LA VIE COMMUNAUTAIRE EN 1989

LA VIE COMMUNAUTAIRE EN 1989

Monique Dumais, o.s.u. – Rimouski

« Tu vis en appartement ? », sous-entendu « seule », me demandent parfois des collègues de travail. – Non, je vis dans un groupe communautaire ; nous sommes présentement six dans mon groupe. » Il y a toujours un étonnement que je perçois chez la personne qui apprend que je vis en  communauté, alors que j’apparais indépendante, en situation de tirer seule mon épingle du jeu. Et, pourtant, je vis en communauté avec d’autres femmes.

Quel est donc pour moi le sens de la vie communautaire en 1989 ? La vie communautaire n’est pas une réalité nouvelle, puisque je suis entrée chez les Ursulines en 1969 ; toutefois, j’ai vécu en dehors d’un cadre communautaire pendant trois années consécutives pour des études et pendant huit mois pour un congé sabbatique. Dirais-je que j’avais déjà un entraînement important au côtoiement des autres et au partage, puisque je suis l’aînée d’une famille d’onze enfants et que j’ai connu six années de vie de pensionnaire ? L’expérience a été sûrement utile et m’a appris à préserver un milieu vital secret et bien gardé pour mes joies les plus intimes. J’ai cultivé mes terrains intellectuels, affectifs et spirituels. Autant la vie avec les autres est assidue, autant j’ai besoin d’un espace pour ma propre croissance. Il m’apparaît que la vie communautaire suppose une forte initiation à la vie collective et qu’elle doit s’allier à une bonne qualité de présence à soi-même.

Ce qui peut frapper à prime abord autant la personne extérieure au groupe que celle qui y vit quotidiennement, c’est le caractère paradoxal de la vie communautaire. On pense y trouver des personnes de physionomie semblable, je ne dis pas identique, et on fait face à des femmes aux tempéraments différents, aux aptitudes multiples, aux goûts culturels divers, aux options politiques variées, même si l’on peut observer des tendances plus marquées dans un sens que dans un autre. Une femme de trente ans vit avec deux soeurs dans la quarantaine, deux dans la cinquantaine et une autre dans la décade suivante. Deux aiment faire du ski de fond, deux autres préfèrent le jeu de cartes, deux autres une activité de détente plus individuelle. Les soeurs proviennent évidemment de contextes familiaux qui ont parfois peu de points en commun, de quoi s’ajuster et gagner en souplesse !…

Les milieux de travail sont aussi différents : quelques-unes enseignent, on les retrouve aussi bien au niveau primaire qu’au niveau universitaire, d’autres sont impliquées dans un travail pastoral, paroissial ou diocésain, d’autres auprès des malades, de femmes qui ont besoin d’un support, etc. La ligne de mission que se donne chaque congrégation religieuse est large et inclut plusieurs facettes. Ainsi, la communauté apparaît souvent comme un lieu de rassemblement des différences. Les petits groupes communautaires d’aujourd’hui favorisent la diversité, en la reconnaissant, et acceptent l’autonomie de chaque personne. Le respect de la personnalité de chacune est devenu une priorité ; le développement des sciences psychologiques et l’apport du féminisme ont sûrement contribué à établir cette priorité.

Il peut paraître étonnant que l’engagement pour des conditions entièrement favorables aux femmes dans l’Église et la société ne soit pas au premier plan d’une communauté ou de ma communauté. Une certaine conscientisation des conditions précaires voire pénibles des femmes est présente dans la plupart des communautés québécoises ; la Conférence religieuse canadienne a fait des efforts notables en ce sens. Existe également une Association des religieuses pour la promotion des femmes1 ; elle a pour objectif fondamental de « travailler à la promotion des femmes – religieuses et/ou laïques, dans l’Église et la société – dans une perspective évangélique et selon les charismes de nos congrégations ». L’actualisation des grands principes et la mise en oeuvre dans des actions concrètes restent cependant plutôt limitées ; elles se manifestent fortement dans un appui financier aux maisons des femmes, aux lieux d’hébergement des femmes victimes de violence conjugale.

Le centre de la vie communautaire est la poursuite d’un projet spirituel ; la communauté se donne des moyens pour garder vivante en elle et autour d’elle la présence d’un amour, celui de Jésus au coeur du monde. Dans une société sécularisée, il y a toujours un certain malaise à évoquer cette réalité ; certaines personnes comprennent et souhaitent cette dimension de la vie humaine ; d’autres n’y voient que pure illusion, mystification. Comprenne qui peut comprendre. C’est ce coeur spirituel qui me garde dynamisée et espérante dans une vie communautaire ; celle-ci nous permet de prendre les moyens afin de donner une vitalité toujours plus stimulante aux souffles de vie qui nous habitent.

La communauté n’est pas un milieu clos ; j’ose espérer qu’elle ouvre sur d’autres communautés, qu’elle nous rend disponibles et accueillantes vis à-vis beaucoup d’autres groupements humains. Ainsi, je ne me sens pas seulement membre de la communauté des Ursulines, mais je me perçois en partage avec une autre communauté plus vaste, plus fluctuante, parfois plus engageante, celle des femmes à la recherche de leur identité, soucieuses de leur autonomie et de leur participation entière à la société et aussi à l’Église catholique. Cette communauté des femmes, qui se vit dans une « ekklésia » des femmes, selon la vision d’Elisabeth Schussler Fiorenza dans En mémoire d’elle (Paris, Cerf, 1986) est un appel sans cesse lancé dans le monde d’aujourd’hui. Je me sens aussi en situation de disponibilité avec des femmes individuelles qui ont besoin de moments d’écoute, de quelques ressources matérielles.

Le sens du partage, la générosité du coeur et la recherche de la justice sociale doivent traverser la vie communautaire pour lui permettre de réaliser sa visée profonde.

1 L’Association des religieuses pour la promotion des femmes est constituée de répondantes mandatées par l’autorité compétente de l’une ou l’autre des congrégations de femmes.