LA CONFÉRENCE DE LAMBETH – QUELQUES ÉCHOS

LA CONFÉRENCE DE LAMBETH – QUELQUES ÉCHOS

Rita Hazel – Vasthi

L’autre Parole a été invitée à une séance d’information organisée par le Centre Justice et Foi de Montréal où trois personnes, déléguées à Lambeth à titre de membres de la presse, nous faisaient part de leurs impressions : Mme Olivette Genest, professeure à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal ; le Père Thomas Ryan, C.S.P., directeur du Centre canadien d’oecuménisme, à Montréal, et Sœur Gisèle Turcot, S.B.C., directrice de la revue Relations.

Plutôt qu’un résumé du déroulement et des conclusions de cette célèbre rencontre des évêques de la Communion anglicane qui fut rapportée et commentée dans nos média, nous proposons simplement, en vrac, quelques faits ou pensées pour alimenter nos méditations…

Présence des épouses des évêques

Les épouses des évêques, au nombre de 400, étaient admises à assister à toutes les séances plénières au même titre que les membres de la presse.

Catholicité

Mme Genest nous a fait part des « surprises d’une catholique » : elle qui se croyait « branchée sur le tronc du catholicisme », a dû faire un « parcours intérieur assez spectaculaire ». Elle a découvert une Église qui utilise la même Bible, croit dans le même Jésus-Christ, a le même attachement à un Credo appuyé sur les mêmes bases que celui de nos premiers Conciles… Elle « pense qu’il n’y a plus de théologie possible autrement que oecuménique ».

Les Anglicans se définissent comme des Anglo-catholiques. Ils se perçoivent dans le grand ensemble ecclésial et considèrent que dans l’état actuel de division de l’Eglise, chaque partie d’Église est en manque de catholicité. Ils ne se pensent pas « la » catholicité pour autant. A noter que le terme « anglo » a perdu sa référence à l’Angleterre et à l’Empire britannique. Les membres de la Conférence se sont fait dire que l’Empire, c’est fini.

Communion

Deuxième surprise mentionnée par Mme Genest : plutôt que comme une seule institution, l’Église anglicane se définit comme une communion d’églises. Cette communion (comprehensiveness) est un mode de vivre et d’agir, avec l’acceptation de l’épiscopat historique dans la ligne de l’appartenance apostolique. Il existe à la fois une interdépendance et une autonomie véritable entre les « provinces » ou églises régionales.

Autorité

Toute décision des Synodes doit être acceptée par les églises pour pouvoir être dite l’expression de la volonté divine : les votes des Synodes, transmis aux communautés, s’appliqueront seulement si ces dernières les acceptent, c’est-à-dire les intègrent à leur vie. D’autre part, cette acceptation ne saurait pas non plus porter une marque d’infaillibilité. Les Anglicans sont dans le « provisoire », ils travaillent ensemble à « chercher la voie ».

L’autorité est exercée conjointement par l’évêque, les prêtres et les laïcs. Le primat de l’Église anglicane est le symbole de l’unité de cette Communion, non le détenteur de l’autorité absolue. Il a justement rappelé, à Lambeth, qu’il n’est pas un pape de rechange ni un roi constitutionnel…

Ordination des femmes et consécration à l’épiscopat

Le 1er août se trouvait l’anniversaire de l’abolissement de l’esclavage dans l’Empire britannique. La coïncidence, qui n’est peut-être pas si fortuite, fut mentionnée avec humour…

L’Archevêque de Cantorbéry a abordé la question avec courage : « Le problème de l’ordination des femmes va peut-être nous briser, mais comme c’est un problème évangélique, nous n’avons pas le droit de ne pas le regarder. Ce qui importe, ce n’est pas d’être Anglican et de maintenir toutes les caractéristiques de notre domination, c’est d’être vraiment chrétien ».

La proposition fut présentée par un archevêque d’Irlande. Tout avait été discuté pendant des années, par correspondance. Les évêques du Tiers-Monde ont beaucoup demandé la parole. Plusieurs s’inquiétaient de savoir si ces changements étaient voulus par Dieu, s’ils venaient des mouvements féministes, de l’Esprit-Saint ou de Satan. Un évêque africain a affirmé qu’il ne s’agissait pas des droits de la personne mais de la volonté de Dieu et que de droit divin, c’est le mâle qui est le ministre

du sacrifice. Un autre a averti tout le monde du risque, avec le féminisme, d’aboutir à deux évangiles, à deux Jésus-Christ et un autre a crié trois fois d’une voix forte : « No women ».

Les épouses noires étaient très mécontentes et l’ont manifesté. Les évêques furent étonnés de constater que la demande ne venait pas seulement de l’Occident. A noter que la première Anglicane ordonnée prêtre était chinoise…

Mgr Desmond Tutu a déclaré : « Nous avons appauvri l’Église par la discrimination contre les femmes, nous l’avons déshumanisée. » Il s’est adressé aux femmes : « We needyou, we ask you to help us ».

Un évêque noir de Washington, Mgr Walker, a donné ce témoignage : « Je ne serais pas ici, je ne serais pas évêque, sans les développements du XXe Siècle dans l’interprétation des Écritures. Il n’y a pas tellement longtemps, on se servait encore des Écritures pour prouver que les Noirs n’étaient pas humains. Cessez de faire aux femmes ce que vous avez fait aux Noirs. Nous sommes un dans le Christ ou nous ne le sommes pas. »

Un amendement fut proposé selon lequel on dirait respecter l’opinion favorable à l’ordination des femmes mais sans que la résolution indique nécessairement une adhésion aux principes qui sont en jeu.

Les évêques américains et canadiens ont apporté leur expérience : on leur avait demandé une période d’essai de dix ans. Ils ont affirmé que leurs femmes prêtres étaient un cadeau de Dieu. Ils se sont plaints que les autres provinces mésestimaient un peu trop vite le temps de réflexion et d’études qu’ils avaient consacré à la question.

Certains ont proposé une deuxième résolution, demandant un moratoire ! Ils se sont vu répondre qu’attendre n’était pas une politique, qu’on était prêt à aller de l’avant.

Mgr Runcie a reporté le vote après la prière du soir, toujours marquée d’une piété réelle : « Nous nous sommes fortement affrontés, il nous faut prier ensemble ».

Le vote fut une surprise : « levée instantanée d’une forêt de bras, bras blancs, bras noirs, manches violettes et noires… » pour accepter la décision de certaines provinces de passer soit à l’ordination, soit à l’épiscopat des femmes. Cela produisit une si grande impression sur la foule qu’elle s’est fait rappeler de ne pas applaudir, selon leur coutume de respect pour les dissidents.

Il importe de rappeler qu’on n’a pas passé un vote sur l’ordination des femmes mais plutôt une déclaration d’intention de trouver des moyens de rester ensemble comme famille si quelques provinces décidaient d’aller de l’avant. Il n’y a pas eu de conclusion à la discussion théologique, comme le déplorait, entre autres, une candidate américaine à l’épiscopat.

A noter la façon très britannique de fonctionner : on part des faits, on expérimente, on évalue les conséquences que pourrait entraîner une décision… tandis que nous partons plutôt des principes, parfois discutés pendant 400 ans !

Les Anglicans sont préoccupés de la réception de leurs décisions plutôt que de chercher à asseoir leur autorité. Nous procédons à l’inverse : nous décidons, puis nous voyons si les catholiques peuvent rester unis avec les directives reçues…

Autorité vs autonomie

Selon le P. Ryan, la proposition de l’ordination des femmes n’a servi qu’à approfondir la question de l’autorité face à l’autonomie des églises nationales, et à manifester le poids primordial accordé à ces dernières. La base théologique pour l’église locale en tant qu’expression d’église a été très développée depuis 25 ans : l’église se réalise pleinement autour de son évêque, elle s’exprime dans sa personne, figure de l’unité. Mais « la signification des provinces n’a pas encore été substantialisée : par quelle autorité détiennent-elles leur autorité ? Celle-ci semble être seulement d’origine géographique » !

Voici un exemple des écueils pressentis par le P. Ryan dans cette forme de pratique : les femmes ordonnées prêtres ne peuvent pas exercer leur ministère dans les pays où l’Église anglicane exclut l’ordination des femmes. Ainsi, certains ont refusé d’assister à l’Eucharistie, en Angleterre, parce que leurs concitoyennes prêtres ne pouvaient y participer, afin de témoigner de leur solidarité. Il existe donc une difficulté de communion, tandis que nos évêques (catholiques) peuvent voyager dans l’Église universelle et célébrer partout. Qu’adviendrait-il à la prochaine Conférence de Lambeth si plusieurs femmes consacrées évêques ne sont pas acceptées en tant que telles par la totalité des participants ? Est-ce que tous les évêques voudront y assister ?

Le P. Ryan interprète la résolution finale comme un effort pour limiter les dégâts.

Justice sociale

S. Turcot s’était demandé si la préoccupation de la justice sociale pouvait émerger dans le pays de Mme Thatcher…

Durant la deuxième semaine, les évêques d’Afrique et d’Asie ont imposé leur agenda alors que l’ordre du jour avait été établi depuis longtemps : ils ont obtenu une soirée de méditation présidée par Mgr Tutu et ont demandé que cette journée-là soit déclarée jour de jeûne complet : tout le monde à l’eau, aucun repas servi (sauf pour les personnes de santé déficiente) afin de se mettre au diapason des peuples affamés. Ils ont de plus fait ajouter une séance plénière pour parler de leurs problèmes, du voisinage avec l’Islam, des pays en guerre.

Ils ont tenu un langage amical mais très franc : « Vos gouvernements viennent chez nous pour faire des expériences qui privent nos populations de leurs ressources »…

La situation d’extrême tension en Afrique du Sud a été omniprésente : les journaux et la télévision en parlaient constamment, les épouses des évêques ont présenté une pétition à Mme Thatcher. Dans les prières, exposés et résolutions, on a porté attention à toutes les situations d’oppression dans le monde, parce que ce monde-là « n’est pas ce que Dieu veut ».

En ce qui concerne l’autorité, il semble que si, à la limite, la recherche actuelle pouvait suffire pour les questions doctrinales et pastorales, ce qui est en train de transformer le rôle de l’Archevêque de Cantorbéry, ce sont toutes les demandes d’aide et les invitations à visiter les pays en crise. L’impact des problèmes sociaux est en voie d’obliger cette Église à faire des compromis vis-à-vis son autorité. L’Église mère est donc maintenant évangélisée par les pauvres : par ses provinces du Tiers-Monde. Cela la contraindra peut-être à relativiser les questions internes d’autorité. Ainsi, l’ordination des femmes a été placée dans une perspective de libération par Mgr Tutu, qui s’en disait solidaire.

Les évêques anglicans doivent au plus vite mettre sur pied un groupe de travail pour évaluer les conséquences de la décision de laisser des provinces consacrer des femmes évêques. On leur a toutefois recommandé de ne pas prendre le problème de l’ordination des femmes comme otage contre le bris de l’unité oecuménique.

Répercussions œcuméniques

Cette théologie des églises particulières pourrait peut-être nous apprendre à rapatrier chez nous un certain nombre de prérogatives.

Le statut théologique des conférences épiscopales serait aussi un point à améliorer…

Le P. Ryan affirme que le dialogue avec l’Église catholique ne sera pas rompu parce que Vatican II a décidé de poursuivre la recherche de l’unité. Mais il reconnaît que ces remous provoqueront un « coup de frein » dans l’Église catholique tant pour les femmes que pour la décentralisation…