évêques catholiques du Canada,

Un langage nouveau pour la communauté chrétienne. Elles y retrouvent l’esprit et la lettre de leurs revendications. Fortes de cette approbation, les femmes engagées continuent à poser des gestes concrets pour faire advenir l’Église comme communion.

Dans cette continuité, un groupe de L’autre Parole produit, le 8 mars 1991, un outil de réflexion et d’action sur le langage inclusif dans la liturgie, pour faciliter l’approfondissement du message pastoral du mois d’août 1989 et pour inciter les communautés paroissiales à l’utilisation de cette forme d’expression dans leurs célébrations.

Conclusion

Ce survol historique et le présent sondage démontrent l’inlassable patience et le dynamisme courageux des femmes depuis plus de 25 ans. Pourtant, deux interrogations nous habitent toujours : combien de temps encore et jusqu’où les communautés chrétiennes devront-elles aller pour que le discours sur l’égalité hommes/femmes dans l’Église se rende au bout de sa logique. À cette seule condition, on pourra dire que le langage ecclésial est devenu Parole.