QUELQUES PISTES THEOLOGIQUES…

QUELQUES PISTES THEOLOGIQUES…

Louise Melançon- Sherbrooke

Comme féministes et chrétiennes, nous avons à trouver le ion et la justesse de notre parole avant de prendre place dans le concert des voix qui s’élèvent pour interroger la pratique scientifique et médicale et celle des couples ou des personnes qui veulent des enfants, face « aux nouvelles technologies de la reproduction ». A titre de contribution à cette recherche, je présenterai quelques pistes de réflexion théologique qui pourraient nous être utiles.

1. De notre rapport à la vie… et de la Création.

Il est important de prendre conscience que c’est fondamentalement notre rapport à l’origine de la vie, de notre vie, qui est en cause dans l’intervention humaine et technique sur la procréation. Derrière la question d’ordre éthique, il y a une question d’ordre symbolique, une question métaphysique et religieuse.

La référence à une nature incontrôlée et incontrôlable assurait la représentation de l’origine radicale de chaque être nouvellement né. Le recours aux techniques scientifiques banalise et désacralise la venue au monde ; en effet, l’utilisation des technologies de la reproduction donne à penser, sinon dans les faits, du moins dans la représentation d’un « marché de l’enfant » qu’elles suggèrent qu’un être humain vient au monde de manière totalement prévisible, déductible au bout de procédures scientifiquement et socialement établies.

A partir de là, dans ce contexte, comment penser les affirmations fondamentales à la foi chrétienne, à savoir que l’être humain est créé par Dieu et qu’il est créé à son image ? En ce qui concerne la foi en la Création, il faut distinguer entre l’origine de la  vie et sa transmission Par les techniques de la reproduction, l’humanité est en train de se donner les moyens d’assurer plus efficacement et le mieux possible la transmission de la vie. Mais la question de l’origine de la vie reste ouverte. De même que l’exploration de l’espace, tout en changeant nos représentations, ne rend pas moins pertinente la création de l’univers, de même peut-on penser que les interventions médicales sur le processus de fécondation ne prennent pas la place d’un vouloir créateur de Dieu pour chaque vie humaine. Mais pour dire que Dieu veut la venue au monde et la vie de chaque être humain par amour et dans l’amour, il faut attirer l’attention sur le fait de plus en plus conscient et explicite, de vouloir qu’un enfant vienne au monde et qu’il vive dans la dignité. Plutôt que le processus « naturel » ou « artificiel » de transmission de la vie, c’est de vouloir donner la vie qui parle d’un Dieu créateur. Et c’est là que notre foi peut nous interroger, peut interroger sur le désir d’enfant ou le non-désir d’enfant, sur les conditions nécessaires à un vouloir libre (par exemple, le choix des femmes pour leurs maternités…), etc.

D’autre part, conformément à notre foi, Dieu crée l’humain à son image. C’est le fondement de la dignité inconditionnelle de chaque être humain. En quoi consiste cette dignité ? Pour répondre à cette question, il faut se référer à notre représentation de Dieu dans le christianisme ; un Dieu qui crée par amour, un Dieu qui s’est manifesté dans la vie, la mort et la résurrection de Jésus le Christ, un Dieu qui se donne dans l’Esprit Voilà le « modèle » d’humain que nous affirmons dans notre foi : Cela renvoie à l’amour, la gratuité, la magnanimité… Cela n’est pas sans conséquences dans notre rapport à la vie humaine, dans notre vouloir d’enfant et dans la manière de transmettre cette vie humaine. Mais là s’embranche la discussion éthique… Comment aujourd’hui, dans notre contexte, avec les moyens que nous avons, réaliser cet idéal, rendre possible ou faisable le respect inconditionnel dû à chaque être humain ?

2. De l’ad-venir humain… et de la Maternité.

La maternité permet aux femmes de vivre ce rapport à l’origine et à la transmission de la vie avec tout ce que cela comporte d’expérience de finitude et d’altérité, d’expérience d’amour, de joie et de don mais aussi d’expérience d’aliénation et d’oppression, de frustrations et de souffrances. Étant au coeur du mystère de la vie et de la mort, les femmes qui portent et enfantent les « petits d’hommes », savent concrètement la fragilité et la grandeur de l’être humain qui reçoit sa vie avant de la donner. Elles comprennent de l’intérieur que vouloir faire vivre un enfant est essentiel à sa dignité, mais expérimentent aussi douloureusement le paradoxe d’une vie qui se perd pour se donner.

L’expérience de maternité est un lieu unique pour saisir le mystère du Dieu qui donne la vie. Mais en même temps elle est aussi un lieu pour comprendre que la dignité de l’être créé à l’image de Dieu exige de le considérer avec respect comme un sujet et non comme un objet. Il faut bien voir que les interventions dans le champ de la transmission de la vie contribuent à objectiver te corps humain. Nouveau paradoxe : alors que l’être humain s’émancipe par rapport au déterminisme de la nature, et devient encore plus « sujet autonome », en même temps il se distancie de son corps, de son moi matériel. Se pose à nouveaux frais la question métaphysique de l’unité du corps et de l’esprit chez l’humain. N V aurait-il pas là une aliénation de soi ?

Les femmes qui ont vécu l’expérience d’être traitées comme des « moyens » pour la propagation de l’espèce sont bien placées pour prendre conscience de ce danger d’aliénation. Le ventre des femmes est plus qu’un « éco-système » reproduisible dans une éprouvette, plus aussi qu’un passage obligé mais secondaire ; c’est le lieu de l’ad-venir humain surtout par le fait que s’établit entre la mère et l’enfant une relation déterminante qui va au-delà du lien physique. La maternité peut aussi être pour les femmes le lieu d’une expérience d’altérité en même temps que de proximité qui permet un mode de relation humaine et humanisante. La maternité, n’est-ce pas aussi un lieu privilégié (même si guère reconnu jusqu’à présent) pour donner une signification au Dieu de la révélation chrétienne qui fait de l’humain son interlocuteur et partenaire ? L’Évangile ne nous parle-t-il pas dans ce sens de la dignité de toute personne humaine quels que soient son statut son sexe, sa religion… et d’un type de relation personnalisante ?

Aussi l’expérience de maternité et l’expérience chrétienne conjuguées sont un terrain riche de promesses où poser toutes les questions éthiques concernant la transmission et le développement de la vie humaine.