Jeune adulte, engagée et croyante

MARCELA VILLALOBOS CID

Marcela Villalobos Cid, 28 ans, est née au Mexique, où elle a été impliquée dès son adolescence avec des groupes de jeunes dans le combat pour la justice sociale dans un contexte de théologie de la libération.

Croyant que la loi peut être un outil pour construire la justice, Marcela fait ses études en droit, après quoi, notre jeune avocate s’implique dans les droits humains auprès des indigènes dans des régions telles  que le Chiapas et Oaxaca. Arrivée à Montréal il y a plus de quatre ans, elle a étudié à Concordia en Développement économique communautaire. Elle travaille présentement comme Agente de Pastorale Sociale dans le Centre-Sud de Montréal.

« Peut-être ne verrons-nous jamais les résultats obtenus, mais voilà bien la différence entre le maître d’œuvre  et les travailleurs. Nous sommes les travailleurs (les travailleuses), et non les maîtres de la construction, les ministres et non les messies. Nous sommes les prophètes d’un avenir qui ne nous appartient pas. »   Monseñor Romero

Quand Marie-France Dozois et Carmina Tremblay m’avaient invitée à participer au Colloque de L’autre Parole j’étais très intéressée, sauf que je ne savais pas que ça serait aussi pour faire un petit exposé, présentation, partage (appelez ça comme vous voulez) sur mon expérience du féminisme, de l’altermondialisme et du christianisme, quelque chose dans le genre : Est-ce qu’on peut être une jeune adulte, engagée et croyante ? À ce moment là, j’ai eu un peu peur et je me suis dit : « Eh bien, je vais me faire manger mais je vais prendre le risque pareil »… Soyez miséricordieuses, s.v.p. J’ai alors commencé à penser comment aborder le sujet. Quelle est mon expérience du féminisme, de l’altermondialisme et du christianisme ?

Il faudrait commencer par le début. Qui suis-je ? D’où je viens ? Moi, je suis une femme mexicaine qui a grandi dans une famille de classe moyenne, très traditionnelle, dans un État très conservateur du Mexique… et très hypocrite. Fille de parents protestants qui se sont convertis au catholicisme, élevée par des sœurs traditionnelles de chez nous et des frères maristes libéraux. Le premier rôle de femme que j’ai connu est celui de ma mère. Ma mère est une femme extraordinaire, une personne de parole et d’action. À la maison, il n’y avait pas de différences : mon papa et mes frères devaient participer aux tâches ménagères et aux services de la maison. Elle n’a pas fait de « grandes études », par choix, elle a décidé de rester à la maison, ce qui ne l’a pas empêchée, d’après ce dont je me souviens, de faire du bénévolat auprès des femmes paysannes de chez nous. Elle avait collaboré à un projet appelé Travail avec dignité qui consistait à donner du travail aux femmes pour qu’elles puissent avoir un revenu indépendant de leur mari. Un autre volet de ce projet consistait à donner des ateliers de santé et de régulation des naissances, car les femmes à la campagne étaient fatiguées de ne pas avoir le droit de décider combien d’enfants elles voulaient, ce qui les a menées à une confrontation directe avec leurs maris. Ce qui m’a toujours frappée, c’est que ma mère était une femme engagée au quotidien, critique et tolérante. Elle a été aussi le soutien de mon père, sa complice, sa compagne.

J’ai commencé à me questionner sur les visages du féminisme en Amérique Latine et plus précisément au Mexique. C’est sûr que nous avons plein de femmes qui ont lutté : Rosario Castellanos, Elena Poniatowska, Angeles Mastreta, Guadalupe Loaeza, Rosario Ibarra entre autres. Toutes ces femmes viennent de la classe moyenne et ce sont des femmes qui ont eu accès à l’éducation, qui prennent l’espace public et qui vont militer. Toutefois, il y en a d’autres plus cachées qui luttent au quotidien pour améliorer leur situation et celles des leurs. Par exemple, Doña Macedonia Blas Flores, une femme indigène de chez moi, qui appartient à l’ethnie ñañhú. Elle travaille pour conscientiser les femmes de chez elle (à la communauté El Bothe, Amealco, Querétaro) pour avoir une vie plus digne : accès à la santé, à l’éducation, pour arrêter la violence intrafamiliale et le racisme. En 2005, elle avait reçu le prix Nobel de la paix pour l’organisation suisse Mille Femmes de Paix.

Je pense aussi à un autre groupe de femmes que j’ai connu quand j’étais à l’université : les femmes zapatistas. Elles se sont organisées pour résister et lutter afin d’avoir des coopératives menées par les femmes (et avoir un revenu indépendant de leur mari). Elles ont organisé des ateliers de médecine traditionnelle, des ateliers de régulation des naissances, elles ont lutté pour avoir le droit de se promener d’un village à l’autre pour visiter leur famille. Ce qui me frappe dans ces femmes, c’est qu’elles font ce travail de résistance au quotidien en plus de leurs tâches de tous les jours. Il me semble que leur résistance est très créative et remplie de vie. Elles ne viennent pas « voler » ou « enlever » la place des hommes, au contraire, elles travaillent pour avoir une condition de vie égale. Un autre groupe de femmes est le groupe qui s’est formé à cause des assassinats à Juarez, chez nous.

En ce qui concerne l’altermondialisme, il me semble que toute personne qui s’engage pour lutter contre le modèle néolibéral est altermondialiste. Alors, les personnes qui travaillent dans le domaine de l’écologie, de la paix, du dialogue, des droits de la personne, de l’éducation populaire, de la justice sociale ce sont des altermondialistes. Je pense qu’on ne se lève pas un jour et on se dit « voilà, je suis un altermondialiste ». Je pense que la prise de conscience est un long processus et qu’on le devient au quotidien, selon chaque geste qu’on pose et selon chaque lutte collective qu’on soutient. Dans mon cas, j’ai commencé grâce à mon implication auprès des zapatistas et de la défense des droits de la personne au Mexique. Participer à des marches pour la démilitarisation du Chiapas, contre le Plan Puebla Panama, etc. était important mais c’est important aussi de travailler au quotidien : participer à des campagnes de sensibilisation à la population, signer des pétitions, etc. Si nous sommes des altermondialistes, c’est important de manifester mais aussi de proposer d’autres alternatives selon les besoins des gens.

Et la foi ? Bon, je pense que le moteur qui a animé tout mon cheminement c’est la foi. J’ai eu la chance de grandir dans un contexte de Théologie de la Libération et j’ai pu voir un autre genre d’Église, une Église engagée et engageante, une Église proche des plus pauvres et démunies mais aussi conscientisant les classes plus nanties. Chaque jour c’est une opportunité d’agir à la lumière de l’Évangile et d’essayer de construire le Royaume. La foi me donne des lunettes différentes pour comprendre la société et le monde, elle me donne surtout de l’espoir, chose que je trouve très importante pour l’époque où nous sommes. C’est sûr que j’ai eu des étapes à franchir pour  grandir dans ma foi, je dirais que j’ai commencé un peu comme tout le monde : j’ai vu une situation d’injustice et cela m’a touchée. Alors, j’ai commencé à m’impliquer menée par la pitié et la charité. Il m’a fallu aller plus loin dans ces sentiments et commencer à me questionner et questionner le système. Alors, c’est la foi et la justice au quotidien qui importent et une fois que nous avons goûté à ça, c’est très difficile de quitter. Cela m’aide aussi à élargir mes horizons et à comprendre que même s’il y a beaucoup de gens qui se disent d’une autre confession ou sans confession, ce n’est pas grave, nous sommes en train de travailler pour la même cause et je suis certaine que tout ce monde est animé par un Esprit d’amour, de justice, de solidarité et de fraternité. La spiritualité d’où je viens (une spiritualité latino-américaine) c’est une spiritualité qui rentre par les pieds, qui s’engage au quotidien, qui marche au milieu d’un peuple, qui garde l’espoir, qui invite tous et toutes à marcher ensemble, qui fête les victoires et qui analyse les échecs.

Essayer de suivre Jésus de Nazareth ce n’est pas facile car cela veut dire assumer sa cause et vivre selon son Esprit. Ça questionne notre vie et ça nous confronte mais c’est aussi une invitation à avoir une vie plus digne et plus pleine, à devenir plus humaine chaque jour. Une fois que nous avons dit « oui, j’embarque » nous ne pouvons pas reculer mais nous pouvons marcher avec un pas plus solide et plus ferme car nous ne sommes pas seules, nous sommes un peuple qui rêve l’utopie du Royaume et qui essaie de le faire advenir au quotidien.

Que le Souffle Divin continue de nous accompagner, de nous éclairer et nous donner la force et le courage de transformer notre société où toutes les personnes auront une place digne et abondante.