DÉMARCHE POUR UN ENGAGEMENT SOCIAL

DÉMARCHE POUR UN ENGAGEMENT SOCIAL

Lucie Lépine – bibliste

Y a-t-il de la pauvreté au Québec ? Si l’on compare avec des pays comme l’Ethiopie, la réponse est non. Car ici on cache la pauvreté. On nous parle même de croissance économique. Je réalise qu’on peut passer sa vie à ne pas voir la réalité ou à ne pas vouloir l’accepter car elle dérange. Essayons de revoir ensemble la réalité des appauvri-e-s par le biais de la pauvreté des femmes, d’analyser les causes de cet écart grandissant entre riches et pauvres, de creuser nos motivations pour un agir efficace.

I – Voir : la féminisation de la pauvreté

Malgré que les femmes soient de plus en plus présentes sur le marché du travail, de plus en plus organisées sur de multiples fronts, nous ne pouvons que constater l’accroissement de leur pauvreté et de leur dépendance économique.

Saviez- vous que…

-La proportion des femmes sur le marché du travail canadien a augmenté.

Elle est passée de :

28 % de l’ensemble de la main-d’oeuvre en 1961 à

44 % de l’ensemble de la main-d’oeuvre en 1988

-Pourtant les femmes s’appauvrissent ; ainsi, en 19861 :

• Au Québec, leur revenu moyen atteint à peine 57,5 % de celui des hommes

• Le revenu d’emploi moyen des femmes atteint 60 % de celui des hommes

• Elles représentent 57 % de l’ensemble des pauvres du Canada alors qu’elles ne comptent que pour 51 % de l’ensemble de la population

• 4 familles sur 10 dirigées par une femme sont pauvres tandis qu’une seule famille sur 10 dirigées par un homme est pauvre

• Les femmes cheffes de famille gagnent 9 000$ de moins que les hommes chefs de famille

• 21,5 % des travailleuses occupent un emploi à temps partiel, comparativement à seulement 6 % des travailleurs

• Dans le réseau de l’éducation, l’emploi des femmes a connu une réduction de 17 % ; chez les hommes, 12 %

• 15 % de la population active travaille bénévolement 55 % de ces bénévoles sont des femmes

– Le travail bénévole des femmes assurait au capital environ 85 milliards, au Canada, en 1982

– Le taux de chômage des femmes se situe à 13,3 %, celui des hommes à 12,5 %

– 20 % de l’ensemble des bénéficiaires de l’aide sociale sont des femmes cheffes de famille

–         3 femmes âgées sur 5 vivent sous le seuil de la pauvreté

De plus, la stratégie de réduction du déficit se concrétise non seulement par des augmentations directes et indirectes d’impôts pour les individu-e-s mais aussi par des réductions de programmes sociaux. Qui sera appelé pour combler les services manquants ? Les femmes, au premier chef.

Le libre-échange et les femmes

Ce virage se fonde sur la réduction des dépenses du secteur public et implique un désengagement de l’État pour laisser libre cours aux forces du marché.

Les secteurs « mous » de l’économie, où les femmes représentent 42 % de la main d’oeuvre industrielle, seraient les plus vulnérables face à une politique du libre-échange.

Il est aussi permis de s’interroger sur les conséquences du libre-échange dans le secteur des services, ce champ de l’activité économique qui concentre pas moins de 80 % de l’emploi féminin.

Les femmes et la loi C-21

Des mesures telles que : la réduction des prestations, la prolongation de la période de qualification, la réduction de l’admissibilité… ne viendraient qu’aggraver le sort des personnes au bas de l’échelle des revenus, catégorie où les femmes sont surreprésentées. Sans compter que la prolongation de la période de qualification pour recevoir I’assurance-chômage en rendrait l’accès encore plus difficile pour les salarié-e-s qui ont des emplois temporaires ou à temps partiel, emplois majoritairement occupés par des femmes.

Les femmes et la loi 37

Rappelons que 22 % de l’ensemble des ménagés qui vivent de l’aide sociale sont des familles monoparentales. C’est dire qu’avec la baisse des barèmes, depuis le 1 er août 90, les femmes et leurs enfants vont s’appauvrir davantage et ressentir plus durement encore l’effet des coupures sur leurs conditions de vie.

Coupures dans les services

Les femmes sont les principales utilisatrices des services publics : garderies, transports, services de santé, services sociaux. Avec la crise, les besoins se sont accrus. Pensons simplement aux milliers de familles ou de personnes en attente de services sociaux : vieillards à placer ; familles éclatées ; femmes battues, victimes de viol ou d’inceste ; enfants maltraités… toute diminution des services et toute restriction à leur caractère public et universel ont un effet néfaste sur la qualité de vie des femmes.

De tous côtés, les femmes sont coincées. On cherche non seulement à les exclure de la vie économique, mais on les force à assumer, dans le privé de leur maison, des services auparavant supportés par l’État. Qui, par exemple, fera les frais de la désinstitutionnalisation ?

Des causes ?

 nomie de marché basée sur le profit et la création de besoins artificiels est un système de mort. C’est un système qui récompense les forts et punit les faibles, qui crée un fossé sans cesse grandissant entre les riches et les pauvres. Quelques millions de personnes dominent le reste du monde. Et toute la vie est réglée par le marché. Pedro de Oliveira disait au Congrès de l’Entraide : une nouvelle religion est apparue, c’est le fétichisme de la marchandise. Un nouveau sacré est apparu, c’est l’argent, le capital. De nouvelles cathédrales ont été bâties, ce sont les « centres d’achat ». Un message est véhiculé par une telle société : le bonheur est la capacité de consommer. Essayons d’imaginer la frustration vécue par des personnes qui ne peuvent se payer ce qui est vendu comme « le bonheur ».

Il faut se dire que cette exploitation n’est possible qu’avec la complicité, le silence de la majorité. On n’a pas le droit de se taire. Mais pour agir, je crois qu’il faut redécouvrir les racines morales de notre engagement.

Il – Creuser nos motivations

En quel Dieu croyons-nous ?

-Notre Dieu, c’est le Dieu de l’Exode, le Dieu de la liberté, c’est le Dieu qui veut des êtres humains égaux, en santé et debout.

-Notre Dieu, c’est le Dieu d’Amos, un Dieu qui ne veut pas de culte sans engagement pour la justice.

-Notre Dieu, c’est un Dieu communautaire. Ce qui implique un salut collectif et de toute la personne. On ne se sauve pas seul-e et on ne sauve pas une partie seulement de notre personne (notre âme). Être sauvé, pour quelqu’un qui est malade, c’est retrouver la santé. Etre sauvé, pour quelqu’un qui n’a pas de logement, c’est en trouver un. Etre sauvée, pour une femme, c’est être reconnue…

-Notre Dieu, c’est le Dieu de Jésus qui a su faire espérer des gens qui n’avaient plus aucune raison d’espérer.

Lien entre foi et engagement

-Être chrétienne et ne pas s’engager politiquement c’est une contradiction car la foi n’est pas seulement une motivation mais la motivation à notre engagement. En effet le projet de Dieu n’est-il pas la communion entre les êtres humains ? Et la politique n’a-telle pas tout à voir avec les rapports entre les êtres humains ?

-Les passions de la foi sont : la communion, la fraternité, la justice, l’égalité, la liberté, la solidarité, la dignité, le développement intégral.

-Il faut rêver d’égalité sociale et partager ce rêve avec passion.

-Julio Girardi disait récemment que l’hypothèse d’une société autre est une hypothèse féconde car elle nous fait explorer des chemins nouveaux tandis que l’hypothèse du fatalisme est mortelle. Pendant qu’on cherche une alternative, des choses changent déjà, au niveau personnel, au niveau collectif.

-Il faut apprendre à lutter dans un climat d’incertitude, sachant que notre hypothèse n’est pas sûre, mais qu’elle n’est pas impossible.

-Penser « dignité des personnes » plutôt que penser « profit » influence notre action et notre comportement.

-Je pense qu’il importe de découvrir le combat politique pour rendre l’amour historiquement possible. Mais comment ?

III-Agir

Quelques réflexions à poursuivre ou à compléter ensemble :

-Etre présente sur un terrain concret de lutte est un excellent moyen de garder contact avec toute la réalité.

-Conserver le réflexe du collectif pour travailler ensemble sur les causes de l’appauvrissement. Travailler sur les causes vaut mieux que travailler sur les conséquences.

-Créer ou maintenir des solidarités avec d’autres femmes : solidarités d’âges, solidarités de pays, solidarités de classes. Élargir notre réseau et créer de nouvelles alliances.

-Chercher une « autre » information que celle qui est contrôlée par les pouvoirs en place.

-Prendre position officiellement, comme groupe de L’autre Parole, contre des lois qui défavorisent plus particulièrement les femmes : la loi C-21, la loi 37, par exemple.

-Former une parti politique de femmes ? (pourquoi pas !)

-Continuer ensemble à faire de la Bible et de la théologie un instrument de changement, de libération. Continuer à remettre cet instrument dans les mains du peuple de Dieu.

La Bible, lue en communauté à partir de la réalité, aide à découvrir les grandes lignes du dessein de Dieu.

La Parole de Dieu peut devenir l’occasion d’un enracinement de l’action politique. Elle aide à traverser le désert de l’espoir, quand la libération tarde à venir. Elle aide à changer l’attente résignée en passion menant à la résurrection.

(1) cf. « On ne vit pas d’amour et d’eau fraîche », rapport du Comité de la condition féminine de la Confédération des syndicats nationaux (C.S.N.) lors du 53e congrès de l’organisme, en 1986.