LE DROIT DE VOTE CHEZ LES RELIGIEUSES

LE DROIT DE VOTE CHEZ LES RELIGIEUSES

Yvette Laprise – Myriam

L’obtention du droit de vote féminin en 1940 a-t-il influencé la formation de la conscience politique des religieuses ? Dans quel contexte ont-elles exercé leur devoir de citoyennes durant le dernier demi-siècle ? Se sont-elles toujours prévalu de leur droit de vote ?

Une enquête-maison m’a permis de glaner des éléments de réponse à ces questions. Nous puiserons tantôt dans des documents d’archives, tantôt dans des témoignages pris sur le vif auprès de quelques religieuses aînées. Nous lèverons ainsi un coin du voile derrière lequel évolue le monde religieux et risquerons même un coup d’oeil complice à nos soeurs cloîtrées.

Avril 1940. Les suffragettes jubilent. La gente féminine québécoise peut désormais se rendre aux urnes. C’est là une victoire gagnée de haute lutte. Ce droit reconnu à toutes les femmes l’est aussi aux religieuses. Comment en useront-elles ?

Les documents d’archives 

Rappelons d’abord qu’avant 1940 la législation canadienne reconnaissait aux femmes le droit de voter lors des élections fédérales. Les religieuses n’y ont pas été étrangères. En font foi, les extraits du document suivant daté de 1932. Il s’agit d’une lettre d’une supérieure générale à son évêque :

« J’apprends que quatre candidats se présentent dans notre quartier Laurier : deux libéraux, un conservateur et un du parti de la restauration. Que faut-il penser de ce dernier ?

S’il y a quelque raison de voter, nous le ferons en toute conscience : il nous importe assez peu de faire autrement que les autres s’il s’agit d’une action utile.

 

Et bien plus, je voudrais voir toutes les autres religieuses (car il y en a certainement dans des quartiers entamés par le communisme) agir de même ; il me semble que nous avons un très sérieux devoir de le faire là où des candidats douteux travaillent à se faire élire.

(…)

J’ose vous dire mon sentiment en toute simplicité mais veuillez croire que je me soumettrai sans peine à votre jugement beaucoup plus éclairé que le mien… peut-être guidé par un obscur atavisme. »1

De la teneur de celte lettre, on peut déduire que les religieuses ne votaient pas toujours mais seulement lorsque l’ordre public était menacé par quelque « candidat douteux », qu’elles voulaient un vote éclairé et que la personne-ressource toute désignée était l’évêque du lieu.

Une vingtaine d’années plus tard, soit en 1956, la Conférence des évêques du Québec, à la demande des supérieurs majeurs des communautés religieuses, rédige une liste de directives concernant les élections civiles.2

Dans ce document, les évêques reconnaissent que les personnes consacrées, à titre de citoyennes, ont droit à « leur libre opinion sur la chose publique » et que l’exercice du droit de vote est « d’une importance extrême ».

Tout en rappelant aux supérieurs majeurs le devoir de respecter la liberté de choix de leurs sujets, ils les invitent cependant à user de prudence à maints égards : en veillant à ce que « les religieux d’une communauté ne soient pas les seuls à aller voter dans un même bureau de scrutin pour sauvegarder la discrétion du vote des communautés ; en n’admettant pas que des hommes ou des femmes viennent faire de la propagande électorale dans la maison. »

Ils leur recommandent de « choisir le candidat le plus digne et le plus compétent », de « tenir compte de la valeur des chefs de parti », « de prier avec ferveur tant pour les électeurs que pour les candidats afin que les élus puissent promouvoir le bien de la religion comme celui de l’État. »

« Nous ne voulons pas dire que, pour le moment, tous les religieux doivent nécessairement exercer leur droit de vote : chez nous, en général, les intérêts supérieurs de la religion ne le requièrent pas. Il suffirait, peut-être, de favoriser la sortie d’un certain nombre de sujets afin d’habituer le public à voir des religieux et des religieuses exercer leur droit de citoyens. « 

En somme des directives à saveur paternaliste qui sous-entendent que le mieux c’est « d’en user comme n’en usant pas. » L’exercice de ce droit ne doit pas tropdistraire les religieux de leur train de vie habituel et les motifs allégués pour aller aux urnes semblent être avant tout d’ordre religieux.

Dans quelle mesure ces directives ont-elles été suivies ? Le témoignage de quelques religieuses aînées peut nous éclairer à ce sujet.

Témoignages

« Autant que je me souvienne, nous confie une septuagénaire, j’ai voté dès 1940, j’avais alors 26 ans. Pour notre information, on nous disait : « Le vote est un devoir à accomplir », mais nous avions la liberté de nous rendre ou pas aux urnes. Pour ce qui fut de moi, je me reportai alors à ce que j’avais vécu dans ma famille où le vote était considéré comme un devoir sacré. La consigne ? Voter pour l’homme plutôt que pour le parti. Voter selon sa conscience face à Dieu. Ne pas dévoiler son vote pour éviter les querelles et les cabales incongrues. Faire de son mieux et abandonner le tout à la Providence. C’est elle qui dirige les hommes et les partis. Quant aux autorités religieuses, je ne me souviens pas qu’elles aient porté grand intérêt à l’événement … »

Une autre se rappelle que les organisateurs des partis s’empressaient de venir chercher les soeurs pour les conduire au bureau du scrutin, comptant sans doute faire pencher la balance de leur côté.

Dans les monastères, il est permis d’enfreindre la règle de la clôture pour se rendre à l’isoloir apposer sa croix au candidat de son choix.

Les religieuses semblent donc exercer sans contrainte leur droit de se présenter aux urnes. Mais qu’est-ce qui détermine leur choix ?

Au début, m’assure-t-on, les soeurs votaient souvent suivant le parti de leur famille naturelle. D’autres formaient leur jugement à partir des journaux, des conversations avec des membres de leur famille ou avec des amis, et même, ces dernières années, à partir des discours des candidats qui s’invitaient eux-mêmes dans les couvents pour mousser leur candidature.

Une ex-enseignante se remémore que, dans le collège où elle enseignait, il revenait au professeur d’histoire du Canada de faire connaître les orientations des grands partis : « Je me souviens, dit-elle, que le cheval de bataille de M. Duplessis était l’autonomie de la province. » Les soeurs profitaient aussi du contact avec les parents d’élèves pour se former une opinion.

Aujourd’hui, des soeurs participent à des assemblées politiques avec des groupes populaires, elles suivent les débats télévisés, prennent connaissance du contenu des feuillets publicitaires, etc.

Ces quelques témoignages, appuyés de documents officiels, donnent un aperçu du vécu des soeurs dans le monde complexe de la politique.

Une enquête plus étendue nous révélerait sans doute d’autres aspects du comportement politique des religieuses qui ne figurent pas dans ces lignes.

1 Lettre tirée des archives des Soeurs de Notre-Dame-du-Bon-Conseil de Montréal.

2 « Aux religieux et religieuses des communautés de la province civile de Québec, Directives concernant les élections civiles. » Charles-Omer Garant, secrétaire. Pour l’assemblée épiscopale de la province civile de Québec, 5 avril 1956.