A propos du monothéisme androcentrique

A propos du monothéisme androcentrique

Yvone Gebara – Brésil

Note. Pour ne pas trahir la pensée de l’auteur, nous avons conservé le langage parlé dans l’écriture de ce texte.

Je vais traiter de la question des représentations sexistes de la théologie catholique à partir d’un point de vue. Les théologies, comme nous le savons, sont des essais de réponse à un certain nombre de questions. Elles ne sont donc pas neutres face aux attentes concrètes des différents groupes humains. Dans ce sens, la théologie chrétienne ne pouvait penser l’être humain en dehors des représentations sociales, politiques et culturelles du patriarcalisme.

Or, ce n’est pas une nouveauté de constater que l’anthropologie chrétienne favorise l’être dit masculin qui, considéré comme premier, détermine l’être féminin comme être second. Beaucoup d’encre a coulé, ces dernières années, pour expliciter les raisons de cette inégalité. On a cherché dans la tradition, la philosophie, les institutions ; on a dénoncé les comportements inégaux. A toutes ces observations, je voudrais ajouter un aspect que nous ne soulignons peut-être pas assez, du moins en Amérique latine.

A mon avis, un des éléments qui accentuent l’inégalité entre les hommes et les femmes vient de notre monothéisme androcentrique qui présente Dieu comme une personne unique, de sexe masculin, porteuse d’un désir et d’une volonté. Ce Dieu tout autre, tout-puissant, au-dessus de tout, règne sur tous. En ce sens, Dieu s’oppose à ce que nous appelons la nature et, jusqu’à un certain point, la culture. Ce monothéisme, né du patriarcat, a construit l’Orient et l’Occident.

Dans ce système, les femmes, considérées comme proches de la nature, sont donc reléguées au niveau structurel et jugées, par conséquent, comme moins parfaites et, d’une certaine façon, comme complices des réalités qui s’opposent à Dieu. La maison, le monde domestique, c’est le monde de la nature : faire la cuisine, laver, planter, avoir des enfants, les élever, c’est garder l’ordre voulu par Dieu le Père ; c’est maintenir, d’une certaine façon, sa transcendance au-dessus de tout. Or, dans notre théologie, les réalités de la nature doivent rester nature et, comme telles, être dominées. Il ne s’agit donc pas là d’un hasard.

C’est clair. La question du patriarcalisme est une question de structure et les tenants de ce patriarcalisme utilisent la volonté de Jésus pour légitimer cette structure. Jésus Christ, mis au môme rang que Dieu, est utilisé pour légitimer les propos des pouvoirs de l’institution cléricale qui continuent à dévaloriser les femmes . Je voudrais citer à ce propos un document romain où l’on peut lire, en parlant des ambiguïtés de la société moderne : « II est arrivé parfois qu’un féminisme mal compris porte à revendiquer le droit à prendre part à la vie de l’Église dans des ministères qui ne sont pas compatibles avec la structure hiérarchique selon la volonté du Christ » (document préparatoire au synode sur la vie religieuse, p. 36).

Mais qui peut dire quelle est la volonté du Christ ? De quel Christ s’agit-il ? Ceci n’est qu’un exemple qui rend compte de ce monothéisme androcentrique, patriarcal, présent dans la cosmologie et l’anthropologie catholiques, ce qui rend l’avènement de la liberté et de l’égalité entre les hommes et les femmes plus difficile encore. Aller au-delà de cette anthropologie semble être une condition pour retrouver nos racines humaines qui vont en-deçà et au-delà des représentations patriarcales qui nous ont été enseignées comme vérité pendant des siècles.

Je pense que les jalons pour de nouvelles relations entre les hommes et les femmes, au niveau de l’Église et de la théologie, viendront d’une part du dépassement des monothéismes personnels androcentriques, caractéristiques des religions patriarcales. Je dis, d’une part, car la situation ne relève pas que de l’ordre théologique. Elle relève aussi de l’ordre politique, social et culturel. La théologie n’est qu’un des aspects de cet ensemble de relations. Se restreindre au théologique, c’est en arriver à considérer les images de Dieu tout simplement comme des métaphores qui nous aident à nous dire à nous-mêmes. Finalement, parler de Dieu, c’est parler de la femme et de l’homme ; parler de Dieu, c’est parler de nos questions, de nos questions souvent sans réponse.

Dieu n’est pas un être comme je suis un être. Dieu, c’est une situation dans laquelle tout être humain est immergé. Accepter que de dire Dieu c’est dire quelque chose de soi-même, c’est aussi accepter de dire Dieu au pluriel, au-delà de Dieu-e (masc/fém). Cette façon de dire Dieu permettra l’avènement d’une nouvelle cosmologie, d’une nouvelle anthropologie qui dépassent le schéma dualiste d’où nous viennent tout le sentiment de culpabilité, tout le poids du péché et la peur de notre corps.

Dépasser le schéma dualiste qui nous a modelées pendant des siècles nous permettra d’engager un dialogue plus large avec différentes approches religieuses. Je pense que nous sommes fatiguées de ce discours de supériorité de l’Eglise chrétienne, de ce discours de supériorité des hommes par rapport aux femmes, du monde chrétien par rapport au monde païen. Nous, du monde chrétien, nous savons quelle est la volonté de Dieu. Ne sommes-nous pas le peuple élu, le sel de la terre, la lumière du monde, le levain dans la pâte ? C’est cette espèce de supériorité qui nous a caractérisées et dont nous avons été les complices, qui touche maintenant à sa fin. Je ne peux pas prédire que ça finira bientôt mais les premiers cris d’agonie se sont déjà fait entendre.

Alors je propose qu’on ose toucher le monothéisme dans son expression historique car toucher à ce genre de monothéisme, c’est toucher à la source d’un pouvoir hiérarchique et impérial qui semble de plus en plus opposé aux cris des hommes et des femmes crucifiés et opprimés du monde. Toucher le monothéisme, c’est proposer le vécu de la transcendance autrement. C’est accepter d’être habitées nous aussi, en tant qu’Église, par le non-savoir. Le patriarcalisme sait tout par rapport à cet être qu’il appelle Dieu. Nous, femmes, nous ne parlons pas de cet être, nous ne savons pas qui il est.

Proposer le vécu de la transcendance autrement, c’est interpréter autrement la tradition chrétienne pour la rendre plus significative aujourd’hui, plus vivable, plus en condition de dialogue. C’est la considérer non plus comme la Tradition mais une tradition parmi d’autres.