A PROPOS DU CONCEPT DE LOI NATURELLE

A PROPOS DU CONCEPT DE LOI NATURELLE

sous-jacent à l’argumentation développée dans l’Instruction sur te respect de la vie humaine naissante et la dignité de la procréation.

Marie- Gratton-Boucher- Univ. de Sherbrooke

L’Instruction propose une conception de l’être humain, de la sexualité et du mariage qui ne manque certes pas de grandeur, mais dont les limites apparaissent bientôt évidentes. On a vite fait de découvrir que la notion de nature humaine et de loi naturelle qui sous-tend l’argumentation est tout entière théorique et statique. L’approche est théorique puisqu’elle ne fait aucune place à l’expérience des couples, et des femmes en particulier, en traitant de questions qui les touchent au premier chef et dans leur vie la plus intime. Elle est de plus statique, étant donné que Rome la présente comme devant, par essence, échapper à toute perspective de transformation ou d’évolution. On ne s’en étonnera pas puisque le Vatican, fidèlement à son habitude, prétend être le seul interprète autorisé de la pensée et de la volonté de Dieu.

Ce que l’Église appelle nature humaine et loi naturelle repose souvent sur des codes et des tabous culturels. La nature humaine ressemble ici à un modèle désincarné et la loi naturelle à un standard abstrait qu’aucune personne n’aurait édicté et qui s’appliquerait à tout le monde. Dans ces cas-là, l’attribution en est faite directement à Dieu dont l’Eglise se dit l’unique interprète autorisé^ et fiable. Forte de cette prétention, elle se croit donc en droit de commander aux Etats de proscrire des pratiques qui contreviendraient aux « exigences naturelles de la personne humaine et aux < lois non écrites > gravées par le Créateur dans le coeur de l’homme* (p.39).

La loi naturelle qui commanderait la moralité des processus de reproduction humaine déterminerait que le mariage un et indissoluble serait le seul lieu digne d’une procréation vraiment responsable (cf. p. 23). L’Église se juge la seule à détenir le sens du mariage et de la sexualité et partant, estime de son devoir de l’imposer à tous. Nous pourrions affirmer que nous sommes là en face d’une idéologie dominante parce que nous sommes confrontés, si l’on ose dire, à une technologie dominante, à savoir la méthode « artisanale » ou « classique » de procréer. En fait, c’est Platon qui pointe ici l’oreille. Il y aurait une « idée* de la procréation à laquelle il faudrait à jamais et exclusivement se conformer. Mais l’être humain précisément est un animal qui pour une large part transcende la nature. Il n’est pas tout entier conditionné par son passé, il croit à sa capacité, voire à son devoir d’influencer et de transformer le présent et l’avenir.

L’Eglise admet cela dans bien des domaines. Mais quand il s’agit de questions reliées à la sexualité, la méfiance s’installe. La conception de la loi naturelle semble curieusement réduire la nature humaine à ses composantes « animales », c’est-à-dire à celles qui ont trait à la biologie et à la physiologie. La mécanique de la sexualité semble tenir toute la place quand il s’agit de juger de la moralité des pratiques sexuelles où pourtant quand il s’agit d’êtres humains/ des facteurs psychologiques, sociologiques, voire politiques, sont en cause. Et cela est d’autant plus déroutant qu’à la page 8 on pouvait lire l’énoncé d’un principe qui commandait normalement une autre conclusion :

La loi morale exprime et prescrit les finalités, les droits et les devoirs qui se fondent sur la nature corporelle et spirituelle de la personne humaine. Aussi ne peut-elle être conçue comme normalité simplement biologique, mais elle doit être définie comme l’ordre rationnel selon lequel l’homme est appelé par le Créateur à diriger et à régler sa vie et ses actes, et en particulier à user et à disposer de son propre corps.

Dans la conclusion de l’Instruction, on trouve aussi une affirmation qui devrait permettre un élargissement des perspectives mais dont tout le document contredit la dynamique. Il y est question de développer une « anthropologie solide en matière de sexualité et de mariage dans le contexte de l’approche multidisciplinaire nécessaire » (p. 38). Il est vrai qu’on propose du même souffle une fidélité constante à la doctrine de l’Église. Or, ces questions sont nouvelles et on s’acharne à les traiter avec des concepts remontant à Platon et à Aristote. En partant de là, l’Église a déjà condamné, faut-il le rappeler, la vaccination, l’anesthésie, la dissection et le prêt à intérêt, entre autres.

L’Église propose une « raisonnable domination de la nature ». L’expérience a prouvé que les possibilités offertes par la technique ont de tout temps fait reculer les limites du « raisonnable ». Bien sûr, la tâche de discernement demeure.

Quels que soient nos opinions, nos craintes ou nos espoirs dans ce dossier des nouvelles technologies de la reproduction, il nous faut, en ce domaine comme dans tous les autres, passer d’une « éthique de la conviction », qui ne se fonde que sur des préceptes proposés une fois pour toutes, à une « éthique de la responsabilité » qui prend en compte l’expérience, qui sait le prix de la liberté et qui apprend à discerner le mieux du bien, le souhaitable du possible, la prudence de la pusillanimité, l’audace de la présomption, le courage de la témérité. Ainsi, relevant le défi de l’histoire nous pourrons devenir, à travers nos apprentissages, des apprenti (e)s-sages au service de la vie.