UNE HOMÉLIE DE CIRCONSTANCES

UNE HOMÉLIE DE CIRCONSTANCES1

HUGUETTE CHAMARD-CHAGNON, Rimouski

Mes chères amies,

Lorsque je me suis recueillie pour penser à cette courte réflexion que j’ai accepté de faire en ce jour de retrouvailles, cette fête de la mémoire, j’ai vite constaté que je n’avais pas beaucoup de points de repère, peu de précédents, j’allais dire de précédentes… Peu de femmes, trop peu de femmes ont été invitées à porter la Parole de Dieu en Église. J’ai alors spontanément pensé, en ce jour du souvenir, à tous les évangiles qui auraient pu être commentés en Église par ces grandes dames de Dieu, nos mères ursulines, d’hier et d’aujourd’hui. Sans effort, je retrouve dans ma mémoire la devise du monastère. I me semble que c’était inscrit à la chapelle : « Jusqu’à ce que le Christ soit formé en vous. » Quelle grande tâche inspirée par la Parole de Dieu ! Essayons un instant de penser aux homélies qu’elles auraient pu faire, au bonheur si légitime qu’elles auraient eu à traduire à haute voix, dans leurs mots, cette Parole qui les envahissait. Elles n’y ont pas été autorisées ni invitées. Je me sens petite, très petite après elles… Mais je me réjouis qu’après deux mille ans de christianisme, on soit prêtes éprendre ce risque… Souvenons-nous d’elles, de ce qu’elles ont été, de ce qu’elles sont pour nous et nous retrouverons les fruits dont parle l’évangile d’aujourd’hui.

On vient de faire la lecture de l’évangile de saint Jean, tout à fait appropriée pour une fête comme celle-ci, qui est vraiment celle de la moisson et de la récolte. « Demeurez dans mon amour. Je vous ai choisis pour que vous alliez et portiez des fruits. » De quels fruits s’agit-il ? J’aurais aimé peut-être que ce soit un peu plus précis… Ailleurs, au long des évangiles, il est dit sans détours : « Aimez-vous les uns et les unes les autres, ne jugez pas, aimez-vous. C’est à ce signe que l’on vous reconnaîtra comme mes disciples. » Porter des fruits… Spontanément, le mot traduit de belles réalités : semence, fleur, verger, cueillette, moisson, vendange, soleil, saveur, couleur. Mais lorsque l’Évangile descend au niveau de notre réalité, de notre langage, le fruit, qui est cette partie visible, dépend d’une vigueur invisible dont on n’est pas toujours responsable. Le Christ le sait bien, lui qui nous a parte du figuier stérile, d’ivraie dans les champs. Le fruit, c’est le résultat, c’est ce qui est visible, mais tout le travail, il me semble, se fait dans l’intériorisation, dans les racines. Il faut que la vie circule bien. Que d’hommes, que de femmes n’ont pas les conditions minimales de vie requises pour porter des fruits ! Et nous, avons-nous, dans nos propres vies, les fruits attendus, des fruits pourtant patiemment cultivés et ardemment souhaités. Quelquefois, on les trouve plus beaux chez le voisin ou la voisine. Nous avons porté nos enfants au baptême, nous avons multiplié les gestes sacrés, mais leurs valeurs ne sont pas les nôtres et ils porteront des fruits… Mais, quelquefois, on les attend toujours et on les voudrait semblables aux nôtres.

« Demeurez dans mon amour », voilà pour moi la phrase porteuse. Le Christ nous a habitués à lire entre les mots, à les regarder attentivement, à les retourner. Porter des fruits, c’est sûr si « vous demeurez dans mon amour » .

Lorsque Marie, future maman, se rendit chez Elisabeth, peut-être par un très bel après-midi ensoleillé, l’Évangile nous rapporte cette très belle parole : « Le fruit de tes entrailles est béni. Bienheureuse celle qui a cru à l’accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur ! » De la part du Seigneur, il est dit :

« Demeurez dans mon amour. Vous porterez des fruits. »

Dans mon enfance, il y avait une parole qui n’était pas « transgressante » : parois d’honneur II me semble que je l’appliquerais sans crainte ici de la part du Christ : « Demeurez dans mon amour. Vous porterez des fruits. »

En pensant aux 90 ans que nous fêtons aujourd’hui, on imagine les racines de cet arbre et on rend grâce pour ses fruits si variés.

Béni soit le Grand Moissonneur

1 Homélie prononcée à l’occasion du 90e anniversaire de la fondation des Ursulines à Rimouski en la cathédrale Saint-Germain de Rimouski, le 8 juillet 1996.