Diversité religieuse, identité et laïcité Un défi pour notre solidarité entre femmes ?
Louise Melançon, Myriam
Le thème de notre Colloque 2008 a été choisi dans le contexte de ce qu’on a appelé « la crise des accommodements raisonnables » et de la mise sur pied de la Commission Bouchard-Taylor. J’apporte ici, comme membre de L’autre Parole, une réflexion d’un point de vue qui m’a personnellement intéressée à travers les débats.
Le premier élément à considérer serait celui de la diversité religieuse et culturelle. Le Québec religieux, catholique, de culture occidentale se trouve à la croisée des chemins d’une rapide sécularisation lorsque arrive tout un contingent de personnes immigrantes venues d’un univers culturel et religieux tout autre.
Le second élément, au dire de plusieurs analystes, dont Bouchard-Taylor, serait l’identité. Notre identité comme Québécois et Québécoise, notre identité collective aurait été bousculée par la rencontre de ces autres cultures. Ce deuxième élément, qui me semble aussi central que le premier, concerne non seulement le Québec mais, toutes les sociétés aux prises avec la mondialisation et le déplacement de populations.
En troisième lieu, la question de la laïcité représente le terrain sur lequel nous avons à nous rencontrer comme citoyens et citoyennes afin de pouvoir vivre ensemble avec nos différences.
L’identité d’une collectivité, comme celle d’un individu, est une construction complexe faite d’éléments reçus à l’origine, de nos parents, de notre histoire, de notre culture ; mais c’est aussi un processus en développement en relation avec l’évolution de la vie, les étapes de la vie biologique, sexuée, les apprentissages divers, les changements sociaux, économiques, politiques et culturels. L’identité d’un individu marque son unicité, son caractère personnel ; mais loin d’être fermée, elle s’ouvre en entrant en relation avec les autres individus. C’est une tâche de toute la vie que ce développement personnel en interaction avec les autres, avec notre environnement. Dans nos vies, il y a des moments où les événements peuvent nous mettre en crise, parce que nous sommes amenés à intégrer de nouvelles expériences. Ces situations, nous amènent aussi à mieux nous connaître car, l’intégration de ce qui est “autre” se fait à partir de notre identité constituée au cours de notre évolution. Le présent et l’avenir de nos vies sont enracinés dans notre passé tout en sollicitant son ouverture. La tâche d’intégration est importante et requiert du temps. Les changements trop brusques donnent souvent lieu à des conflits, à des blocages qui empêchent une bonne évolution de notre construction identitaire.
C’est pratiquement la même chose pour les collectivités, en plus complexe. Une société constituée de manière plutôt homogène a plus de difficulté à faire face à l’étranger, aux autres qui se sont développés dans une culture différente. La pluralité culturelle, dans tous ses aspects, correspond à l’évolution actuelle des sociétés. Il faut inventer des modèles d’intégration sociale dans ce contexte, et les gouvernements ont le défi de promouvoir ceux qui sont le plus susceptibles de construire la paix sociale. La majorité francophone, au Québec, doit être respectée et se faire respecter, dans son histoire, son développement, sa culture, sa langue. Il y a des deux côtés, celui des nouveaux arrivants comme celui du peuple québécois, une tâche à accomplir, étant entendu cependant que les nouveaux arrivants entrent dans une communauté politique déjà existante.
L’un des aspects les plus sensibles de cette période de « crise » est l’aspect religieux. L’arrivée de groupes de foi musulmane, entre autres, semble présenter une situation conflictuelle pour bien des Québécois qui ont pris leur distance vis-à-vis leur héritage de foi chrétienne. En même temps que la rencontre d’une autre culture (et paradoxalement avec des groupes plus proches de nous par la langue), il m’apparaît que nous sommes interpellés au niveau de notre rapport à notre héritage religieux. Peut-être que nous n’avons pas encore réussi à cet égard notre intégration lors du changement brusque de notre « révolution tranquille » ? Des gens qui confessent leur foi jusque dans le domaine public confrontent « le retrait dans le privé » des croyants d’ici aussi bien que de ceux et celles qui sont ou se sont éloignés de la religion. Certains parleraient d’un affrontement entre les modernes et les traditionalistes. C’est un état de fait que nous sommes dans une société sécularisée, où il y a séparation de l’État et des institutions religieuses. Aussi notre citoyenneté est-elle basée sur ce que nous nommons la laïcité. C’est là où nous devons apprendre à vivre ensemble, à partir de ce qui nous assemble. Les « accommodements raisonnables » sont là pour faciliter cette intégration citoyenne et non pour former des « ghettos » . Les groupes venant de sociétés moins sécularisées, ou de groupes plus « orthodoxes », ont un chemin à parcourir pour s’intégrer comme citoyens laïques. Mais une société d’accueil doit aussi reconnaître les différences culturelles et religieuses avec une certaine tolérance, une souplesse, une ouverture qui ne met pas en danger la paix sociale et permet l’apprentissage d’un vivre-ensemble à travers la pluralité.
La réalité des femmes a été au cœur de ces événements. Une société qui promeut l’égalité des femmes et des hommes, qui travaille à la disparition des attitudes patriarcales chez les hommes et des attitudes de peur et de soumission chez les femmes, peut se sentir choquée par des comportements qui lui semblent opposés. Il y a là pour nous femmes un enjeu important. Comment vivre la solidarité entre femmes de cultures si divergentes ? Pourtant, n’arrive-t-il pas que des mêmes valeurs puissent être vécues sous des formes opposées. Je pense à ces jeunes filles pour qui le port du voile serait comme une sorte de stratégie de survie, se considérant plus libres voilées parce que plus à l’abri des abus des hommes, alors que dans nos sociétés hypersexualisées… les jeunes filles dénudées ne se rendent même pas compte qu’on les considère comme des objets sexuels. N’y a-t-il pas là un appel au dialogue, à l’interaction réciproque entre les femmes de cultures et de religions diverses ? La solidarité entre femmes a aussi sa place entre tous les êtres humains, à condition de trouver au-delà des formes culturelles variées un terrain d’entente favorisant le respect de la dignité de l’autre, de son cheminement et la promotion de sa liberté. Les réactions trop dogmatiques de certaines femmes peuvent se présenter comme un obstacle plutôt que comme un défi de solidarité très concrète, solidarité tellement prônée par le mouvement des femmes à qui nous devons tant.