Le renouveau conjugal et les femmes

Le renouveau conjugal et les femmes

Dans une étude sur les « T-GROUPS » dont le RENOUVEAU CONJUGAL fait partie, une sociologue américaine, Marguerite M. Kiely du Mental Health Services de Roanoke en Virginie*, dit des choses fort intéressantes à plus d’un point de vue. Je me propose de vous faire part des réflexions que cette recherche a stimulées en moi, comme féministe et comme chrétienne.

La sociologue nous rappelle que le but des « encounter groups » est de développer toutes les facettes de l’être humain et de l’aider à se débarrasser des carcans que toute identification à un rôle, dans la société, produit forcément.

Nous savons bien que dans notre société occidentale, la raison, l’intelligence, le sens critique sont les aspects de l’être humain les plus nobles, et ce n’est pas par hasard que les mâles sont acculturés de façon à développer les qualités dans ce sens, qualités qui sont supérieures à toutes les autres. La femme, quant à elle, a dû évelopper ses qualités de coeur, de sensibilité et d’émotions, qualités qui ont plutôt cours dans les sphères de la vie privée, où l’a confinée l’organisation patriarcale de notre société. (Dans cette schématisation, il s’agit, bien entendu, des accents premiers de la valorisation et donc de l’éducation).

Or, nous dit la sociologue, la philosophie sousjacente au fonctionnement des « encounter groups » repose sur le postulat que 1’apprentissage vient de 1’expérience ; nous devons entendre par là, 1’expérience de tout 1.’être. De ce postulat, découle une teinte anti-intellectuelle, ant1-rationel1e, qui colore le choix des moyens mis en oeuvre pour atteindre la fin recherchée. Dans ces groupes, on « s’exerce » à vivre en supprimant, pour un temps limité et dans un cadre artificiel, l’utilisation du jugement, pour mieux saisir, pour mieux sentir ses émotions afin de s’habituer à les exprimer. On espère ainsi apprendre à tirer partie du développement de certaines potentialités de l’être humain qui devraient normalement lui être utiles pour se réaliser et être aimé.

Il est donc évident que pour les « encounter groups » développer tout l’être c’est cultiver les qualités dites féminines endormies chez le mâle. Et par conséquent, ce n’est pas du tout évident qu’on atteigne le but poursuivi, c’est-à-dire développer tout l’être quand il s’agit des femmes. En effet, durant ces sessions., on ne leur donne pas la chance de cultiver en elles, ce que leur éducation, leur acculturation a mis en veilleuse, c’est-à-dire, ces qualités de l’intelligence, de la raison donc la chance d’acquérir et de pouvoir utiliser le savoir valorisé par la société.

Chez nous, au Québec, beaucoup de femmes chrétiennes sont sollicitées par l’expérience du RENOUVEAU CONJUGAL. Il nous appartient donc comme féministes, de les inciter à réfléchir, sur ces quelques lignes avant d’accepter ou encore, en cours d’expérience si elles acceptent, l’invitation.

On peut même comprendre que cette expérience du RENOUVEAU CONJUGAL, vécue en dehors des contraintes quotidiennes, située artificiellement par rapport au contexte socio-économique, soit agréable à vivre, puisque, à cette occasion, on fait appel à des habiletés que les femmes ont déjà, on valorise des qualités qui sont traditionnellement leurs. Cependant, revenues chez elles, dans leurs rapports quotidiens aux normes en vigueur dans la société mâle, dans leurs rapports quotidiens avec les hommes, elles pourraient être déçues. Elles ne seront pas mieux outillées pour répondre aux défis des qualités valorisées par la société, qualités qui, elles, seront restées les mêmes. Tandis que les hommes, eux, reprendront leurs places et leurs mentalités. Ils seront changés certes, mais ces changements dans le sens de l’acquisition de capacités accrues, s’inscriront dans un rapport de force homme/ femme au détriment de la femme. Et à cet égard, 1’auteur parle même de qualités accrues qui renforciront le rapport dominant/dominé traditionnellement vécu dans nos sociétés patriarcales.

Enfin, parce que ces expériences sont souvent situées dans un réseau de prolongement de l’expérience chrétienne, il est bon de se souvenir que la force libératrice de tout christianisme vécu authentiquement s’accommode mal d’inégalités de chances au départ comme cela est le fait de la structure et du fonctionnement des groupes en question. S’accommode mal aussi de tentatives de renforcissement d’une oppression de l’homme sur l’homme de quelque nature qu’elle soit : raciste, économique ou sexiste.

Judith Dufour

* Marguerite M. Kiely : Mental Health Services Roanoke, Virginia. The Politics of Encounterin !, conférence donnée au Boston Study for Social Problems, septembre 1979.