L’OR BLEU

L’OR BLEU

Hélène Saint-Jacques, Bonne Nouv’elles

En décembre dernier, Yasmine Berthou écrivait dans l’hebdomadaire Voir  :  « À l’occasion du dévoilement de la politique de l’eau, le ministre Boisclair a réaffirmé son refus de la commercialisation de l’eau. Il n’a cependant évoqué ni la présence toujours plus importante de multinationales dans nos nappes phréatiques ni la fuite de l’or bleu à  l’étranger ». Et l’auteur de préciser : « Aujourd’hui les multinationales étrangères (Danone-France, Nestlé-Suisse, Parmalat-Italie) contrôlent plus de 80 % du marché québécois de l’eau embouteillée ». 1

En lisant ce papier, je me suis demandé à quoi consentons-nous en achetant de l’eau ? À une réelle nécessité parce que la qualité de l’eau du robinet ne répond plus aux normes sanitaires ou parce que c’est une habitude de consommation insidieusement proposée par un marché attiré par des perspectives de gains rapides ? En fait, quelles intentions animent le lobby de l’eau au pays ? Yasmine Berthou démontre bien le véritable dessein de la compagnie française de dominer le marché de cette précieuse ressource naturelle quand elle écrit :  « Il n’y a qu’à observer le manège du géant français Danone qui a racheté cet automne, sans que cela ne s’ébruite, Patrimoine des eaux du Québec, pour ensuite acquérir Sparkling Spring Water en Colombie Britannique, devenant ainsi le numéro un dans la province, au Canada et dans le monde ». 2

 Alors que penser quand le ministre de l’environnement et de l’eau affirme s’opposer à l’exportation massive et à la commercialisation de ce précieux liquide ? Il est bien difficile de croire à un tel discours quand on laisse des multinationales se nicher dans un patrimoine aussi vital que celui de l’eau. D’autant plus, qu’au colloque  : Des capitaux pour le secteur de l’eau, un défi mondial, tenu à Montréal le 25 octobre 2002 et présidé par Monsieur Boisclair, on notait la présence du président du Conseil d’administration du NASDAQ Stock. 3

 Comme le veut le proverbe : Il n’y a pas de fumée sans feu, il apparaît évident que l’eau de nos sources naturelles est devenue une marchandise attrayante pour le monde de la Bourse. Ne soyons pas naïfs. Il est bien connu que ces mastodontes industriels ne l’investissent pas par bienveillance mais plutôt pour nourrir leurs propres intérêts tout en rapportant de l’argent à des investisseurs impatients, boulimiques et sans visage.

À quand Wall Street  ?

 Ne jouons pas l’ignorance. Désormais nous savons. Des géants de l’industrie frayent dans nos nappes phréatiques et les besoins en eau douce augmentent fortement d’année en année. N’y aurait-il pas lieu de débattre de la question en public ? Je m’explique mal le silence des élus municipaux, provinciaux et fédéraux dans ce dossier. Comment se fait-il que l’avenir de nos lacs, de nos rivières et de nos aquifères ne fasse pas débat en chambre ?

 L’eau est une nécessité aussi vitale à la survie que l’air que l’on respire. De ce fait, il semble urgent de s’interroger sur le sort réservé à ce liquide incolore, inodore, transparent, insipide qui coule à chaque jour en abondance et gratuitement de nos robinets. Essayons seulement d’imaginer toute une journée sans eau.

 Alors, que faire face à cette question qui deviendra – je le sens – vite épineuse ? Pour l’heure, sommes-nous suffisamment concernés par la valeur de ce bien ou est-il encore trop tôt pour nous en préoccuper ? Ne jouons pas l’indifférence. Soyons responsables face au danger qui guette le Patrimoine des eaux du Canada et exigeons un débat sur cette question le plus tôt possible. Car laisser faire pourrait être catastrophique, dans les prochaines décennies, pour cette richesse inestimable qui coule dans les veines de notre sous-sol.

 Il est clair que bientôt nous serons taxés pour l’usage quotidien de l’eau. Déjà, les bouteilles d’eau potable garnissent le panier d’épicerie. Qu’arrivera-t-il lorsqu’en Bourse des spéculateurs s’arracheront l’or bleu  comme aujourd’hui on s’arrache le pétrole ? En viendrons-nous , un jour, à utiliser ce bien vital pour dominer le monde et provoquer de nouvelles catastrophes humanitaires ? Est-il possible d’imaginer qu’un jour, ici, dans notre propre pays, quelqu’un aura soif ou ne pourra suffire à son hygiène personnelle parce qu’il n’aura pas les moyens de se payer de l’eau ? Impensable ! direz-vous. Réfléchissons. Voyons la démesure qui régit le monde actuellement. Pendant que les uns se gavent , les autres crèvent de faim – cela n’est pas arrivé tout seul. Des hommes ont provoqué ce déséquilibre , d’autres y ont consenti soit par indifférence, soit par manque d’esprit critique.

Ensemble prenons conscience de ce qui se trame sous nos yeux. Demandons-nous : Ai-je le droit de consentir à ce que l’eau pure qui coule des sources naturelles de mon pays devienne une simple marchandise ?

1. Lire Yasmine Berthou, VOIR, Eau Canada,12 au 18 décembre 2002, Montréal

2. 3. Ibidem