Les rapports sociaux de sexe selon le Catéchisme de l’Église catholique

Les rapports sociaux de sexe selon le Catéchisme de l’Église catholique

Denise Couture Bonne Nouv’ailes

Prologue 

J’ai fait un voyage dans un pays lointain et étrange. On y entend la voix de Dieu, une voix grave qui traverse le ciel. Je voulais profiter de mon séjour dans cette contrée pour demander à Dieu quelle direction il fallait donner à la quête d’une ekklèsia féministe, mais je compris très vite que la voix n’entendait pas les questions. Elle expliquait, plutôt, de façon ordonnée et articulée, les pensées auxquelles les habitants de ce pays devaient adhérer.

Dieu parlait de ses propres créations, de sujets tels la chute des anges, la rédemption, les sacrements de guérison… Il aborda aussi d’une certaine manière ce qui m’intéressait. Il expliquait quelle était la nature de l’homme, de la femme et des rapports entre ces deux créatures. Mais cet enseignement ne se faisait que par bribes longuement entrecoupées par plusieurs autres sujets. Tout se passait comme si la voix craignait de tirer les véritables conclusions de sa pensée. Je pensai que Dieu avait peur de la fée bleue des contes d’enfants : qu’il lui fallait maintenir son discours dans une ambiguïté suffisante pour pouvoir à la fois préserver quelques-unes de ses idées éternelles et échapper au courroux de la fée qui finirait bien, un jour, par entrer dans une grande colère et qui déciderait peut-être de la transformer en colombe qui virevolte dans le vent.

Je quittai ce pays amère et déçue. De retour à la maison, je trouvai sur une table une splendide baguette magique. Je croyais rêver… Une petite fée bleue apparut. Elle me salua et se présenta comme la fée des dents’ ! Les enfants de la maison se préparaient à accueillir les diablotins et les diablotines du quartier ; c’était le jour de l’Halloween. Je fis le voeu, ce jour-là, que les petites filles croient encore longtemps aux fées bleues qui sont en elles, au pouvoir qu’elles tiennent dans leur main d’imaginer et de faire leur liberté.

Le catéchisme

Jean-Paul II a ordonné la publication du nouveau catéchisme universel de l’Église catholique le 1 octobre 1992, jour du « trentième anniversaire de l’ouverture du deuxième Concile du Vatican » ‘ ‘. Ce fut lors du Synode des évêques, convoqué par Jean-Paul II à l’occasion, cette fois, du vingtième anniversaire de la clôture du concile, qu’émergea ce projet de rédiger « un catéchisme ou compendium de toute la doctrine catholique tant sur la foi que sur la morale » (p. 6).

L’intérêt du document pour une analyse féministe tient à ceci qu’il offre, pour la première fois depuis Vatican II, une synthèse officielle de la théologie doctrinale de l’Église catholique. On a en main un ouvrage long (le texte français comporte 676 pages) qui expose le système de pensée des théologiens romains développé sous le pontificat de Jean-Paul II. Il s’inscrit dans une action politico-théorique, de la part de Rome, qui consiste à sauter par-dessus les éléments réformateurs du concile Vatican II pour fondre en un grand tout cohérent des événements aussi différents que Vatican II et le concile de Trente ou que Vatican I et la nouvelle évangélisation. La stratégie discursive du catéchisme consiste à faire parler Dieu : « Dieu a créé… », « Dieu a voulu… ».

S’il fallait donner un nom à ce système de pensée, je l’appellerais une ‘nouvelle théologie classique1 : ‘nouvelle’ parce qu’elle s’autorise d’autorités et de langages nouveaux, mieux adaptés à la situation présente ; et ‘classique’ parce qu’elle repose encore sur une pensée de l’ordonnance divine de la hiérarchie des êtres.

La doctrine sur la nature des rapports entre l’homme et la femme est, également, à la fois ‘nouvelle’ et ‘classique’. Elle comporte les deux éléments suivants : 1) L’homme et la femme sont créés et voulus par Dieu égaux et complémentaires2. Voilà un langage renouvelé et adapté aux sensibilités culturelles de notre présent. 2) La femme est créée comme un secours pour l’homme (no. 1605, voir aussi no. 371). Voilà, cette fois, un effet de la pensée hiérarchique du catéchisme. Cette doctrine ne modifie pas la conception des dirigeants de Rome, mais il est intéressant de voir comment, dans le catéchisme, nouveauté et classicisme sont articulés, de voir ce qu’ils n’osent plus et ce qu’ils osent encore écrire à propos des femmes en 1992.

L’homme et la femme sont égaux

Cette thèse comporte deux aspects, l’un théologique (l’homme et la femme sont images de Dieu « avec une égale dignité », no. 2335), l’autre anthropologique (l’homme et la femme sont égaux « en tant que personnes humaines, no. 369).

« Être homme », « être femme » est une réalité bonne et voulue par Dieu : l’homme et la femme ont une dignité inamissible qui leur vient immédiatement de Dieu leur créateur. L’homme et la femme sont, avec une même dignité, « à l’image de Dieu ». Dans leur « être-homme » et leur « être-femme », ils reflètent la sagesse et la bonté du Créateur (no. 369).

Au plan théologique, l’homme et la femme, les deux, sont images de Dieu et peuvent participer à l’ordre du salut3. Cette égalité n’a cependant pas d’incidence dans l’ordre social. Elle signifie seulement que Dieu a créé l’humanité, homme et femme (no. 2331).

Au plan anthropologique, le catéchisme introduit une référence à la théorie moderne des droits fondamentaux de la personne humaine et cite le texte bien connu de Gaudium et spes : Toute forme de discrimination touchant les droits fondamentaux de la personne, qu’elle soit fondée sur le sexe, la race, la couleur de la peau, la condition sociale, la langue ou la religion, doit être dépassée comme contraire au dessein de Dieu » [GS 29,2] (no. 1935).

Selon le catéchisme, l’égalité des humains signifie qu’on doit leur reconnaître une égale dignité humaine : « L’égalité entre les hommes (sic !) porte essentiellement sur leur dignité personnelle et les droits qui en découlent » (no. 1935). Mais ces droits sont si fondamentaux, selon le catéchisme, qu’ils « sont antérieurs à la société » (no. 1930). Ainsi, malgré sa référence aux droits de la personne, aux droits légitimes des hommes et des femmes, la notion anthropologique d’égalité n’ajoute rien à la notion théologique. Elle signifie aussi, seulement, que « Dieu donne la dignité personnelle d’une manière égale à l’homme et à la femme [Familiaris consort», 22] » (no. 2334).

En somme, la notion d’égalité de l’homme et de la femme, dans le catéchisme, précède l’ordre social, tout comme la possibilité d’accéder au salut, la dignité humaine et les droits fondamentaux. Elle ne signifie rien de plus que ceci : ni l’homme, ni la femme ne sont des animaux. Les deux sont des humains. La nature des rapports sociaux entre l’homme et la femme est explicitée par une autre notion, dans le catéchisme, celle de la complémentarité.

L’homme et la femme sont complémentaires : la femme est un secours pour l’homme

Selon le catéchisme, Dieu a instauré une « hiérarchie des créatures » (no. 342) que l’on reconnaît dans le récit de la création en six jours, il a voulu que l’homme soit « le sommet de la création » (no. 343) et il a voulu la complémentarité entre toutes les créatures : ‘l’interdépendance des créatures est voulue par Dieu. (…) [Les créatures] n’existent qu’en dépendance les unes des autres, pour se compléter mutuellement, au service les unes des autres » (n. 340).

Ma question : quelle place occupe la femme dans cette hiérarchie des êtres voulues par Dieu ? Le langage sexiste du document, qui fut rédigé en français, crée une ambiguïté. Le mot ‘homme’, dans « l’homme est le sommet… », est-il employé au sens générique (homme et femme) ou au sens spécifique (humain de sexe masculin) ? Comment comprendre la complémentarité de l’homme et de la femme ?

La théologie classique plaçait la femme entre l’homme et les animaux dans l’ordre hiérarchique et fondait cette position sur le récit biblique du deuxième chapitre de la Genèse, alléguant que la femme, tirée de la côte de l’homme, avait été créée par Dieu la deuxième. On ne trouve pas cet argument dans le catéchisme. Au contraire, l’homme et la femme sont « créés ensemble » (no. 371). De plus, les théologiens romains citent l’autre récit biblique de la création, celui du premier chapitre de la genèse : « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu II le créa, homme et femme II les créa » (Gn 1,27) (no. 355, voir aussi no. 2331).

On lit tout de même ceci dans le catéchisme :

« II n’est pas bon que l’homme soit seul. Il faut que Je lui fasse une aide qui lui soit assortie » (Gn 2, 18). Aucun des animaux ne peut être ce « vis-à-vis » de l’homme (Gn 2, 19-20). La femme que Dieu « façonne » de la côte tirée de l’homme et qu’il amène à l’homme, provoque de la part de l’homme un cri d’admiration, une exclamation d’amour et de communion : « C’est l’os de mes os et la chair de ma chair » (Gn 2,23). L’homme découvre la femme comme un autre « moi », de la même humanité (no. 371 ).

Cette interprétation est un exemple insigne d’un regard androcentrique, d’une conception qui adopte le point de vue de l’homme. On ne demande pas comment l’homme et la femme sont complémentaires, mais plutôt comment la femme est complémentaire de l’homme, comment elle le complète. Selon le catéchisme, donc, Dieu crée la femme parce que l’homme a besoin d’une semblable en humanité. « La femme, ‘chair de sa chair’, c’est-à-dire son vis-à-vis, son égale, toute proche de lui, lui est donnée par Dieu comme un ‘secours' » (no. 1605). Le catéchisme ne précise nulle part, à ma connaissance, de quel secours il s’agit. Nous savons seulement que la complémentarité des sexes doit viser l’harmonie dans le mariage :

II revient à chacun, homme et femme, de reconnaître et d’accepter son identité sexuelle. La différence et la complémentarité physiques, morales et spirituelles sont orientées vers les biens du mariage et l’épanouissement de la vie familiale. L’harmonie du couple et de la société dépend en partie de la manière dont sont vécus entre les sexes la complémentarité, le besoin et l’appui mutuels (no. 2333).

Les théologiens ne tirent pas les conclusions que la théologie classique pouvait tirer sans scrupule de ce qui précède. La fonction de « secours » de la femme était comprise comme celle d’assurer à l’homme une descendance. La femme était pour l’homme une auxiliaire en vue de la procréation. On peut conclure seulement, à propos de la doctrine du catéchisme de 1992, que la notion androcentrique de « complémentarité » comporte l’idée générale d’un « secours » apportée par la femme à l’homme.

En somme, l’égalité de l’homme et de la femme n’a, dans le catéchisme, aucune incidence sur le plan social puisqu’elle signifie une égalité en dignité humaine. La complémentarité implique cependant un rôle social d’aide assignée à la femme. Cette ‘nouvelle théologie classique’ justifie le principe de la subordination sociale de la femme sans préciser son contenu. Elle expose une doctrine classique dans des mots modernes qui permettent de la camoufler. Lemploi stratégique des expressions bien reçues ‘égalité’ et ‘complémentarité’ occupe la fonction stratégique d’épargner aux théologiens romains d’avoir à tenir un discours clair et explicite sur la subordination sociale du groupe des femmes par rapport au groupe des hommes.

La femme, égale et complémentaire ? Il faut rejeter ce discours, le démasquer, montrer son caractère intolérable. Les mots égalité et complémentarité sont piégés et si des féministes devaient elles-mêmes employer ces expressions, ne doivent-elles pas le faire avec la plus grande précaution ?

1 Catéchisme de l’Église catholique, Paris, Marne-Librairie éditrice vaticane, 1992, 676 p. ; p. 9. Les numéros entre parenthèses dans le texte renvoient à cette édition.

2 L’homme et la femme sont créés « l’un pour l’autre » (no. 371, 372, 1605), « à la fois égaux en tant que personnes (‘os de mes os’) et complémentaires en tant que masculin et féminin » (no. 372).

13 pour une analyse de cette thèse chez Thomas d’Aquin et Augustin, voir Kari Elisabeth Bôrresen, « Fondements anthropologiques de la relation entre l’homme et la femme dans la théologie classique » : Concilium 111 (1976) 27-39. Sur cette question, le catéchisme de 1992 n’ajoute rien à la théologie classique sinon l’emploi stratégique du mot « égalité ».