UN PRINCE. DES SEIGNEURS ET LES ROTURIERES

UN PRINCE. DES SEIGNEURS ET LES ROTURIÈRES

 

Monique Hamelin -Vasth !

Marie-Andrée Roy –Vasthi

Les 1er et 2 mars 1986, dans te cadre de sa réunion plénière. l’Assemblée’ des évêques du Québec consacrait deux Jours à l’étude du thème « le mouvement des femmes et l’Eglise ». Un groupe de cinq femmes avait été chargé d’organiser cette rencontre ; Gisèle Turcot en était la coordonnatrice. Fait nouveau dans les annales de l’épiscopat québécois : les évêques se sont retrouvés minoritaires dans leur propre assemblée, tes femmes représentant les 2/3 des participants ! ! En tout, 80 participantes dont 19 répondantes diocésaines à la condition des femmes, 16 femmes invitées par leur évêque et des représentantes de divers milieux, dont 2 de L’autre Parole. Du côté masculin, on comptait 13 hommes et 29 des 35 évêques du Québec.

Rappelons brièvement les objectifs de cette rencontre : « identifier et analyser les transformations opérées par le mouvement des femmes dans les domaines social et ecclésial en vue de dégager des pistes d’action pour l’Église du Québec ». Les évêques se sont dits désireux de vivre cette session d’études comme une véritable expérience de partenariat avec les femmes. Avant de vous fournir plus de détails sur le déroutement formel de la rencontre nous aimerions évoquer l’ambiance qui y régnait.

Réminiscences d’atmosphères

 

Une maison immense aux allures de forteresse ; dans l’entrée, un grand escalier en haut duquel des religieuses, sourire aux lèvres, tenue impeccable, la mise en plis fraîche, observent l’arrivée des dignitaires ecclésiastiques. Du jamais vu à l’intérieur de leurs murs ; tous les porteurs de violet du Québec se sont donné rendez-vous chez-elles ! ! Leur accueil sera à l’image de ce qu’on leur a toujours demandé : dévouement, effacement et discrétion.

Des parquets bien cirés, une image pieuse à la porte de notre chambre représentant la mère fondatrice, un ordre méticuleux régnant partout, des pas feutrés et des statues de plâtre de la Vierge ou du Sacré-Coeur : nous voilà arrivées au pays des bonnes soeurs.

Vendredi soir, dans la grande salle, quelques évêques, tenue « décontract ». causent avec les arrivantes. Samedi matin, inauguration officielle de la rencontre. Les clergymen sont sortis des valises. Le violet se fait toutefois discret ; seule la conférencière principale portera, superbe, un costume à la jolie couleur d’améthyste ! Si c’était un heureux présage ?

La tenue des participantes contraste étrangement avec celte des évêques ; elles, bon chic bon genre, couleurs joyeuses, rôdeur printanière. annoncent l’avenir ; eux. dans leur complet gris ou noir aux odeurs de presbytère, évoquent la tradition. Elles ont dans la quarantaine. Ils arrivent à leur pension…

L’organisation ? Tout est minutieusement orchestré, rien n’est laissé au hasard.

Animatrices, animateurs et secrétaires d’ateliers choisis à l’avance, minutage précis de l’horaire, salle décorée, bien aménagée, animation précise, intelligente de l’assemblée. Des professionnelles, ces organisatrices !

Le déroutement

 

Samedi matin. Exposé fleuve de l’historienne Micheline Dumont visant à faire connaître l’histoire du mouvement des femmes et tes conséquences qui en découlent aux plans social et ecclésial. Avec une approche historique critique et féministe, elle fait une recension rapide, mais habite, des grandes thèmes développés au cours de l’histoire des femmes : te corps, te travail, la parole, le pouvoir. Elle interroge tes divers modèles de famille vécus dans te temps, etc. A la période des questions, nous assistons à une véritable levée des boucliers ; des évêques s’objectent, questionnent ta méthodologie utilisée, réfutent tes données « relativisantes » des sciences humaines (il n’existe pas un modèle de ta famille idéale, nos valeurs sont relatives, etc.). Manifestement, certains s’ennuient du discours théologique ! Anecdote : à un moment de sa conférence. Micheline Dumont précise : ce que j’ai à vous dire est difficile à entendre. Le cardinal Vachon. prince de l’Église, qui avait jusque là étouffé discrètement quelques bâillements, s’endort pour quelques minutes au nez de la conférencière ! !

Samedi après-midi. Dans un étonnant marathon. Micheline Dumont présente une série de courts exposés sur des questions que le mouvement des femmes nous pose aujourd’hui sur des réalités fondamentales : la famille, la sexualité, le pouvoir, la violence, le travail, le langage. On procède de la manière suivante : 15 minutes d’exposé sur deux thèmes à ta fois. 5 minutes de réflexion personnelle. 5 minutes de discussion en équipe, 5 minutes de réactions en plénière. Le contenu était stimulant, mais cette procédure n’a pas permis de débat avec les principaux intéressés. Il y avait en moyenne 9 personnes par équipe dont deux évêques : en somme une expérience de partenariat un peu rachitique. mais qui avait « l’avantage » d’éviter les conflits… on avait à peine le temps de se frôler !

Enfin d’après-midi, long travail d’atelier pour identifier les interpellations et les problèmes auxquels nous avons à faire face en regard des réalités exposées précédemment. Enfin du temps pour « échanger » avec les évêques ? Eh non. Les ateliers se transforment et deviennent « homogènes » : les femmes avec les femmes, les évêques avec les évêques… Zut !

Dons la soirée, un clown masculin vient nous présenter un monologue sur ce qui se vit dans l’Église en rapport avec le mouvement des femmes (sic.). Suite à cela, une incroyable farandole commence à tournoyer autour de la salle, femmes et évêques se donnant la main pour faire la ronde ! ! ! Ouf ! pas de conflits. Les femmes et les évêques sont réconciliés puisqu’ils dansent ensemble—Cette expérience en laisse plusieurs songeuses, blessées même. Quelques-unes interviennent, questionnent. Pourquoi cette peur des conflits ? Pourquoi ne pas avoir le courage de nous dire nos désaccords ? Manifestement on craint les affrontements. La tentation de la réconciliation plane continuellement ; ce serait tellement plus confortable que le discours décapant de la vérité.

Dimanche matin, reprend te travail d’équipe avec tes évêques. Il s’agit de « chercher des pistes de solution aux problèmes identifiés comme communs aux participantes et aux participants » (sic). Nous essayons de formuler ensemble des pistes de solution à des problèmes que nous avons analysés séparément la veille ! Suit une célébration eucharistique : un seul évêque célèbre, les autres ont « accepté » de faire partie de l’assemblée. L’homélie se fait à deux voix, un évêque. Jean-Marie Portier et une femme. Roltande Parrot. La « concession » du partage de la parole est déjà grande… il n’y aura pas de dérapage féministe dans le discours. Des femmes donnent la communion, des évêques communient de la main de femmes… c’est la révolution symbolique et liturgique, semble-t-il. Site savaient que notre désir, pour ne pas dire notre pratique, va beaucoup plus loin…

La préparation de cette célébration a fait l’objet d’une négociation serrée entre les évêques et te comité d’organisation. Si l’on regarde les choses du point de vue des évêques, cette célébration fait figure de novation. de transgression même des normes romaines. Mais l’exclusion des femmes de la table sacrée apparaît de plus en plus, pour plusieurs d’entre nous, comme intolérable et les « aménagements » consentis par les évêques ne sauront faire taire notre détermination à vivre notre sacerdoce de baptisées jusqu’au bout, impliquant la gestion du sacré.

Durant l’après-midi vient te temps de voter des propositions. Soyons claires. Le vote se prend à mains levées, à ta majorité. Les votes négatifs et tes abstentions ne sont pas comptabilisés. Ce vote est strictement indicatif : ni les évêques individuellement, ni l’épiscopat comme groupe, ne sont formellement liés par ces propositions. Leur application dépendra donc de la détermination des répondantes à la condition des femmes dans chaque diocèse, du bon vouloir des évêques (c’est là que nous pourrons véritablement cerner leur sens du partenariat) et du poids politique qu’exercent les femmes dans l’Église du Québec.

Les recommandations traitent des questions suivantes : le tangage, le travail, la violence, la famille, la sexualité, le pouvoir. Evoquons-les rapidement. Pour que te langage ecclésial traduise des réalités concrètes, on demande que les femmes soient présentes dans les lieux où ta pensée et les politiques prennent forme. Au plan du travail, on souhaite que les diocèses appliquent une véritable politique d’emploi touchant l’embauche, la rémunération, tes conditions de travail et les bénéfices sociaux des femmes engagées par les diocèses. On demande également l’élaboration d’une politique de formation et de soutien des ressources humaines bénévoles au service de l’Église. Au sujet de la violence faite aux femmes, les propositions visent à mieux informer le clergé sur la réalité vécue par nombre de femmes, à encourager des actions ponctuelles des paroisses à ce niveau. Les recommandations sur la famille attendent des évêques un discours qui tienne davantage compte des réalités d’aujourd’hui et un meilleur accueil des personnes divorcées remariées. Les recommandations sur la sexualité visent à établir des moyens pour mieux informer et sensibiliser tes hommes laïcs, les prêtres et les futurs prêtres au vécu sexuel des femmes. De plus, il a été voté que l’Assemblée des Évêques du Québec continue de demander à Rome l’accès des femmes au diaconat. En ce qui a trait au pouvoir plusieurs recommandations ont été formulées. Nous retenons principalement celles-ci : 1) que L’A.E.Q. reste vigilante et ouverte à la question de l’ordination des femmes et qu’elle porte cette question jusqu’à Rome ; 2)que. dans chaque diocèse, des femmes soient présentes dans la formation des prêtres, des diacres et des futurs prêtres ; 3) que l’on encourage des formes de célébration qui rendent les femmes et les hommes également visibles aux yeux de la communauté : 4) que. dans chaque diocèse, l’évêque intensifie la participation des femmes dans les lieux de décision.

Quelques remarques s’imposent. Pendant le vote des recommandations sur le pouvoir, on a pu discerner clairement une forte tendance des évêques à l’abstention… Saviez-vous que te primat de l’Église canadienne en personne affirme qu’il ne connaît pas le pouvoir et qu’il ne comprend pas la focalisation des femmes sur cette question ! (propos tenus lors de l’atelier ne regroupant que des évêques).

Commentaire critique

 

La tenue de cette rencontre nous apparaît comme un fait positif pour L’Eglise du Québec. Elle marque la volonté des évêques et des femmes de poursuivre le dialogue en vue d’établir des rapports plus égalitaires entre les hommes et les femmes dans l’Église. Il faut souligner aussi le courage et la ténacité qu’il a fallu aux organisatrices pour mettre sur pied une telle rencontre.

Si cet événement constitue une première qui n’a pas encore son pareil en France ni aux Etats-Unis, il n’en demeure pas moins que nous considérons cette rencontre comme une étape normale dans te développement de l’Église du Québec. Cet événement ne représente en rien une faveur faite aux femmes par les « généreux » évêques du Québec. Au contraire, il était une nécessité parce que l’Église du Québec a besoin des femmes pour continuer à vivre et à être active dans la société québécoise. Les femmes représentent 8096 de ta population pratiquante et 8096 des personnes concrètement engagées à divers paliers de l’organisation ecclésiale. Que ferait l’Église sons les femmes ? Plus Que jamais les responsables de l’Église du Québec et l’ensemble du clergé doivent se faire à l’idée que le mouvement des femmes ne fait que commencer dans l’Église et que les femmes ne se contenteront pas des miettes tombées de la table épiscopale. Monsieur Couture, évêque à Québec, disait qu’il fallait faire des petits pas. Les petits pas faisables pour que l’on ait l’impression d’avancer. Précisons les choses : les femmes ne veulent pas seulement avoir « l’impression » d’avancer, elles veulent concrètement avancer, faire des pas tangibles et importants afin de modifier substantiellement leur statut dans l’Église.

Les évêques avaient convié les femmes à vivre une expérience de partenariat. L’appellation est belle, mais nous ne sommes pas sûres que nous partagions la même définition du partenariat ! Jamais le terme n’a été clairement défini au cours de cette fin de semaine. C’eût été un intéressant débat ! Pour nous, être des partenaires signifie que nous détenons tes mêmes responsabilités, les mêmes pouvoirs, les mêmes devoirs et que nous faisons ensemble une répartition des tâches qui tient compte des disponibilités et des talents de chacun. Le partenariat ne peut se concevoir à l’intérieur d’une organisation autoritaire et hiérarchique. Le modèle d’organisation nous empêche de vivre te partenariat ? Que l’on change donc te modèle !

Les expériences de partenariat d’une fin de semaine nous font un peu penser à ceux et à celles qui. le jour de la fête des mères, invitent leur maman ou restaurant et qui, ensuite, la retourne à la cuisine pour le reste de l’année ! ! Ou encore, pour utiliser une autre analogie, nous aurions le goût de rappeler ce conseil de nos mères quand nous étions plus jeunes : « Prends garde ma fille à ces partenaires d’une seule fin de semaine…ils n’annoncent rien de bon pour ton avenir ». Nous avons retenu ta leçon ! De ces partenaires donc d’une fin de semaine, nous exigeons un suivi et un vrai !

Il ne faudrait pas passer sous silence l’existence des répondantes à la condition des femmes dons chacun des diocèses. Nous sommes heureuses que des femmes portent la responsabilité de ce dossier dans les églises diocésaines. Elles seront très certainement dans l’avenir un facteur important pour la transformation des rapports hommes-femmes dans l’Église. L’assemblée a marqué sa détermination en ce sens en votant une recommandation pour que les répondantes soient salariées au moins à temps partiel. La réalisation de cette recommandation servira de moyen pour évaluer si. dans chaque diocèse, le dossier de la condition des femmes constitue ou non une priorité. Nous voudrions formuler une réserve. Les répondantes sont nommées par les évêques. Si un évêque souhaite l’avancée de ce dossier dans son diocèse, il nomme en conséquence, une répondante. S’il ne veut pas que ça bouge… Nous pensons que les femmes des diocèses devraient décider du choix de leur répondante puisque c’est de leur condition qu’il s’agit après tout.

Nous sommes allées à cette rencontre sur invitation. Tout en sachant le nombre limité de places, nous avons été étonnées et nous avons regretté l’absence de plusieurs femmes reconnues pour leur engagement et leur analyse de la condition des femmes dans l’Eglise. Craignait-on une présence trop importante de ces féministes chrétiennes capables de critiquer ouvertement l’organisation patriarcale de l’Église. ? Nous ne mettons pas en cause les femmes oui étaient présentes : nous déplorons simplement l’absence d’invitation de plusieurs des féministes les mieux articulées dans l’Église.

Il existe plusieurs stratégies en vue d’assurer un changement de la condition des femmes dons l’Église. Certaines privilégient un travail de « conversion » de l’institution par l’intérieur ; nous qualifions cette stratégie de « petits pas ». Des femmes travaillent patiemment à conscientiser le milieu clérical, acceptent délibérément de mettre un frein à leurs revendications afin de ne pas apeurer le clergé. Pour notre part, nous n’avons pas tellement le goût de nous adonner à une telle ascèse. Nous préférons investir nos énergies dans un travail de « décapage » de la tradition patriarcale et dans la formulation de modèles alternatifs en théologie, en liturgie, en spiritualité ou en doctrine sociale. Nous ne souhaitons pas spécialement « ménager » l’épiscopat. Nous voulons que les femmes puissent vivre pleinement leur christianisme comme option fondamentale pour la justice, la liberté, l’égalité.

La rencontre de mars répond davantage à la première stratégie. Nous évaluons mai la portée de telles rencontres ; nous pouvons simplement dire notre solidarité à toutes celles qui d’une manière ou d’une autre essaient de faire avancer les choses.

Les recommandations votées par l’assemblée ressemblent trop à des voeux pieux et ne permettront pas. à notre point de vue. une avancée qualitative importante. Ne risquent -elles pas de devenir une autre bannière servant à faire te marketing de l’épiscopat. cet épiscopat qu’on dit le plus progressif au monde ! Les organisatrices de la rencontre ont accepté de ne pas traiter de questions controversées comme celle du sacerdoce des femmes ; en ne parlant pas de ce qui constitue un des principaux points de litige entre les femmes et la direction de l’Eglise. la rencontre a pu se dérouter dans l’harmonie. Mais n’empêche que nous ne pourrons pas toujours éviter ta question. Il en va de l’avenir même de l’Église.

Finalement l’élément le plus heureux de cette rencontre a certainement été le développement de solidarités entre des femmes présentes. S’il y a lieu d’espérer, c’est bien avec toutes celles qui partagent ce goût irrésistible pour une Église de justice, de liberté, une Église audacieusement féministe.