UNE VAGUE NON SEXISTE, NOS PRATIQUES DANS L’AUTRE PAROLE

UNE VAGUE NON SEXISTE, NOS PRATIQUES DANS L’AUTRE PAROLE

MONIQUE DUMAIS, HOULDA

Déjà le choix de la désignation L’autre Parole manifestait notre désir de faire apparaître une alternative, de faire émerger ce qui était caché, maintenu absent de l’univers de la représentation langagière. Parole de femme, disait Annie Lederc1 ; oui, mais nous, nous disions une parole qui s’affirme définitivement autre, car elle sort d’un creuset social qui Ta marquée et qui l’a laissée sans voix. « À vivre dans cette absence de langue et ce grondement océanique des mots, ne reste que la lie et l’horreur des luminaires hallucinés. Ni élocution, ni parole, ne parlent cette voix immémoriale2 ». Et pourtant, elle existe, cette parole.

Coup de barre

« Désexiser les pratiques et les discours religieux », c’est là l’un des objectifs principaux de notre collective. D’année en année, nous avons porté cette préoccupation, et nous avons cherché à donner la vie à une parole autre. Des expériences de femmes qui n’ont pas compté ou si peu dans l’élaboration de la pensée occidentale sont devenues notre porte d’entrée et notre norme pour modifier et transformer le langage. C’est particulièrement par des réécritures que nous avons pu accomplir efficacement, nous semble-t-il ! l’entreprise de désexisation.

À partir des expériences de » femme »

La référence aux expériences des femmes s’est imposée aux chercheuses féministes en sciences religieuses. Valérie Saiving a été une des premières théologiennes contemporaines à avoir utilisé le concept expériences des femmes dans des élaborations théologiques3. Sheila A. Collins4 et Carol P. Christ5 ont confirmé que dans la théologie féministe « l’expérience doit devenir une nouvelle norme pour la théologie ».

Le recours aux expériences des femmes a marqué de façon certaine le parcours de L’autre Parole. Ainsi, notre premier colloque en 1978 avait pour thème : te corps des femmes et l’Église ; il a bien montré notre préoccupation fondamentale. D’autre part, la revue L’autre Parole traduit régulièrement dans ses textes ce que signifie pour nous « être femme », « être sexuée », « être dans un corps de femme ». Ces différents exercices ont pour but de remettre en question un universel marqué par les expériences des hommes, la mâlitude, pourrait-on dire ! Comme l’exprimait spécifiquement Annie Leclerc : « Ils ont fait naître l’universel du particulier. Et l’universel a porté le visage du particulier. »6 Le temps était venu de faire émerger la présence d’autres particuliers.

Nous avons franchi diverses étapes dans l’approfondissement des expériences de femmes. En premier lieu, i s’est agi de reconnaître les expériences des femmes et de les nommer, en second lieu, de se les réapproprier et de les valoriser, enfin, de les intégrer dans le champ réflexif et la pratique tant théologique qu’ecclésiale. À cet effet, des numéros de L’autre Parole ont porté tour à tour sur la pornographie (18), l’avortement (17 et 33), les nouvelles technologies de reproduction (35), nos fécondités (23), le corps à libérer (52), nos pratiques ecclésiales (39, 68), l’ordination es femmes (43 et 65), les rapports de sexe (60), l’engagement social et politique 45, 48, 49). Nous tentions de sortir de l’obscurité patriarcale pour émerger en plein soleil, pour une libération et une réalisation plus entière.

En avant pour les réécritures

L’expérience de la réécriture en est une très significative pour la collective L’autre arole. Nous avons surtout réécrit des textes qui nous viennent de la Bible. Les ivres bibliques font partie de nos traditions juive et chrétienne et ces traditions nous tiennent à coeur. Le fait que ces textes bibliques soient coulés dans une culture patriarcale qui privilégie les hommes et laisse dans l’ombre les femmes et les enfants.« ans compter les femmes et les enfants »… ne pouvait nous laisser indifférentes.

Ces pratiques de réécriture sont collectives, produites habituellement lors d’un colloque annuel. Un thème est annoncé, des textes bibliques sont repérés qui sont roches de nos préoccupations ; nous entreprenons alors en petites équipes de trois  huit femmes au plus de reprendre l’écrit en imprimant nos résonances personnelles ans toutes leurs dimensions tant individuelles que sociales. Dans un premier temps, es idées fusent dans tous les sens en n’excluant aucune voix ; dans un second temps, nous sommes à la recherche d’une idée conductrice qui pourra nous orienter ers un port d’attache, temps marqué parfois d’insécurité, parviendrons-nous à trouver quelque chose qui signifie notre réalité ? Enfin, le miracle s’accomplit, encore ne fois ! nous avons trouvé et nous sentons que notre coeur est bien vibrant devant e qui est en train d’émerger de nos stylos qui ont « scribouillé ». L’une des nôtres retranscrit avec fierté les phrases qui ont été brassées avec grande énergie dans le groupe afin de l’annoncer à l’ensemble de la collective.

Plusieurs réécritures ont connu un vif succès, en ce qu’elles continuent de nous animer et de soutenir des groupes et des femmes de par le monde. Nos béatitudes (22) est sans doute le travail collectif qui a été le plus largement diffusé. Le texte commençait ainsi : « Heureuses celtes dont le coeur n’est pas endurci, car elles restent à l’écoute des femmes et de Dieu ». Une réécriture à partir des deux textes e la Genèse (32) a aussi donné lieu à une création fort captivante avec la réalisation e quatre textes de Genèse ; l’un débute ainsi :

À l’origine était L’AMOUR tel un milieu NOURRICIER :

– profondeur des eaux fertiles,

– exubérante richesse du jardin,

– rondeur cosmique d’un sein fécondé.

Le Notre Père a été aussi réécrit par deux femmes et est devenu, Toi, notre espérance (19). Et tout au long des pages de la revue L’autre Parole apparaissent es textes imprégnés des différentes dimensions des expériences des femmes ‘aujourd’hui. Ils manifestent notre désir et notre détermination d’afficher une langue ui inclut les femmes.

Plusieurs efforts ont été faits pour rendre visible la présence des femmes dans tous les secteurs de la vie y compris celui de la langue. Cette langue qu’on dit maternelle parce que transmise par les mères, n’est-elle pas plutôt celle des pères ? fin que cette langue puisse exprimer toutes nos réalités de femmes, le défi à relever st loin d’être achevé. Les tours et détours de la culture patriarcale ne manquent pas, l lui est difficile de céder du terrain. Et pourtant, c’est un traitement égal du vécu des femmes et des hommes que nous voulons assumer.

Père et mère, passeurs d’une vie à une autre, à la fin du voyage

je vous relaie, au haut de la tour

avec en mains le feu scintillant

d’une âme remplie de joies

et de douleurs. En mon corps

se rassemblent d’infimes ruisseaux de vie

– toucher, souffrir, donner, aimer – des fleuves et des marées. Hélène Goridn7

UN LANGAGE NOUVEAU POUR LA COMMUNAUTÉ CHRÉTIENNE

Voici la reproduction d’un extrait du texte de mandement des évoques de Gaspé8 touchant le langage inclusif.

« Mes bien chers frères » ! Il y a quelque vingt ans, cette introduction au sermon dominical n’aurait étonné personne. Aujourd’hui, il en va tout autrement. La plupart auraient le sentiment qu’on a oublié plus de la moitié de l’assistance. Et plusieurs se demanderaient pourquoi elles ne sont pas explicitement reconnues.

Cet exemple banal illustre une évolution qui, elle, ne l’est pas du tout. Les changements dans le langage reflètent l’évolution de notre fin du XXe siècle. Individus et groupes ont toujours été très sensibles à une discrimination à l’égard de leur race, leur croyance, leur sexe, etc. Mais il aura fallu attendre jusqu’à ces dernières années pour réaliser que le langage lui-même n’est pas innocent. Des termes tels que « frère, homme… » étaient considérés comme génériques, incluant les individus des deux sexes. Cependant, à cause du fait qu’ils désignent aussi, et de façon spécifique, les individus de sexe masculin, les femmes s’y reconnaissent de moins en moins. Et le fait de ne pas être reconnu mène tout droit à la dévalorisation ou à l’agacement.

Or voilà précisément l’intention du dernier message de la C.É.C.C. (cf. L’Église canadienne, 22, 23, pp. 711-714) : nous rappeler à tous que les femmes se sentent exclues de notre langage écrit ou parlé, inviter les communautés chrétiennes à une réflexion commune sur la façon dont elles assurent leurs communications. Je souhaite que, d’une façon ou de l’autre, cet examen soit fait dans chacune de nos communautés paroissiales.

Comme l’indique le message, i faudra patienter encore un certain temps avant que les textes officiels de la liturgie ne soient révisés. Nous devinons facilement l’ampleur du défi que représente une traduction respectueuse du langage inclusif pour la Bible, les prières eucharistiques, les oraisons… D’autant plus que les spécialistes de la langue divergent encore d’opinion sur les règles éventuelles du langage inclusif. Et I n’est pas du ressort des responsables ecclésiaux

de fixer ces règles. Mais, dit encore le message, « l’évolution d’une langue vivante devrait sans doute progresser dans le sens d’une reconnaissance effective de l’égale dignité de l’homme et de la femme. »

(…) une Église soucieuse d’être un lieu de communion entre ses membres ne peut se permettre des modes de communication dépréciant ou excluant certains d’entre eux. Une communauté paroissiale soucieuse d’unité et de fraternité ne peut se dispenser de bonnes communications. Voilà donc un de ces lieux où i est possible de faire du neuf.

1 Lors de notre rencontre de fondation, nous avons été inspirées par lettre du livre d’Annie Leclerc, Parole de femme, paru en 1974, aux Éditions Grasset Paris.

2 Danielle Fournier, « (l’isolement du corps >, Estuaire, 80-81 (1996), p.108.

3 Valérie Sarving, « Androcentrism in Retgbus Studios-, The Journal ot Religion (The University of Chicago), April 1960, repris sous le titre « The Human Situation : A Féminine View », in Carol P. Christ and Judith Plaskow (eds.) Womansprt Ftising. San Francisco, Harper & Row, 1979, p. 25-42.

4 Sheila A. Collins, A Different Heaven and Earth, Valley Forge, Judson Press, 1974.

5 Carol P. Christ, « The New Feminist Theology : A review of Literature », Religions Studios Review, 4/4, Oct. 1977, p. 204.

6 Annie Leclerc, op. cf., p. 10.

7Hélène Dorion, « Les murs de la grotte » (extra »), Estuaire, 80-81 (1996). p. 91.

8 no 188, 5 octobre 1989, Mgr Bertrand Blanchet, sixième évêque de Gaspe, Mandements des Évêques de Gaspé 7973-7993, volume XI, 1996, p. 235-236