LES RELATIONS MÈRE/FILLE – DES RELATIONS MULTIPLES HIER COMME AUJOURD’HUI

LES RELATIONS MÈRE/FILLE – DES RELATIONS MULTIPLES HIER COMME AUJOURD’HUI

Moi, écrire sur les relations mère fille, alors que les premières images qui surgissent me rappellent les nombreux conflits de ma relation filiale avec Claire, ma mère, ça ne va pas de soi. Et l’âge aidant, cette recherche des moments marquants de la vie, qu’ils soient bons ou moins bons, demeurent des jalons qui me font voir la grande toile déjà tissée et qui se continue. Je comprends qu’il n y a pas qu’une seule figure maternelle et donc, pas qu’une seule relation mère/fille.

En maintes occasions, avant d’atteindre ma première décennie, j’accompagnais ma mère dans son magasinage du samedi chez Dupuis ou Eaton, plus rarement sur la rue Saint-Hubert. Le plus souvent, Alice, la grande amie de ma mère, se joignait à nous ou plutôt, nous nous joignions à elle. De nombreuses fois, l’expédition débutait ou se terminait par un dîner dans les institutions de l’époque : le Mont-Royal Bar-B-Q, l’American Spaghetti House, le 9e chez  Eaton ou le sundae au caramel du « 5-10-15 cents », le Dollorama de l’époque. Mais déjà, les sundaes coûtaient 25 cents !

Ma mère avait son réseau d’amies, quelques implications paroissiales, son travail à l’extérieur et la maisonnée. Après ces premières années où nous sortions en filles, rien … ou presque. Elle n’a jamais compris mon désir d’étudier, de travailler à l’extérieur du foyer, elle n’a jamais accepté que je ne sois pas une femme qui se fasse vivre par son mari et ne se consacre qu’à la maison et à ses enfants. Par ailleurs, elle était reconnue pour son accueil, ses talents de cuisinière. Son « roastbeef » comme on disait alors, et son jambon à la mélasse n’avaient pas leur pareil. Parvenue à l’âge de la retraite, elle s’offrait à garder ses petits enfants.

De Claire, j’ai gardé le plaisir de rassembler mon monde autour de la table, de créer un moment de partage. Son option pour l’amitié, aujourd’hui on dirait pour la sororité, reste un fondement dans ma vie.

Et il y a eu les deux Marie-Jeanne, deux figures de mère. La première, la mère d’une amie d’adolescence de qui j’ai appris que la sexualité, c’était bon, que les liens charnels n’étaient pas des péchés mais faisaient partie des belles choses de la vie et que la maison devait toujours être une porte ouverte pour accueillir l’enfant qui veut tout à coup nous parler. La deuxième, ma belle-mère, m’a marquée par l’accueil inconditionnel des êtres qui nous sont chers même si nos idées sont à des années lumières les unes des autres. Au début de l’âge adulte, ma route a croisé Bente qui m’a fait découvrir non seulement son pays, le Danemark, mais égaiement l’importance de la relation de couple dans un mariage. Et aujourd’hui encore, les lettres cheminent toujours d’un côté et l’autre de l’Atlantique.

Claire, les Marie-Jeanne et Bente sont les « mères » qui ont marqué ma vie. En relisant ces lignes, je revois le logement de la rue Saint-Denis régulièrement envahi par des cousines accompagnées de leur conjoint. C’était par de belles soirées d’été, le dimanche après-midi ou les samedis soirs en hiver. Ma mère était ce personnage maternant qui leur apportait ce petit quelque chose qu’elles n’avaient pas avec leur propre mère. Et cela m’amène à regarder d’une manière plus large mes propres relations comme mère.

Moi comme mère … différentes images surgissent.
Le sexe de l’enfant
Le premier instantané remonte à l’époque de mes grossesses. Les échographies n’existaient pas encore. Le sexe de l’enfant restait un secret jusqu’au moment de la naissance. C’était le cadeau réservé après la dernière poussée, lorsque le gynécologue criait bien fort le sexe de l’enfant : c’est une fille, ou un fils en ajoutant : l’enfant est en bonne santé. Ouf !
Les vœux de la mère

Qu’il soit fille ou garçon, le nouveau-né est un être à apprivoiser et un caractère à décoder. Ma fille, je la voulais forte, bûcheuse, joyeuse pour passer à travers les hauts et les bas de la vie et surtout je lui souhaitais de réussir à devenir ce qu’elle souhaitait devenir.

La lutte aux stéréotypes
Au début, pour ne pas me faire prendre dans les stéréotypes ambiants, j’ai acheté des camions, surtout pas de Barbie, pour ma fille et des poupées sexuées pour mon fils. Ma fille n’a jamais apprécié jouer avec les camions ou les autos et j’ai finalement opté pour la Barbie de ses rêves. Mon fils, de son côté, n’a pas joué avec les poupées et n’a pas eu besoin d’un vrai camion pour faire « vroum, vroum ». N’importe quel contenant de plastique devenait un camion !

S’il était relativement facile de penser et d’agir pour dépasser les stéréotypes les plus flagrants de l’époque, il a toujours été plus difficile de les identifier dans les petits gestes de la vie quotidienne. Ainsi, en famille, mon conjoint a été pendant longtemps le chauffeur attitré lors des ballades familiales. Moi, j’utilisais l’auto pour vaquer aux courses, mais en d’autres temps, c’était le papa qui conduisait.

Avec le temps, en questionnant le rapport du conjoint aux travaux ménagers, j’ai été amenée à remettre en cause mon  rapport aux tâches reliées au bricolage ou à l’auto. Ainsi, les enfants qui voyaient leurs parents développer conjointement de nouvelles expertises ont appris à se débrouiller avec le bricolage, les repas ou les courses.

Une mère féministe
Mes enfants ont eu à apprendre à vivre avec une mère qui se dit féministe et revendique publiquement une place pour les femmes et cela dans toutes les sphères de la société. Baigner dans la potion magique du féminisme dès l’enfance n’est ni simple ni donné à tout le monde comme me l’ont rappelé mes enfants. À l’adolescence, une petite blonde de mon fils lui a fait remarquer qu’il était bien trop féministe, qu’il ne se laissait pas assez servir. Ma fille, comme bien d’autres filles de mères féministes qui ont choisi un métier traditionnellement féminin, n’a pas trouvé facile d’exprimer son choix parce que, pour elle, je semblais valoriser une voie moins classique. Ce fut l’occasion de repenser aux souhaits que j’avais formulés au moment de sa naissance – à savoir qu’elle puisse devenir ce qu’elle souhaite devenir.

La relation amico-maternelle
Cuisiner, magasiner, partager un repas,  aller au théâtre, au concert ou voyager avec l’un ou l’autre de mes enfants est toujours pour moi un grand privilège que je considère, à chaque fois, comme un cadeau. Si le rapport mère/enfant est premier, s’il est le déclencheur de sa croissance, ce par quoi il advient , cette relation dépasse avec le temps l’aspect strictement parentale. Je reste la mère, mais en même temps il se crée un lieu de partage, d’échange, où le lien d’amitié prévaut et permet de se retrouver avec plaisir, de construire ensemble.

Les liens d’amitié avec de jeunes femmes
Si mes relations avec des femmes de 15, 20, 25 ans plus jeunes que moi présentent bien une composante maternelle due à la différence d’âge, à l’expérience de vie que j’apporte à l’approche de la soixantaine, elles sont aussi porteuses de forts liens d’amitié et de sororité. Elles se retrouvent dans ma vie personnelle, dans mes lieux de militance et au travail. Ces liens me nourrissent, me stimulent, m’interpellent continuellement m’évitant de rester dans les sentiers battus.

Et relisant ces lignes, je revois encore mes cousines prenant d’assaut le logement du 8426 de la rue Saint-Denis.

Monique Hamelin, Vasthi