FÉMINISME ET SPIRITUALITÉ

FÉMINISME ET SPIRITUALITÉ

L’apogée des fêtes du 50e anniversaire de l’obtention du droit de vote des Québécoises a rassemblé, fin avril, 3 500 participantes venues de tous les coins du pays.

L’autre Parole y était bien présente, tout particulièrement par trois activités :

– organisation d’un panel qui tentait « de situer le rapport spiritualité/féminisme dans des perspectives dynamiques » ;

– collaboration avec le Réseau oecuménique des femmes du Québec dans la création d’une célébration chrétienne, et

–  tenue d’un kiosque.

Le panel voulait, selon les termes de sa présidente Marie Gratton-Boucher, « montrer qu’il est possible et souhaitable de faire éclater le carcan du système patriarcal pour vivre, exprimer et libérer l’expression spirituelle des femmes dans sa riche diversité, expression qui contribue à un approfondissement renouvelé du mystère chrétien ».

Pour Marie-Andrée Roy, la spiritualité s’exprime tant par l’écriture et la parole que par le langage des gestes, des symboles et des rites. La racine de ce terme provient du mot esprit qui, en hébreu, signifie « vent, souffle de vie ». « La spiritualité féministe serait donc le souffle de vie des femmes, capable de faire effondrer les traditions misogynes, de faire émerger l’expérience des femmes comme fait signifiant de l’histoire, (…) un souffle qui nous entraîne vers une même solidarité. »

Dans son « diagnostic de la situation actuelle », Marie-Andrée estime que notre spiritualité est « colonisée » parce qu’elle est « soumise à des directives cléricales et doit emprunter, pour se dire, une langue étrangère : le verbe des hommes. (…) La spiritualité des femmes dans l’Église est amnésique et analphabète ». Après la présentation de la pratique de L’autre Parole, Marie-Andrée a tracé quelques jalons pour l’avenir : « La libération des femmes comporte nécessairement la libération de leur dimension spirituelle ».

Louise Melançon nous a expliqué comment, en se réappropriant la Tradition, il est possible de trouver des éléments pour nourrir notre vie de foi comme féministes et chrétiennes. À quelles sources nous inspirer ? Elles ne sont pas évidentes. Il faut sortir de la tradition canonique, orthodoxe, et chercher dans une tradition qui aurait été secondaire, marginale, parfois hérétique, qui n’a pas été retenue par l’Église et où il y a beaucoup d’écritures de femmes.

Par exemple, les évangiles apocryphes où l’on parle de conflits qui auraient eu lieu entre Pierre et Marie-Madeleine, qui était une prédicatrice et une missionnaire dès le début. On voit des traces de ces conflits dans les Actes des apôtres et dans les Évangiles… Ne serait-ce que par des silences, il y a quelque chose à découvrir d’un vécu de femmes à cette époque.

Les oeuvres d’art nous fournissent un deuxième champ d’exploration. Ainsi, elles nous révèlent que les deux personnages bibliques de Marthe et de Marie ont exercé une influence dès les origines du christianisme : on en trouve des traces dans les vitraux des cathédrales du Sud de la France, entre autres, jusqu’au Moyen-âge. Marthe y a été représentée d’une façon bien différente de celle de la tradition habituelle : on la voit comme vainqueure du dragon…

Dés écrits nous révèlent aussi l’existence de légendes qui témoignent que, dans leur vie spirituelle, des femmes se référaient à ces personnages bibliques autrement que ce que les orthodoxes laissent soupçonner. D’autre part Marie-Madeleine, que nous connaissons surtout comme une pécheresse, fut très active dès le début de la communauté : prédicatrice, missionnaire, on la retrouve dans les légendes et les illustrations de l’art du Sud de la France. Ces personnages auraient donc pu se rendre jusque dans ces régions françaises pour porter l’Évangile ?

Louise nous a ensuite indiqué de nombreuses pistes de réflexions à découvrir dans la vie des saintes : la force des martyres, paradoxale pour un sexe dit faible, soumis et dépendant… ; l’ambiguïté du statut des vierges, dans un contexte où les femmes passaient de l’autorité du père à celle de l’époux ; la dévalorisation du corps et de la sexualité et donc, par le fait même, des femmes, tellement définies par leur constitution physique qu’elles semblaient dépourvues d’identité en dehors de leur corps… en conséquence, encore aujourd’hui, elles ne peuvent s’approcher du sacré ; l’autorité non institutionnelle mais charismatique des femmes ermites, des abbesses, que l’on allait consulter pour son cheminement spirituel ; la récupération des déviances, comme celle de Jeanne d’Arc, femme combattante dans l’armée qui, une fois canonisée, apparaît plutôt sous un autre jour…

Constance Middleton-Hope, directrice du développement et de l’action sociale à la Cathédrale épiscopale de Montréal, a identifié des points de ressemblance et de différence dans nos pratiques de chrétiennes de dénominations anglicane et catholique (après avoir procédé à une mise au point historique : c’est Elizabeth 1ère qui a instauré l’Église anglicane et non pas Henri VIH, bien trop préoccupé de ses amours et de sa diète !…).

– Premier élément de ressemblance : « Nous retournons à nos sources… et ce sont les mêmes sources chrétiennes ».

– Une grande différence : l’ordination des femmes. Constance nous en relate les origines difficiles : en 1974, la consécration par trois évêques des « onze » (chiffre symbolique…) premières femmes, d’abord déclarée invalide par une rencontre spéciale de l’Assemblée des évêques, puis reconnue quelque deux ans plus tard, par vote, lors d’un grand synode. D’autre part, les « bishops’ messengers » (premières répondantes des évêques ?) ont apporté la Bonne Nouvelle dans les camps de pionniers des Territoires de l’Ouest.

L’Église anglicane a toujours suivi la progression de l’empire britannique dans les diverses colonies, qu’elle évangélisait. Conséquemment, au prochain synode mondial, convoqué tous les dix ans à Lambeth, la grande majorité des évêques proviendront du Tiers-Monde, i.e. de pays où les femmes n’occupent pas la même place : de quelle façon les acquis des femmes survivront-ils à cet événement ? Voilà une question qui marquera toute la décennie.

– Autre élément de ressemblance : les tensions entre le clergé et les laïcs, « même lorsqu’il s’agit de femmes consacrées, car dans certains cas il est très difficile pour les femmes devenues prêtres de se séparer du fonctionnement patriarcal, parce qu’elles sont isolées. « On » semble aussi chercher le moyen de les isoler. Certains groupes de femmes dans nos églises ont créé des réseaux pour appuyer les femmes prêtres et pour créer une solidarité entre nous. Il faut réfléchir à ce problème lorsqu’on s’oriente vers une ordination des femmes ».

– « Nous avons aussi un problème de langage. L’Église anglicane est basée sur le langage. Nous avons des chants, des livres de prière commune qui remontent au temps d’Elizabeth 1ère. Mais la loi canonique est claire : tout le culte se fait dans le langage du peuple. Comme la langue, le culte diffère donc d’un pays à l’autre. Ici, nous avons retenu un peu des retombées de ce langage, qui est très patriarcal et très masculin (celui d’Elizabeth). Dans l’Église catholique, les femmes sont bien responsables de liturgies depuis plusieurs années. Dans l’Église anglicane, on n’en est pas encore là mais la liturgie alternative est très populaire : retraites, colloques, conférences… »

« Chrétiennes et féministes, c’est peut-être là que nous allons nous retrouver davantage. Dans la plupart de nos paroisses, la grande majorité des fidèles sont des femmes. Tous les grands changements qui vont se réaliser seront faits par des femmes et ceux qui ont eu lieu étaient passés par des femmes. La prochaine décennie appartient aux femmes. Elles vont définir l’Église de l’avenir. »

Discussion

Les interventions des participantes (dont la provenance évoquait les paysages les plus variés : Montmagny – Havre Saint-Pierre – Mont-Laurier – Amos, Abitibi – Chicoutimi – Trois-Rivières…) ont révélé des préoccupations ardentes :

– Jusqu’à quand allons-nous nous permettre des liturgies parallèles pour nous sentir bien dans le langage et dans les célébrations ? Quelles sont les brèches, les ouvertures possibles qui nous permettront de nous intégrer davantage comme femmes ?

Est-ce utopique ou réaliste ?

– Il faut officialiser nos actions parce qu’il y a trop de monde, trop d’intelligences qui sortent de l’Église traditionnelle.

– Actuellement, au Québec, nous avons une certaine marge de manoeuvre pour agir mais, dans la liberté qu’on nous donne, n’y a-t-il pas de la manipulation ?

– Faut-il se réunir en paroisses ? en plus grands ou en plus petits groupes ?

– Il importe de réussir à intéresser les jeunes qui, souvent, nous trouvent « trop féministes ».

– On a observé que les agentes mandatées sont moins proches de leur milieu que les agentes non mandatées.

–         Les femmes doivent prendre conscience qu’elles forment une communauté unie, solidaire, et qu’elles n’ont pas à tolérer les modèles avec lesquels elles ne sont pas à l’aise. Il nous faut presque être intolérantes, affirmer ce à quoi nous tenons. L’avenir dépend de notre capacité de former une communauté de plus en plus large.

Quelle gerbe de sujets de réflexion pour méditations estivales !

Rita Hazel – Myriam