IMAGES ET RITUELS DE LA MORT DANS LES ARTS, LA LITTÉRATURE ET LE CINÉMA

IMAGES ET RITUELS DE LA MORT DANS LES ARTS, LA LIT-TÉRATURE ET LE CINÉMA

Monique Hamelin, Vasthi

Il arrive que des émotions jaillissent à la vue d’une sculpture, d’une peinture, à la lecture d’un roman ou au « visionnage » d’un film. On cherche ce que cela peut signifier et l’on se rend compte qu’un élément ou l’autre nous rappelle directement ou indirectement la mort ou même la possibilité de la mort d’êtres chers. Nous voici mis en face de la finitude de la condition humaine, de la disparition du père, de la mère, d’un fils, d’une fille, d’une personne qui nous est chère quand ce n’est pas à notre propre mort que nous sommes confrontées. Ces rencontres entre l’art et la condition humaine peuvent aussi nous aider à trouver en nous les ressources pour affronter ces épreuves de la vie.

La mort de l’enfant

En visitant l’exposition intitulée Vénus et Caïn préparée par le Musée d’Aquitaine et présentée au Musée national des beaux-arts du Québec jusqu’en janvier dernier, j’ai été particulièrement frappée par la relecture du chapitre 4 de la Genèse – Caïn et Abel. L’œuvre Les premières funérailles a été sculptée par Barrias en 1883. On y retrouve trois personnages en marbre blanc : le père, la mère, l’enfant. Leurs noms : Adam, Ève, Abel.

Ève, la mère, est brisée et ploie sous le chagrin. Adam, le père, le visage tendu par l’effort, où l’on sent percer la douleur,  porte le corps de son enfant. Et immédiatement on pense à l’autre enfant, l’enfant absent, par qui tout cela est arrivé. Double perte pour les parents.

La force de cette sculpture réside entre autres dans le changement de perspective qui nous est proposé : voir la douleur de ceux qui restent et non seulement le geste de Caïn. Imaginer notre propre douleur devant la perte d’un enfant, la douleur de la mère, la douleur du père devant cet événement contre nature, cet événement qui force les parents à présider aux funérailles de leur propre enfant.

Cette douleur des parents, nous la retrouvons aussi dans le film La dernière marche d’après le récit de Sœur Helen Prejean. On y aborde non seulement l’incompréhension de nombreuses personnes face au soutien donné aux condamnés à mort, mais également les différentes facettes de la douleur des proches des victimes de meurtres. Il peut s’agir de la haine face au meurtrier, de la douleur pour les souffrances des victimes, sans parler de sa propre peine. Prejean aborde le pardon des parents pour surmonter cette épreuve tout comme la douleur de la mère du jeune homme qui, après avoir sauvagement violée la jeune fille, a participé aux meurtres de deux jeunes amoureux. Suzan Sharandon interprète Sœur Prejean et Shaen Penn, Mathew Poncelet, le jeune meurtrier. Un film magistral à plusieurs égards.

Comment survivre après la mort accidentelle d’un enfant et d’un mari est le thème de Trois couleurs : trilogie de Krzystol Kieslowski dont Bleu, est le premier film. Julie, interprétée par Juliette Binoche, veut couper tous les liens avec sa vie d’avant, d’avant cet instant qui a tout chambardé. L’homme de sa vie n’est plus, sa fille n’est plus. Mais la vie est ainsi faite que, dans les moments les plus inattendus, un objet, une petite phrase musicale, un rien  nous ramène à notre douleur, au deuil à faire, un deuil d’autant plus difficile pour l’héroïne, qu’elle découvre que son mari avait une maîtresse et que cette dernière attend un enfant de lui.

La mort d’une fille pour une  mère ou d’une mère pour une fille

La force de la tragédie chez une mère qui vient de perdre sa fille peut recevoir un éclairage nouveau des réflexions d’Adrienne Rich dans Of Woman Born1 . Pour Rich, la perte d’une fille pour une mère ou d’une mère pour une fille est la tragédie fondamentale des femmes.

Si nous reconnaissons aujourd’hui la relation père-fille, fils-mère et la force des drames qui s’y jouent, il nous reste, ajoute-t-elle, à reconnaître comme une grande tragédie de l’humanité la passion et la rupture dans la relation mère-fille. Rich est connue pour ses écrits poétiques et ses réflexions sur la maternité,  tant dans l’expérience de celle-ci que dans la maternité vue comme institution dans un monde patriarcal. Dans le livre précité, elle retrace les fondements de ses réflexions jusque dans  la Grèce antique.

Deux œuvres illustrent de façon particulière l’impact que produit  la mort de la mère chez ses filles. Ponette, un film de Jacques Doillon qui met en scène une jeune enfant de quatre ans  et Une mort très douce de Simone de Beauvoir2 qui raconte les derniers moments de la vie de sa mère.

Ponette rêve et parle à sa mère à partir de son expérience d’enfant, de ce que les adultes et les enfants autour d’elle disent et taisent.

De Beauvoir, philosophe et romancière, au beau milieu de la cinquantaine, nous livre ses réflexions personnelles sur la rencontre de la finitude et des émotions  avec lesquelles nous ne savons pas toujours comment réagir. Dans cette œuvre, de nombreux éléments peuvent être mis de l’avant. Par exemple, la surprise de la romancière en comparant les sentiments qui l’assaillent à l’approche de la mort de sa mère par rapport à ceux qu’elle a ressentis au moment du décès de son père. Ensuite sa condamnation de sa mère au silence pour ne pas avoir à aborder le sens de la mort avec elle. Mais le silence qu’impose de Beauvoir, se rapporte-t-il  au sens de la finitude ou, d’une manière plus large, à la grande rupture de la relation mère-fille ? Cette relation mère/fille englobe l’amour et la haine. Elle comprend, outre l’expérience de la dépendance, l’expérience sensuelle du premier corps touché par la mère ainsi que l’expérience de l’institution de la maternité dans un monde patriarcal. À la fin du livre, l’auteure apporte certaines réponses à ces questions :

La « petite maman chérie » de mes dix ans ne se distingue plus de la femme hostile qui opprima mon adolescence ; je les ai pleurées toutes les deux en pleurant ma vieille mère. La tristesse de notre échec, dont je croyais avoir pris mon parti, m’est revenu au cœur … Il n’était pas en mon pouvoir d’effacer les malheurs d’enfance qui condamnaient maman à me rendre malheureuse et à en souffrir en retour.

L’avortement

L’avortement, le droit de choisir de ne pas poursuivre une grossesse est – pour reprendre les mots d’Annie Ernaux3 – une « expérience humaine totale, de la vie et de la mort, du temps, de la morale et de l’interdit de la loi ; une expérience vécue d’un bout à l’autre au travers du corps. »

Il y a le temps d’avant la légalisation permettant l’interruption volontaire de la grossesse (IVG) et celui de l’après. Néanmoins, au-delà du changement de la loi, au-delà de la morale du péché, l’IVG reste un événement sans doute inoubliable. Ernaux donne dans son journal – écrit quelque 20 ans après les faits – un témoignage de cette expérience, en avouant avoir célébré, pendant longtemps, l’anniversaire de cet événement. En écrivant, elle aurait effacé la seule culpabilité qu’elle ait eue – soit de ne rien faire de cette expérience ultime qu’elle a vécue.

Dire la douleur qui nous habite, partager avec d’autres sa souffrance, exprimer le sens qu’on y trouve, voilà des éléments de base pour un rituel. Annie Ernaux dans son récit, pourrait avoir mis les bases d’un rituel d’accompagnement pour les femmes qui se retrouvent avec une grossesse non désirée et qui envisagent une IVG.

Les funérailles sont tant une cérémonie des adieux à des êtres chers qu’un rituel de soutien pour faire face à la douleur de perdre un être aimé. L’accompagnement des condamnés à mort se veut un rituel de soutien vers la finitude de la vie imposée par une cour de justice. Au sujet de l’avortement et des émotions complexes qui l’accompagnent, les femmes ne pourraient-elles pas être mieux soutenues par un rituel ? Il nous revient à nous, féministes, de créer ce rituel d’accompagnement pour les femmes qui ont à faire ce choix d’interrompre leur grossesse afin qu’elles puissent mieux vivre leur deuil. Ce rituel reconnaîtrait la souffrance, la douleur et ouvrirait sur l’avenir. Ainsi, c’est avec une plus grande sérénité qu’en d’autres temps et d’autres lieux que l’enfant à naître pourrait être accueilli.

1. Rich, Adrienne. Of Woman Born – Motherhood as experience and institution. New York : W.W. Norton & Company. 1976. Page 237. Traduction libre. Disponible en français sous le titre : Naître d’une femme la maternité en tant qu’expérience et institution. 1980 : Denoël / Gonthier.

2. De Beauvoir, Simone. Une mort très douce.  Éditions Gallimard : 1964.

3. Ernaux, Annie. L’événement. Éditions Gallimard : 2000.