NATURA, MORS ET VITA

NATURA, MORS ET VITA

Monique et Francine Dumais, Groupe Houlda, Rimousk

L’emploi du latin pour exprimer le titre de cet article vous surprend ? La langue latine, considérée comme une langue morte, permet  pourtant à Francine et à moi de n’utiliser que trois mots pour identifier notre recherche sur les relations  existant entre la nature,  la mort et la vie. Parler de la mort, n’est-ce pas aussi parler de la vie ? Qu’en dis-tu, Francine ?

– Oui, il existe un véritable chassé-croisé entre la mort et la vie quand on observe un tant soit peu la nature. On peut  voir que la vie et la mort y sont intimement liées surtout lorsqu’il s’agit  des règnes animal et végétal. Ainsi, les animaux, selon la spécialisation de leur espèce, doivent consommer pour survivre, d’autres animaux, des insectes ou des plantes. Les plantes, elles, germent, croissent et meurent après production de leurs semences.

Les espèces animales et végétales assurent leur pérennité grâce à diverses stratégies dont la reproduction sexuée. Cette dernière amène de multiples variétés dans les caractères de leurs descendants : couleur, forme, résistance à certaines maladies, etc. Telle une joute sans fin, chaque espèce survit grâce à l’arrivée de nouveaux individus combinant différemment  le bagage génétique reçu de leurs parents. Bref, la vie défie la mort en créant sans cesse du nouveau d’où son rapport à l’abondance et à la richesse.

– Mais, est-ce toujours la vie qui triomphe ?

– Non, la vie subit parfois des revers face à la mort. En effet, certaines espèces animales et végétales ont disparu pour toujours de notre planète. Pensons aux dinosaures et aux plantes de cette lointaine ère géologique qui n’ont pu survivre aux changements climatiques ou aux catastrophes écologiques. De nos jours, nos activités surabondantes et la prolifération de notre espèce menacent l’habitat de nombreuses espèces animales ou végétales. L’espèce humaine a donc une grande responsabilité dans la chaîne de vie de notre planète dont il faut prémunir les mailles les plus fragiles contre une cassure définitive.

– Francine, tout respire la nature dans ton texte. Dans quel environnement l’as-tu donc produit ?

– J’ai écrit ces lignes dans le parc de notre bibliothèque municipale, dénommée Lisette-Morin, en souvenir d’une journaliste rimouskoise bien connue. C’était à  l’aube d’un dimanche ensoleillé de juillet, succédant à une semaine de jours pluvieux. Dans ce matin calme et lumineux, la végétation vibrait de toutes les couleurs où domine le vert, couleur symbolique de la vie : vert – verdure – vert qui dure… Sous les rayons rasants du soleil matinal,  les gouttelettes de rosée brillaient comme des mini-ampoules accrochées aux brins d’herbe : une brise,  après un léger bruissement et une caresse sur ma peau, se faufilait entre les branches des arbres et  quelques gazouillis d’oiseaux fusaient mélodieusement autour de moi.

Dans la rocaille qui me faisait face, arbustes et plantes surgissent du sol dans une variété de formes et de coloris. C’est le cœur de l’été qui bat. Dans quelques mois, dès l’arrivée des premières froidures, tout cela s’estompera graduellement pour simuler une mort apparente de la nature, puis, à la résurrection printanière, de nouveaux êtres apparaîtront. Moments fort de contemplation et de paix !

Et toi, Monique, que dis-tu de cette relation entre la nature et la mort ?

– D’abord, je veux  te rappeler que mon deuxième prénom est  Flavie, le prénom  de notre grand-mère maternelle qui était aussi ma marraine. Quand j’étais jeune, je trouvais que le nom Flavie faisait vieillot, mais, maintenant, je l’apprécie beaucoup avec sa finale en VIE. Ainsi, ma grand-mère qui est décédée à l’âge de 91 ans en 1978 continue de me parler de la vie. J’écris du bord de la mer, au Bic. Les vagues viennent mourir à mes pieds et continuent de rejaillir sans cesse. Ce mouvement en deux temps : mort et vie, travaille en mon esprit. Je suis captivée par les cycles de vie. « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. » (Jean 12, 24) Cette phrase biblique, ma maîtresse des novices me l’a répétée de temps en temps pour me signaler qu’il fallait mourir à soi pour entrer dans le courant de la vie divine !

– Monique, de quels cycles de la vie veux-tu nous parler ?

– J’ai l’embarras du choix. C’est toujours étonnant de constater, en  considérant  les cycles de la vie, comment la vie surgit de la mort. En voici un premier exemple : Une forêt passe au feu. Quelle tristesse que de voir ce paysage dévasté où ne subsistent, dans un premier temps, que des troncs calcinés, des branches étriquées, et pourtant ce fond de bois deviendra bleuetière et se revigorera !

Voici ce qu’on dit du « rôle naturel du feu ». Qu’il soit d’origine naturelle ou anthropique (cause humaine), le feu joue un rôle dans la dynamique des forêts. En effet, selon l’intensité, la fréquence et l’étendue de l’incendie, le feu peut permettre la perpétuation ou la conversion d’un peuplement. La forêt boréale est régulièrement ravagée par le feu. Les incendies forestiers jouent un rôle majeur dans la répartition et la composition des communautés végétales. Des espèces, des communautés et des écosystèmes entiers se sont adaptés à son passage plus ou moins fréquent. Le feu constitue donc un facteur de premier ordre pour le maintien du cycle normal de reproduction et de croissance de ces écosystèmes. Il représente un facteur de renouveau dans la forêt boréale et une partie intégrante de son cycle de vie. (Gouvernement du Québec, 2003 . http://www.mrn.gouv.qc.ca/forets/fimaq/feu/fimaq-feu.jsp)

Un autre exemple. Des graines, enfouies dans la terre depuis des années et même des siècles, reprennent vie. Théodore Monod raconte dans La plus belle histoire des plantes (Paris, Seuil, 1999, p. 179), que certaines graines dans le désert attendent des années durant avant de croître de nouveau. D’autre part, en Égypte, des graines ont été trouvées dans des sarcophages et ont poussé après des millénaires d’attente. Les Egyptiens avaient l’habitude de façonner à l’effigie du dieu Osiris de petits moules d’argile humide, emplis de limon et contenant des graines d’orge. En effet, l’aspect végétal d‘Osiris était symbolisé par l’orge, dont les grains étaient enterrés (sépulture), puis séjournaient sous la terre (l’au-delà) avant de germer (résurrection). Lorsque la germination avait lieu, les graines formaient des statuettes de verdure que l’on plaçait à l’intérieur des tombes. Elles symbolisaient l’espoir en la résurrection à l’image de la vallée du Nil renaissante après la décrue. Ces moules étaient appelés « Osiris Végétants » et on les retrouve parfois, flétris, dans les tombes thébaines. ( http://membres.lycos.fr/nebetbastet/osiris.htm)

– Monique, dans ta recherche sur les femmes et la mondialisation, n’as-tu pas connu des femmes qui luttent pour la protection des graines ?

– Bien sûr, Vandana Shiva, une physicienne  féministe indienne, qui a publié en 2001 un ouvrage sur le terrorisme alimentaire, a fondé en 1990 l’organisation Navdanya qui milite pour la biodiversité et contre les OGM et la « brevetabilité » du vivant. Elle a notamment dénoncé le riz doré, une plante génétiquement modifiée, comme une technologie qui crée des carences en vitamine A. Le riz doré a été vanté comme un remède magique contre la malnutrition et la faim qui frappent 800 millions de personnes. Le problème est que le riz enrichi en vitamine A ne va pas supprimer la carence en vitamine A. Il va au contraire l’aggraver. Cette technologie ne tiendra pas ses promesses. Aujourd’hui, on ne sait même pas combien de vitamine A ce riz va produire. L’objectif affiché est de 33,3 microgrammes pour 100 g de riz. Même s’il est atteint, il ne permettra pas d’éliminer la carence en vitamine A. Le besoin quotidien en vitamine A est de 750 microgrammes. Or un repas moyen contient 30 grammes de riz (en poids sec), soit 10 microgrammes de vitamine : 1,33 % du besoin ! Même en supposant une ration quotidienne de 100g de riz, comme le font les inventeurs du riz doré, on ne dépasse pas les 4,4 % de la ration nécessaire ! Pour atteindre les 750 microgrammes de vitamine A, un adulte devrait consommer 2,27 kg de riz chaque jour. C’est là un facteur d’aggravation de la sous nutrition, pas un moyen de lutter contre les carences. ( http://www.globenet.org/bede/rizdore/supercherie.htm)

Le travail de dénonciation de Vandana Shiva se porte énergiquement à l’encontre de la stratégie que mènent les grandes firmes internationales de l’agroalimentaire, Monsanto ou Novartis, dans le cadre d’une certaine mondialisation promue par l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ces firmes prétendent remplir une mission humanitaire, celle de nourrir les masses affamées du tiers-monde, mais en réalité, elles cherchent à imposer à tous les pays l’achat obligatoire de leurs produits. Vandana Shiva ne se gêne pas pour affirmer que «  l’économie industrielle est une forme de vol commis au détriment de la nature et des gens. »  Le terrorisme alimentaire. (Comment les multinationales affament le Tiers-Monde, Paris, Fayard, 2001, p. 7)

Voilà comment nous avons découvert ensemble quelques aspects captivants des rapports entre la mort et la nature. Nous avons été fascinées par la relation à la vie qui y demeure toujours présente. Notre passion pour les dynamismes de la Vie et notre foi en Dieue ne cessent de nous habiter.

Dinosaures, animaux et plantes disparus, reposez en paix !

Poissons, oiseaux, insectes, célébrez la vie !

Forêts boréales, graines protégées, louez Dieue !