DES SOEURS DE CŒUR

DES SOEURS DE CŒUR

Lucie Leblanc, Louise Lebrun, Louise Gauthier Bonnes Nouv’ailes

Des jeunes soeurs ?

Ça existe encore ?

Vraiment ?

Mais puisque je te le dis !

T’en connais ? Oui.

Une, deux … peut-être même trois !

Pourquoi ne pas les inviter à partager un souper-causerie – à la manière de Jeannette avec notre groupe Bonnes Nouv’ailes ?

Sans doute y verrions-nous un peu plus clair, voire même oserions-nous « lever le voile » sur ce qui, en 1989, motive une femme à choisir la vie religieuse consacrée. Raison de plus si elles ont notre âge, fin de la vingtaine, début de la trentaine … Et qui sait, peut-être tisserons-nous de petits fils de sororité. Suffit d’essayer.

Nous nous sommes donc attablées coude à coude avec nos trois invitées un soir frisquet de janvier. Nous vous ferons part dans les lignes qui suivent des éclairages reçus ainsi que des questions restées en suspens.1

Les vœux

Chasteté. A première vue, le voeu de chasteté a un caractère vieillot, un peu dépassé. En même temps, il provoque notre curiosité et notre étonnement. Les deux plus « anciennes » nous l’expliquaient comme une manière d’être disponible aux autres, de pouvoir aimer sans restriction et d’être libre par rapport aux contraintes qu’occasionné la vie familiale. L’une d’elles a souligné l’importance de soigner son équilibre affectif, c’est-à-dire : avoir des ami-e-s, pouvoir leur parler, les toucher, pour ne pas se dessécher du fait qu’une de leur dimension humaine, la sexualité, n’est pas vécue dans sa totalité. Voilà une réponse qui nous confirme la maturité de leur choix. Malgré cela, nous sommes restées un peu sur notre soif de comprendre. Nous n’avons pas eu le temps (peut-être aussi avons-nous craint de les mettre mal à l’aise ?) de poser la question suivante : Est-il nécessaire, pour vivre cette ouverture aux autres, de s’engager jusqu’à la fin de ses jours à une chasteté totale ? Pourquoi cet engagement ne pourrait-il pas être ponctuel et renouvelable ? Autre question restée en suspens : La théologie du Christ comme Époux parfait fait-elle encore partie de l’arrière-plan du voeu de chasteté ? Bien sûr, il y a eu des écrits admirables sur le sujet, pensons à Thérèse d’Avila, mais il nous semble que, dans une relation au Christ sous le modèle de la relation amoureuse, l’équilibre entre réalisme et phantasme doit être précaire.

Obéissance. Contrairement à la croyance populaire qui estime que le voeu de chasteté est le plus difficile à vivre, nos « jeunes soeurs » nous ont avoué que c’était plutôt l’obéissance. Selon elles, ce voeu d’obéissance doit être vécu comme une double exigence : être fidèle à soi-même tout en restant fidèle au charisme de la communauté qu’elles ont choisie. Cette double exigence implique non pas une obéissance aveugle mais une volonté de discerner et de négocier avec les autres les choix à faire pour le bien de la communauté et des personnes qui la composent. Bien que cette position soit entérinée par leurs constitutions, il reste que dans la réalité de tous les jours s’entrechoquent parfois idées, mentalités et … générations. Pour certaines religieuses qui ont vécu l’ancien système (c.à.d. pré-Vatican II), il est parfois difficile de comprendre les revendications des plus jeunes concernant leur droit à l’individualité et à l’autonomie. Dans ce nouveau contexte, ne serait-il pas plus exact de remplacer l’expression « voeu d’obéissance » par « engagement à la fidélité envers soi et la communauté » ?

Pauvreté. La pauvreté ne leur fait pas peur mais l’austérité, oui. Elles veulent s’engager à vivre simplement, en solidarité avec les pauvres d’ici et d’ailleurs. Mais elles se défendent bien de vivre dans l’austérité. À cause d’une conscience de leurs besoins et de la nécessité de garder un bon équilibre personnel, elles n’hésitent pas à s’accorder des « petites douceurs ». Par exemple : pour l’une ce sera de partir seule marcher dans la forêt, pour l’autre de garder ses claviers et sa guitare, etc. La plupart du temps, les autres religieuses comprennent et respectent les besoins propres à chacune quand celle-ci les identifie clairement comme nécessaires à son équilibre personnel.

Nos trois invitées semblent vivre ce voeu plus radicalement que bien des religieux. Elles donnent entièrement leur salaire à leur communauté ; elles évaluent leur budget personnel et reçoivent simplement l’argent nécessaire à leurs besoins. Ainsi elles ne peuvent disposer d’une auto qu’en de rares occasions ; pourrait-on en dire autant de bien des jeunes religieux ? Serait-ce que l’homme, vu comme le pourvoyeur depuis belle lurette, s’attribue un droit à des privilèges que même ce voeu de pauvreté ne pourrait effacer ?

Des voeux perpétuels ? ça nous pose question, Tout comme dire un « oui » pour la vie à l’homme que nous aimons. N’est-il pas plus humainement tolérable de tendre à toujours ré-actualiser ses engagements d’année en année en espérant continuité et fidélité à soi et au projet commun ? Pourquoi affirmer au point de départ que Dieu/Dieue nous demande de vivre « perpétuellement » le même état de vie ? Les desseins de Dieu/Dieue ne sont-ils pas insondables ?

Spiritualité et valeurs

La spiritualité de ces femmes nous a semblé toute empreinte d’une recherche d’Absolu et en même temps respectueuse des cheminements individuels. « L’appel » à la vie religieuse consacrée se fait de façons multiples : que ce soit très tôt en âge comme un « coup de foudre » ou que ce soit très progressivement dans un cheminement de foi qui prend de la maturité.

Leur spiritualité est très près de l’Evangile et des options fondamentales qui y sont rattachées. Elles ont toutes trois décidé de travailler auprès des plus démunis, qu’ils soient enfants, adolescents ou femmes victimes de violence. Ce sont des valeurs sociales d’engagement qui ont déterminé leur choix de communauté. Oui, elles choisissent. Elles refusent de rentrer dans « le moule ». Elles savent ce qu’elles veulent.

L’idéal de vie de ces femmes nous semble fort élevé. Une sorte de « pureté » se dégage de ce qu’elles vivent. Ce terme de pureté s’entend ici comme une recherche de congruence entre ce qu’elles disent, croient et vivent. Une douce transparence de leurs valeurs fondamentales ressort de leurs propos.

Cependant une constatation s’impose à nous toutes, féministes que nous sommes : leur vie spirituelle ne semble pas souffrir de la rareté des images de Dieu au féminin dans notre tradition chrétienne. Elles ne se préoccupent pas vraiment de trouver de nouvelles façons de dire Dieu/Dieue. Pas encore du moins.

La vie communautaire

L’aspect communautaire est également au centre de leur option pour la vie religieuse. Le besoin de « faire communauté » est vivement ressenti tout comme ses exigences. Ce n’est pas un choix facile, d’autant plus que ces dernières années les jeunes postulantes ne se bousculent pas aux portes des communautés. De plus en plus, l’aspect communautaire se vit en petites cellules de deux à huit personnes (rarement davantage) par maison ou appartement. Cette évolution semble bien leur convenir puisqu’elles veulent vivre le plus près possible du « monde ordinaire ».

L’avenir des communautés religieuses

Cet avenir proprement dit ne semble pas les préoccuper outre mesure. Bien sûr, elles constatent tout comme nous que les moyennes d’âge ne cessent d’augmenter : « Mais, se demandent-elles, faut-il maintenir à tout prix des structures qui ne correspondraient plus aux besoins nouveaux d’une société toujours en mouvement ? » Elles veulent « faire Église », avec d’autres, elles ne veulent pas vivre en « serre chaude ». Sans renier le passé, cette question démontre les racines profondes de la foi de ces femmes engagées aujourd’hui et tournées vers l’avenir. Oui vraiment, ces femmes en cheminement ne sont pas des soeurs costumées mais bien des « soeurs de coeur ».

Est-ce que la complicité est née ?

Peut-on miser sur cet apprivoisement ?

C’est sans doute en se ré-invitant les unes les autres, à la prochaine soirée rencontre sur « femmes et ministères », par exemple, que le goût de partager se développera ! À nous d’y voir !

1 N.B. : Deux de nos invitées sont engagées depuis quelques années en communauté tandis que la troisième y pense sérieusement.