CHRONIQUE D’UNE MILITANTE

ANNE-MARIE DE LA SABLONNIÈRE

Anne-Marie de la Sablonière est âgée de 28 ans et mère d’une petite fille de 4 ans nommée Cassandre. Elle travaille au CPRF (Carrefour de participation, de ressourcement et de formation). Nous l’avons saisie au beau milieu d’une fin de semaine extrêmement occupée puisqu’elle travaillait avec le Bloc d’action mondiale des peuplesà la préparation des actions de résistance au Sommet des Chefsqui a eu lieu la semaine du 20 août dernier, à Montebello. Anne-Marie fait aussi partie d’un groupe de Sorcières , se définissant comme féministes radicales, en lutte contre le patriarcat, l’état et le capitalisme. Quand nous lui avons demandé comment elle vivait sa spiritualité, elle a levé un sourcil, un brin sur la défensive. Elle nous dit vivre sa spiritualité et son ressourcement dans la vie de groupe.

Aux filles des Sorcières, à Marc mon ami d’enfance, à Benoît mon complice du communautaire, à Manu, mon amante, à Mélanie ma « coach » de mère célibataire, à Yannick co-parent et à Nelson, Guy, Louise et Michel, collègues du CPRF.

Mes très chères et chers amis,

Une chronique un peu spéciale ce soir. Je vous sors de mes cadres habituels. Ce sera plus long, plus politique. Je vais revenir à la base de mon engagement militant. Ce sera un peu redondant pour certaines mais pour d’autres, je vous montrerai une partie de moi que vous ignorez peut-être… Je médite cette chronique depuis quelques temps, elle me pèse, je cherche les réponses, je dois revenir au sens profond de mon engagement pour me rendre au bout… à Montebello, lundi prochain.

J’ai un prétexte ce soir, ça va vous faire sourire…. Je fais une présentation demain au colloque de L’autre Parole, une collective féministe chrétienne de réapropriation et de réécriture. Les chrétiennes et les chrétiens ont presque toujours accompagné ma route. C’est mon petit côté exotique de militante féministe radicale anarchiste et anticapitaliste. J’y reviendrai.

Donc, mes amies et amis, un peu de changement ce soir, pas d’élan philosophique sur ma nouvelle vie de femme lesbienne (là je viens de faire mon coming out chez les chrétiennes, j’ai probablement les mains toutes moites), ni de récits de voyage ou d’anecdotes sur ma petite puce adorée…. Mais  pour le reste, c’est comme d’habitude. C’est pas bidon, je vous écris pour vrai et c’est tout moi : les tripes su’a table.

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Donc, allons-y. Il faut que je me reground parce que ce soir, j’avoue que j’ai les blues, mon corps flanche, il m’abandonne, non il m’ordonne. Je suis vannée, j’ai une sinusite qui me fait affreusement mal. Je mange peu et mal, je suis stressée. Je vis beaucoup de culpabilité, maternelle, professionnelle, militante et par rapport à mes amies. Hier j’étais tellement fatiguée que j’en avais la nausée, j’ai essayé de manger mais ça ne rentrait pas, j’ai essayé de dormir, ça marchait pas.

C’est le sprint, organiser un mob de cette ampleur en un mois, les deux dernières semaines se sont avérées assez épuisantes. J’en ai même battu mon record perso : une réunion jusqu’à trois heures du matin, un samedi soir !

J’étais en colère parce que je me sentais limitée. J’ai manqué la réunion ce soir là. Anaway, j’avais ma fille .

Ma fille, ma Cassandre, ma puce…. Elle est bien patiente parce que maman a beaucoup de réunions ces temps-ci et que souvent, quand on se retrouve après quelques jours, j’ai pu de jus…. (Je concentre le plus possible mes engagements durant les temps où je n’ai pas la garde.) Un baume : je me rappelle ce que Manu m’a dit ce matin  » T’es une mère occupée, pas une mauvaise mère ».

Et dans tout ça, un peu de temps pour la tendresse ? Je me trouve pathétique quand les seuls rendez-vous que je peux offrir c’est vers 22h30 après une réunion et que le lendemain je dois me sauver à 8 heures pour la réunion du travail…

Je me sens comme lorsque j’étais dans le mouvement étudiant, sauf qu’à cette époque, je choisissais d’échouer mes cours, mais là, je peux pas faire ça avec ma job

Le prix de la désobéissance n’est pas le même pour tout le monde !

C’est bizarre, il me vient tout d’un coup une image de Simone Monet, acharnée malgré une santé fragile.

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Vous êtes sûrement un peu perdu, prenons ça du début, (je ne me souviens plus comment ça s’appelle dans les livres quand on fait un retour en arrière dans le temps).

De très loin, je me souviens de m’être définie comme militante. Le politique m’intéressait.

Mon initiation, les mouvements d’action catholique, mettons que c’est pas  la première chose que je raconte dans un salon d’anarchistes. Pour une femme de ma génération (pour celles que ça intéresse, je suis de la cuvée 1979) c’est assez inhabituel. Je m’accommodais assez bien de laisser  l’animateur de pastorale parler de Jésus pendant cinq minutes pour profiter de tous les autres avantages du mouvement. J’aimais la confiance qu’on nous accordait, la réelle considération de nos opinions qu’on nous démontrait, à nous, jeunes, qui n’avions jamais la parole. Très rapidement, j’ai « gradé » dans le mouvement.  Une foule d’opportunités s’ouvrait à moi. Peu de mes collègues militantes et militants ont eu la chance de maîtriser les procédures d’assemblées délibérantes et de coanimer un camp de formation à 15 ans !

Je vous avoue, j’aimais aussi les temps de célébration (là, pour ma gang d’amies, c’est une révélation). C’est pas ce qui se dit ou ce qui se fait, c’est le groupe, c’est l’énergie, ça a quelque chose de transcendant. En Psychosocio, on dit  » le tout est plus grand que la somme de ses parties ».

Ces quelques moments de grâce furent pour moi comme un genre de révélation. La force du groupe, la force d’être ensemble. Quel potentiel ! Quelle force pour changer le monde !

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Graduellement, j’ai pris mes distances des mouvements d’action catholique. De plus en plus, le compromis de l’identité chrétienne était lourd à porter. À 18 ans, je me suis impliquée dans l’association étudiante.  J’étais efficace, j’ai fait ma place. Ce fut aussi mes premiers contacts avec les radicaux et avec le féminisme.

De l’énergie et de la saine colère, des clés pour comprendre le monde, des mots pour m’expliquer pourquoi c’est injuste.

On est en 1997, c’est l’année du plan G, une grande action de désobéissance civile qui vise à bloquer le complexe G à Québec. J’y étais. En 1998, on commence à parler de mondialisation, c’est la lutte contre l’AMI, encore désobéissance civile.

Ces deux actions sont à jamais gravées dans ma mémoire. Quoi que je les relativise beaucoup aujourd’hui et que je suis maintenant ailleurs. Lorsque je passe à côté du complexe G et de l’hôtel Sheraton, j’ai encore des frissons, dix ans plus tard. Je me souviens, on dansait en 97 après que l’on ait appris que l’immeuble allait être fermé pour la journée. En 1998, j’ai eu peur mais on s’est couché sur l’asphalte chaude pour essayer d’empêcher les hommes d’affaires d’entrer.

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Bref, ma réponse à la mondialisation à toujours été radicale. Mais revenons-en à aujourd’hui. Il faut que j’aboutisse, j’ai un de ces maux de tête ! Ma vie militante de 1998 à 2007 ça sera pour une autre fois.

J’avais envie et besoin de me sentir vivante, de me faire confronter dans mes idées. Je me sentais d’attaque pour apprivoiser un nouveau milieu, retravailler avec des gars, travailler en coalition large…

C’est que dernièrement, j’ai milité quasi exclusivement en groupe affinitaire et entre femmes. En tant que déléguée des Sorcières, j’ai joint la coalition du bloc AMP (Action mondiale des peuples) en vue de participer à l’organisation des manifestations à Montebello de cette semaine.

Trente courriels par jour ; d’heure en heure tout peut changer. Juste le temps de me démêler dans ‘qui est qui’ et ‘qui fait quoi’ ça m’a pris un mois !
Difficile, refaire mes preuves, gagner la confiance des personnes, m’approprier une nouvelle culture d’organisation…  J’ai commencé par m’occuper du lunch, puis prendre les notes, ensuite les tours de paroles, puis animer. En cours de route, j’ai intégré le comité scénario, le comité qui a pour mandat d’organiser la manif.

En moins d’un mois, 15 personnes devaient apprendre à travailler ensemble. Pas facile.

Au début de la semaine, j’étais pleine de rage : voici ce que j’ai répondu à une amie qui faisait référence au commentaire de quelqu’un lors d’une réunion la veille :

« Merci beaucoup, Je suis contente que quelqu’une l’ait remarqué. J’avoue que je prends ça assez ruff. Mettons que me faire dire que je peux pas faire quelque chose parce que je n’ai pas d’expérience c’est pour moi la pire insulte ! Même au travail, dans le communautaire réfo, où je me bats au quotidien contre l’âgisme et où moi femme et mère de pas encore 30 ans j’essaie de faire ma place, on ne me tasse pas comme ça.

En fait, je sais que je suis nouvelle et je sais me taire et écouter quand il faut, j’essaie pas de faire ma petite Jo connaissante. Ce qui me fait chier c’est que j’ai l’impression que pour avoir de la crédibilité il faut être une grande gueule en réunion. Non, je ne suis pas une grande gueule en réunion, surtout quand je sens que chaque réplique est un test. Personne ne s’est posé la question sur l’expérience de qui que ce soit d’autre. C’est pas que je tenais à cette tâche.

Le pire, c’est qu’il était bête oui, mais sur le fond, il a dit ce que la majorité du comité pensait. Criss de milieu élitiste !

C’est pas pour tout le monde ce milieu ! De toute façon, je suis vraiment folle de conjuguer ça avec mes autres responsabilités de mère et de travail : j’arrive pu à être 100 % partout, et dans cette maudite organisation y faudrait que je le sois à 150 % !

Même ce que je suis habituée de faire, on dirait que je le fais pu bien. Mon animation était vraiment poche cet après-midi !

Il faut que je me calme si je veux pouvoir continuer. J’ai pas envie d’en parler au comité avant la fin.

S’cuse, je suis super émotive, fatiguée et malade (Cassandre aussi).

Toi aussi je suis certaine, merci encore, avec toi, c’est vraiment super de militer. On se voit souvent mais on se voit pas vraiment, on a même pas le temps de se donner des nouvelles pendant les pauses parce qu’on prend même pas de pause !

Bon, je suis vraiment en mode négatif, je pense que je vais m’arrêter là. J’ai une réunion téléphonique dans 10 minutes !

Prends soins de toi, merci encore,

Amitiés,

Gerboise  »

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Mais là, j’avoue que je dois dire qu’on a fait des progrès comme groupe. Ils et elles me manquent, je commence même à m’attacher au grognon.

C’est la vraie vie, c’est aujourd’hui. Dans 10 ans, probablement que je  repenserai à Montebello et que le poil  des jambes va me dresser.

***

Il est 23h30, ça fait déjà un moment que je vous écris. J’aurai plein d’autres choses à dire, notamment, sur la magie des  contacts et des alliés. Autour de cette mob, on a rencontré plein de gens de la place proche de notre cause, le cœur grand et généreux qui nous aident malgré la pression  des forces de l’ordre. Y a aussi les féministes qui sont extraordinaires, je découvre aussi la richesse de militer avec des personnes d’origines diverses.

Je suis fatiguée mais la bonne humeur m’est revenue en vous écrivant. Je vous raconterai comment les femmes vont recevoir tout ça demain. En dormant, je devrais bien trouver une bonne question de départ….

bise féministe,

Gerboise résiliante

Épilogue :

On est allé à Montebello…. On était contente et content de notre journée. De retour à Montréal, là, on était euphorique…on sentait le gaz lacrymogène, la boite de mouchoir trônait entre les pichets. Le lendemain, j’étais au bureau à 9h00. Le retour à la réalité a été difficile mais j’étais vraiment sur un high. Il nous a fallu un bon deux semaines avant que le comité scénario puisse se revoir pour débriefer. Ce qui nous a fait du bien, c’était de prendre le temps d’être ensemble.. On s’entend là-dessus, avec le mandat qu’on avait, organiser une manif en campagne avec une annonce de force policière massive, on était fier et fière de ce qu’on avait accompli. Aujourd’hui, on se croise à l’occasion, mais nous sommes retournés à nos groupes d’appartenance. Pour ma part, je reviens au féminisme radical…. jusqu’à la prochaine fois !