LA LAÏCITÉ SELON LE CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME

LA LAÏCITÉ SELON LE CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME

Monique Dumais

Le Conseil du statut de la femme (CSF) a publié, le 28 mars 2011, l’avis suivant : Affirmer la laïcité, un pas de plus vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.  Cet avis est un document de 161 pages contenant 29 pages de bibliographie, très bien étayé dans son argumentation. La coordination de la recherche et la rédaction ont été assurées par Christiane Pelchat, alors présidente du Conseil du statut de la femme. Mon écrit vise à exposer le document sans présenter une analyse critique, d’autres articles du dossier de L’autre Parole sur la laïcité donnent des éléments de confrontation.

« Partout en Occident, les sociétés font face aux défis posés par leur sécularisation » (p. 5).  Cette première phrase de l’avis nous plonge dans la quête quelque peu tumultueuse de la laïcité qui a cours au Québec. Et s’amorce alors le parcours.  « Le Québec a entrepris une phase critique de son détachement de la religion lors de la Révolution tranquille » (p. 7). Quatre chapitres tracent nettement les étapes qui touchent les femmes au Québec : « les religions et l’infériorisation des femmes », « la dissociation de la religion et de l’État québécois : une voie vers l’égalité entre les sexes », « la laïcité au Québec », « affirmer la laïcité. »

Le chapitre III donne le sens de la laïcité au Québec, c’est lui qui est le plus percutant sur le sujet. Il existe une laïcité de fait, elle est garante de la liberté de conscience et de religion ainsi que de la démocratie. Cependant, l’avis déclare que la « laïcité ouverte » qui est pratiquée au Québec s’avère insuffisante.  La Commission Bouchard-Taylor appuie la « laïcité ouverte » ; son rapport adopte la définition donnée par la sociologue Micheline Milot : « un aménagement (progressif) du politique en vertu duquel la liberté de religion et la liberté de conscience se trouvent, conformément à une volonté d’égale justice pour tous, garanties par un État neutre à l’égard des différentes conceptions de la vie bonne qui coexistent dans la société. » (p. 62)

Le CSF exprime son désaccord avec l’option de la « laïcité ouverte » pour le Québec et donne les raisons suivantes :

D’abord cette façon de concevoir les relations entre l’État et la religion nous paraît impuissante à préserver les valeurs identitaires québécoises et à susciter l’adhésion de toutes et tous au pacte citoyen en raison de son étroite parenté avec le multiculturalisme, une doctrine expressément rejetée au Québec au profit de l’interculturalisme.

Ensuite, la « laïcité ouverte » favorise les situations de confusion entre le religieux et le politique en négligeant d’édicter des règles claires et structurantes, favorisant au contraire les délimitations au cas par cas, l’incertitude sur le plan juridique et les tensions sociales.

Finalement, en favorisant les droits individuels sans présenter de contrepoids en ce qui concerne les valeurs collectives, la « laïcité ouverte » enferme la société dans une logique individualiste qui ne permet pas de contrer la politisation des religions qui prend la forme de l’intégrisme ou de la droite religieuse. Les tribunaux refusent d’examiner le bien-fondé des revendications religieuses, ce qui ouvre la porte aux manifestations sexistes sous le couvert de la liberté de religion entravant ainsi la marche vers l’égalité des sexes. (p. 63)

Le Conseil du statut de la femme considère que le maintien du statu quo, de la laïcité de fait, que le choix de la « laïcité ouverte » n’offrent pas de garanties suffisantes pour préserver les acquis des Québécoises et pour poursuivre la marche vers l’égalité réelle (chap. IV). Il en vient à recommander d’inscrire la laïcité dans la Charte québécoise des droits et libertés. Les agentes et agents de l’État doivent refléter la neutralité de l’État en n’arborant aucun signe religieux ostentatoire dans l’exercice de leurs fonctions, ce qui a déjà été recommandé par le Conseil dans son avis sur l’égalité.

Les neuf résolutions à la fin de l’avis sont très significatives de la position du CSF.

« RECOMMANDATIONS DU CONSEIL DU STATUT DE LA  FEMME

1 – Affirmer l’interculturalisme dans une loi qui ferait notamment état des valeurs communes du Québec, dont la laïcité et l‘égalité entre les sexes.

2 – Déclarer que le Québec rejette la « laïcité ouverte ».

3 – Tenir une commission parlementaire composée de manière paritaire, chargée de faire le point sur la laïcité.

4 – Modifier la Charte québécoise afin d‘affirmer que l‘État est laïque en introduisant cette mention au préambule :

Considérant que l’État est laïque.

Et en changeant l’article 9.1 de cette façon :

Les libertés et droits fondamentaux s’exercent dans le respect de la laïcité de l’État, des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec.

La loi peut, à cet égard, en fixer la portée et en aménager l‘exercice.

5 – Modifier la Loi sur la fonction publique afin d’étendre l’obligation de neutralité politique et le devoir de réserve aux manifestations religieuses nettement visibles.

6 –Adopter une loi qui prévoirait les modalités d’application du principe de laïcité de l’État afin d‘établir clairement sa séparation d’avec la religion. Cette loi établirait que les agentes et agents de l’État doivent s‘abstenir d‘afficher leurs convictions religieuses par le port de vêtements ou de signes nettement visibles et de manifester leurs croyances sur leur lieu de travail. Elle interdirait aussi les signes et les symboles religieux dans les institutions d’État, sous réserve de leur caractère patrimonial, la récitation de prières d‘ouverture dans les conseils de ville et la participation des officières et officiers de l’État à des manifestations religieuses dans le cadre de leurs fonctions.

7 – Retirer le volet « culture religieuse » du cours ECR tel qu’il est actuellement conçu et présenté.

8 – Intégrer l’étude du phénomène religieux au cours Histoire et éducation à la citoyenneté. Ce cours aborderait les religions dans une perspective globale, historique, culturelle et sociologique, au même titre qu‘il traiterait des courants de pensée séculière et qu‘il parle déjà de la monarchie, des Lumières, de la Révolution tranquille, du combat des femmes pour le droit de vote, de la naissance et de l‘évolution des droits de la personne, etc.

9 – Dans le cadre d‘une commission parlementaire sur la laïcité, procéder à l‘évaluation des liens financiers entre l‘État et le religieux afin que l‘État ne soit pas ou ne paraisse pas associé aux religions. Les subventions aux écoles confessionnelles et les privilèges fiscaux consentis aux communautés religieuses devraient précisément être examinés. » (p. 131-132).