LETTRE OUVERTE A L’ARCHEVÊQUE DE MONTRÉAL.

DES MANCHETTES DE JOURNAUX ONT RACONTE…

LETTRE OUVERTE A L’ARCHEVÊQUE DE MONTRÉAL.

MONSIEUR PAUL GRÉGOIRE

 

Montréal, le 1er mai

Monsieur,

Les premier et deux mars 1986, les évêques du Québec invitaient des femmes de leur Eglise pour entendre ce qu’elles avaient à dire à propos des possibilités et des limites d’un partenariat, défini par eux. et dont il est fréquemment question dans ce temps d’ouverture de l’Eglise aux laïques et en ce temps de pénurie de vocations sacerdotales masculines.

Quelques jours plus tard, dans le SEMAINIER PAROISSIAL DE LA BASILIQUE-CATHÉDRALE de Montréal, paraissait un article empreint de haine, de mépris et de violence contre les femmes, sous te titre Les évêques dans la fosse aux lionnes !

 

Cet article, sous la signature de Grin de Cel. pseudonyme du vicaire de la paroisse monsieur l’abbé Marc Roy, tombe mal à propos quand on considère l’enjeu de la rencontre convoquée par les évêques. Si les femmes sont indignées et meurtries, les évêques, eux. doivent se sentir politiquement mal à l’aise. Au mieux, pour l’église archidiocésaine. faudrait-il n’y voir là qu’un incident diplomatique dû à un mauvais « timing » ? Quant à nous, nous espérons toutes que ce ne soit point la pointe d’un iceberg annonciateur des jugements et pensées profondes d’un plus grand nombre de membres de l’Institution.

Malheureusement l’incident n’est pas isolé et trois articles du même auteur ont déjà paru dans le Semainier paroissial depuis le début de l’année. Le premier, en date du 5 janvier 1986. parle de ces « éternelles revendicatrices….agressives. hystériques, débalancées », c’est-à-dire les féministes….« qui veulent singer le mâle, même dans des activités qui requièrent une force….nerveuse QUI n’est pas toujours leur lot ». N’en déplaise à « monsieur » Roy le féminisme, comme idéologie, comme regroupement, comme force et comme aventure historique ne se définit ni par le débalancement hormonal ni par « un manque de confiance dans notre pouvoir de femme  ». Le féminisme est justement cette capacité qu’ont les femmes de pouvoir dénoncer les situations d’injustice, d’oppression et d’exploitation dont elles souffrent comme femmes, à partir de ce qu’elles vivent et de ce qu’elles savent avoir été vécu par leurs mères. De cette capacité aussi d’énoncer ensuite les conditions de changements requis pour que le mépris qui sous-tend toute injustice ait une fin. De plus, ce cher monsieur Roy devrait savoir que la force nerveuse n’est pas une question de muscles.

 

Dons le deuxième article, daté du 23 février 1986. sur le « harcèlement sexuel » dont les féministes revendiquent la disparition, l’auteur prétend, grosso modo, que c’est le devoir des femmes : petites filles, âgées, jeunes, belles ou laides, de protéger les hommes contre leurs instincts sexuels puisque, les pauvres, ils ne semblent pas en avoir le contrôle. Quel jugement et quelle confiance à propos de créatures humaines… à moins qu’ironiquement, les femmes soient les seules à appartenir au genre humain ?

Le troisième, paru au début de mars, est intitulé « Les évêques dans la fosse aux lionnes » et finit sur une insulte aux femmes instruites « L’instruction…. c’est comme la boisson, ce n’est pas tout le monde qui la porte. » Comme c’est bien dit. monsieur l’abbé, et ce doit être vrai puisque vous en témoignez si bien !

Quant à cette instruction supérieure refusée aux femmes par l’Église pendant si longtemps, elle permet maintenant, à celles qui savent manier le verbe, la logique, emprunter les chemins sinueux de l’histoire ainsi que ceux de la rhétorique, de porter les revendications des femmes dans l’Église, sur le terrain même de l’Église, pour discuter avec un bataillon d’hommes, et pas n’importe lesquels. Des savants « mode in Rome »… dont le savoir construit par près de deux mile ans de travail, de discipline, de privilèges et d’exclusions, repose sur les épaules d’une élite qui s’est constituée en porte-parole de tout le peuple de Dieu. Élite masculine qui s’est arrogée le pouvoir de définir, pour les femmes en particulier, des valeurs d’où découlent des statuts et des rôles auxquels ces dernières sont socialement assignées en vertu d’une loi de nature !

Nous comprenons donc sans aucune difficulté que, devant des femmes instruites, « monsieur » Roy se sente diminué dans son prestige ecclésiastique à en juger par la qualité de son discours et le courage de sa signature. Nous comprenons mieux aussi que monsieur le vicaire nie à la communauté des femmes, le droit d’avoir ses propres porte-paroles avisées, intelligentes et parfois très instruites. Ces dernières ne peuvent être des vraies femmes, elles seront donc des fausses femmes, c’est-à-dire des féministes. Et voilà, le tour est joué ! Comme s’il existait de vraies et de fausses femmes. Comme si les femmes qui luttent pour faire reconnaître leur pleine humanité dans une Eglise qui les ignore encore trop souvent dans son discours et dans ses instances décisionnelles, n’étaient pas des femmes mais des mutantes, des êtres hybrides. Etaient-elles des hybrides ces premières chrétiennes qui. aux côtés de leurs frères, se sont battues pour que s’épanouissent la justice, l’amour et l’égalité dans la société de leur temps ?

C’est pourquoi, devant la multiplicité des articles, la violence et le mépris qui en traversent le discours, l’importance de la publication qui les porte et l’ampleur de sa diffusion ainsi que la lâcheté de l’anonymat, nous, femmes croyantes d’aujourd’hui, pouvons difficilement croire que les autorités ecclésiastiques dont relève monsieur le vicaire ainsi que les responsables de la diffusion de la doctrine chrétienne du diocèse n’aient pas été au courant des contenus de ce Bulletin officiel. De plus, nous sommes scandalisées que ces bulletins issus justement de l’Église catholique qui se réfère des valeurs de justice, d’égalité et d’amour pour lesquelles le Christ a témoigné et sur lesquelles elle a été édifiée, transmettent des discours aussi venimeux à propos des femmes. Cela nous apparaît comme un péché contre la nature même de cette Église.

En outre, que monsieur l’abbé emprunte hypocritement les traits d’un époux et d’un père pour parler des femmes est une insulte à tous ces hommes qui, pour côtoyer et aimer quotidiennement leurs femmes et leurs filles, craindront que le mépris tancé à tort et à travers sur des femmes finisse par rejaillir sur chacune de celles qu’ils aiment et respectent.

A cause de toutes ces raisons, nous exigeons une réparation publique, l’insulte l’ayant été. Puisque l’Église catholique est une institution hiérarchique, Monseigneur Cimichella est donc responsable en partie des agissements de son vicaire. D’autre part, à l’occasion de la récente réunion convoquée par les évêques, ceux-ci ont reconnu publiquement les femmes comme membres à part entière du peuple de Dieu. Donc, ces femmes insultées publiquement sont en droit de demander la démission de Monseigneur Cimichella. curé de la paroisse Marie-Reine-du-Monde. et celle de son vicaire.

Madame Marie Gratton-Boucher. dans une lettre qu’elle envoie aux responsables du Semainier paroissial de la Basilique-Cathédrale Marie-Reine-du-Monde écrit ceci :« Si plutôt que de s’en prendre aux femmes ce collaborateur choisissait d’invectiver les Juifs ou les Noirs, lui permettriez-vous de continuer longtemps ? »

 

Au nom des valeurs humaines et chrétiennes de respect, d’amour, de justice et d’égalité auxquelles nous adhérons et qui nourrissent notre foi. nous vous prions, messieurs les évêques, de bien vouloir donner suite à nos demandes.

Louise Cloutier pour te Collectif Eve à nous de Trois-Rivières.

Judith Dufour pour te Collectif L’autre Parole : groupe Vas’thi à Montréal.

Louise Gauthier pour te Collectif L’outre Parole : groupe Bonnes Nouv’Altes à Montréal.

c.c. Monsieur André-Marie Cimichelta. curé de la paroisse Marie-Reine-du-Monde.

Monsieur Marc Roy. vicaire.

Monsieur Jean-Marie Portier, président de l’AEQ.

Monsieur Adolphe Proulx. président du Comité des affaires sociales de l’AEQ.