ESSAI SUR L’AVARICE

ESSAI SUR L’AVARICE

Groupe Tsippora1

Notre groupe de L’autre Parole a choisi l’avarice pour en faire son sujet d’approfondissement. Ce qui nous a motivées entre autres était le lien qui existe dans notre société entre d’une part l’avarice et la pauvreté de l’autre. Dans le fond, c’est toute la question de la redistribution de la richesse qui nous interpelle.  Un autre élément attirait aussi notre attention, le fait que nous avions l’impression que l’avarice était vraiment un péché d’hommes… nous, les femmes nous en étions loin, car il y a très peu de temps que nous avons accès à l’argent sans intermédiaire…  Alors, mettons-nous à la tâche et vérifions tout cela.

Il est bon de se rappeler que les sept péchés capitaux ont été énoncés par Thomas d’Aquin au XIIIe siècle ; il réunit sous cette dénomination l’ensemble de tous les péchés possibles. Ils sont capitaux en ce sens que d’eux découlent les autres. L’histoire des péchés capitaux au Moyen Âge est d’abord l’histoire d’une formidable réussite : celle d’un système qui prétend expliquer de manière ordonnée le mal et qui nourrit l’ensemble du monde médiéval. Car le discours sur le vice touche nécessairement des thèmes centraux : le corps, l’âme, les femmes, l’argent, la structure sociale. En somme, pour le Docteur angélique (surnom de Thomas d’Aquin), les péchés capitaux constituent un excellent schéma pour analyser le monde.

Le septénaire de Grégoire le Grand, composé vers la fin du VIe siècle, n’invente pas le système des péchés capitaux, mais lui donne sa configuration classique (orgueil, avarice, luxure, envie, gourmandise, colère et paresse). Il vise d’abord les moines pour lesquels les vices sont les obstacles à surmonter sur le chemin de la perfection. Il connaît pourtant dans le monde laïc une incroyable fortune à laquelle contribuent puissamment la profusion et la richesse des métaphores. Le renouveau de la pratique de la confession aboutit en 1215, lors du IVe concile de Latran, à l’obligation de se confesser une fois par an et exige désormais des fidèles une meilleure connaissance du péché. La prédication va, elle aussi, s’appuyer sur les péchés capitaux, dont les représentations entrent dans les églises à travers les fresques et les sculptures.

Pour ce qui est de l’avarice en particulier, elle est définie dans le dictionnaire comme la tendance à aimer l’argent pour l’argent et à l’accumuler. Selon le site Wikipédia, l’avarice est vue comme « un état d’esprit qui consiste à ne pas vouloir se séparer de ses biens et richesses. L’avarice est l’un des sept péchés capitaux définis par le catholicisme à partir des interprétations d’écrits de saint Augustin sur la généalogie du péché. Elle peut se traduire par une thésaurisation complète d’argent, sans aucune volonté de le dépenser un jour.  À l’extrême limite, l’avare se prive de tout pour ne manquer de rien. »

Donc nous pouvons voir que l’argent peut entraîner l’avarice. La Bible ne parle pas comme tel de l’avarice, mais surtout de l’argent. Voici des extraits d’un article de Pierre Debergé, dans Esprit et Vie (septembre 2010), revue catholique de formation permanente, qui nous présente la vision du Premier Testament : Cependant, il faut noter que :

« Dès les premières pages de la Bible, les richesses matérielles apparaissent sous un angle positif. De l’avis de tous, elles contribuent au bonheur de l’humanité. Elles sont un signe de la bonté de Dieu qui veut que les hommes soient heureux. Elles sont même une caractéristique des amis de Dieu. Rien d’étonnant donc qu’Israël aime décrire ses ancêtres comme des hommes comblés de richesses. Le livre de la Genèse en fait même le refrain de l’histoire des Patriarches qui vécurent au XVIIIe siècle avant Jésus-Christ : « Abraham était très riche en troupeaux, en argent et en or. » ; « Jacob s’enrichit énormément et il eut du bétail en quantité, des servantes et des serviteurs, des chameaux et des ânes. (…)

Qu’il s’agisse d’Amos, de Michée ou d’Isaïe, tous dénoncent donc les pratiques de ceux et celles qui s’enrichissent au détriment des pauvres. De telles actions conduisent à une inégale répartition des biens et à la rupture de la solidarité sociale. Elles dénaturent la réalité du Peuple de Dieu dans sa vocation à l’unité et à la communion fraternelle. Elles n’ont pas d’autre source que l’appât des richesses qui se substitue à la foi en Dieu et à l’observance de ses commandements. Parce qu’ils courent après l’acquisition et la possession de richesses de plus en plus grandes, les responsables de Samarie et de Jérusalem oublient leurs devoirs envers Dieu et leurs prochains. À eux donc de se convertir ! Et s’ils pensaient s’attirer les faveurs de Dieu en multipliant leurs prières et leurs pèlerinages, qu’ils se rappellent que Dieu méprise le culte qui ne s’accompagne pas du respect du droit et de la justice. »

Le Second Testament nous parle aussi de l’argent et voici des extraits d’un texte de Jacques Blocher, intitulé « Le chrétien et l’argent », de la revue de réflexion biblique, Promesses, no 170, oct.-déc. 2009.

« […] au temps de Jésus, la société a évolué, et la Paix Romaine assure la sécurité du commerce. De grosses fortunes ont pu se constituer, le niveau de vie s’est considérablement élevé, et l’écart entre les pauvres et les riches s’est élargi. À côté des gens très riches, une masse de pauvres souffre dans la misère.

Jésus est particulièrement sévère pour les riches. Dès sa naissance, il est du côté des pauvres. Sa mère, Marie, annonce que Dieu va « renvoyer les riches à vide. » (Lc 1, 53) Il ne choisit pas de naître dans un palais, mais comme un pauvre parmi les plus démunis. »

La culture populaire nous parle également de l’avarice. Dans notre recherche nous avons découvert plusieurs personnages, en majorité des hommes, qui ont incarné l’avarice. Le plus près de nous, Séraphin Poudrier dans Un homme et son péché de Claude-Henri Grignon.  Nous avons eu, étant jeunes, l’image de cet homme qui vivait et faisait vivre sa femme dans l’extrême pauvreté et qui allait adorer son or en cachette dans son grenier. D’ailleurs, n’est-il pas vrai que dans le Québec des années 1950 le rapport à l’argent pour les catholiques français n’est pas très positif ? Pour nous, l’argent était sale, les prêtres nous l’avaient dit en chaire par des sermons percutants et le Petit catéchisme de la province de Québec nous disait que : « L’avarice est un attachement désordonné aux biens de la terre, principalement à l’argent. »  Donc, attention pour ne pas pécher !  À cette période, ce sont surtout les protestants anglophones, pour qui les péchés capitaux (dont l’avarice) n’existaient pas, qui assuraient le développement industriel et commercial. Nous, les petits Québécois catholiques, nous étions l’huile de bras qui faisait marcher leur business.

En y réfléchissant bien, l’avarice se situe dans une réelle problématique « masculine », contrairement à d’autres péchés comme la jalousie qui a davantage une connotation féminine. Dans les sociétés patriarcales, les femmes n’avaient ni pouvoir, ni savoir, ni avoir.  Elles n’avaient pas de bien ou si peu, elles n’avaient pas de propriété, sauf les femmes célibataires. Elles ne pouvaient rien faire seules. Il leur fallait toujours un mari, un père ou un frère pour signer pour elles dans les banques. Elles étaient souvent accusées par leur mari d’être dépensières. Comment être avaricieuse quand tu n’as rien, ne possède rien, quand tu n’es rien ?

En plus, nous avons l’impression que de par sa nature profonde de mettre les enfants au monde, les femmes sont plus dans une dynamique de don que de fermeture. Ce sont elles qui portent les enfants, elles prêtent leur corps à cette nouvelle vie. Ce sont elles qui nourrissent l’enfant en lui donnant le sein, elles lui donnent de ce qu’elles reçoivent. Ce sont elles qui s’occupent du petit tant qu’il n’est pas autonome, elles en prennent soin quand il est malade pendant que l’homme va au travail à l’extérieur de la maison. Cependant, nous observons des changements dans la société actuelle où les mères et les pères participent d’une façon plus égalitaire.

Nous retrouvons encore plusieurs femmes qui donnent de leur temps dans divers lieux, comme bénévoles. Elles font vivre plusieurs organismes humanitaires et religieux (comptoir vestimentaire, soupe populaire, services de catéchèse dans les paroisses, etc.). Les personnes aidantes naturelles sont en majorité des femmes. Elles travaillent dans l’ombre et elles sont de nature à se poser plus de questions sur l’être que sur l’avoir.

Les femmes sont aussi celles qui sont davantage victimes du système économique dans lequel nous vivons et qui est basé sur l’accumulation de biens par les plus riches. Que nous pensions aux femmes monoparentales, aux femmes âgées, aux femmes victimes du trafic humain, toutes ces femmes vivent dans la pauvreté et souffrent de voir leurs enfants qui ont faim, qui ont froid et qui n’ont pas de toit pour dormir.  Il est certain que toutes les personnes riches ne sont pas avares, mais lorsque les statistiques nous disent que les riches sont de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres nous pouvons croire que les femmes sont le plus souvent des victimes de l’avarice.

Il est certain qu’aujourd’hui, il est bien vu d’avoir beaucoup d’argent et de vivre dans le luxe. Cela démontre que la personne a du talent : « plus tu en as, plus tu es quelqu’un ! »  Dans ce contexte, il est difficile d’identifier l’avarice comme un péché ou comme un mécanisme engendrant la misère, mais bien comme un symbole de savoir-faire, de savoir gérer. Voici, d’ailleurs, quelques expressions bien à la mode :

« Charité bien ordonnée commence par soi-même. »

« Tu mérites ce qu’il y a de mieux. »

« Gâtes-toi,  profites-en. »

« Si l’autre a besoin qu’il s’arrange tout seul, qu’il fasse comme moi. »

« On n’est jamais si bien servi que par soi-même. »

Pourtant, nous ne sommes pas naïves et nous savons aussi que les femmes ne sont pas à l’abri de l’avarice. Dans notre société, nous n’échappons pas au modèle en place qui enrichit certaines personnes, leur permettant d’accumuler des biens d’une façon démesurée tout en créant un déséquilibre dans notre monde.

Certaines femmes, qui se retrouvent dans des fonctions de gouvernance publique, développent des stéréotypes masculins et favorisent à leur tour les riches au lieu des pauvres.  Nous savons aussi que tout est dans la relation personnelle que chaque personne développe avec l’argent avec les biens. Dieue ou Mammon voilà la question ?

Pour terminer cette réflexion en poésie,  nous vous proposons un extrait de La Fontaine :

« La cigale ayant chanté tout l’été, alla crier famine chez la fourmi sa voisine, la priant de lui prêter quelques grains pour subsister. La fourmi n’est pas prêteuse, c’est là son moindre défaut. »

Devant ces deux péchés capitaux, l’avarice et la paresse, lequel a le beau rôle ?  Nous sommes certaines que la majorité de nos contemporaines trouvent que la fourmi gère mieux ses biens que la cigale… et vous, après la lecture de notre réflexion, qu’en pensez-vous ?

1. Les membres du groupe Tsippora sont : Marie-Josée Baril, Guylaine Lachance, Huguette Laroche, Laura Laroche, Claire Lavoie et Viviane Villeneuve.