Prends ta pilule et vole

Prends ta pilule et vole

Prends ton grabat et marche », avait dit Jésus. Les dérapages du virage ambulatoire m’ont inspiré en 1998 d’écrire dans Présence Magazine une chronique traitant des hauts et des bas de la vie d’un opéré. « Tiens ta jaquette et marche », tel était le titre rigolo que j’avais choisi, question de ne pas sombrer dans la déprime en décrivant une réalité bête à pleurer.

Aujourd’hui, je prends les choses de plus haut. Pour écarter au départ tout risque de méprise, je précise que la pilule dont il s’agit ne contient aucune substance dont la possession ou l’usage contreviennent aux lois de notre beau pays. Le mot « voler » est ici à prendre au sens propre, celui de s’élever dans les airs à bord d’un avion. C’est donc dire qu’obéir à la proposition « prends ta pilule » ne vous permettra pas à elle seule de partir en « voyage », et encore moins de faire un bad trip. La suite de mon propos est hélas moins rassurante.

Les transporteurs aériens déploient habituellement toutes les ressources de l’euphémisme et de la litote pour présenter les mesures de sécurité à bord de leurs appareils, et pour expliquer les précautions à prendre en cas de catastrophe. Pas de SPLASH, de BOUM ou de CRASH pour évoquer la perspective d’un amerrissage ou d’un atterrissage forcés, juste des dessins bon enfant, dans un joli dépliant coloré montrant un avion qui pique délicatement du nez vers un plan d’eau tranquille ou un îlot rassurant. Jamais un mot non plus dans leur publicité sur les inconvénients et périls liés au ;’ef stress, cet état d’épuisement et de fatigue lié aux vols sur long-courriers. Internet vient de corriger cette dernière lacune. En consultant les sites :

http://www.jetease.com/jeteasel.html.fr

http://www.jetease.com/jetea2.html.fr

http://www.jetease.com/jetease3.html.fr

vous apprendrez que le jet stress cause non seulement de la « fatigue » et de l’« épuisement », mais qu’il risque encore de gâcher vos voyages d’affaires et vos vacances en vous plongeant dans un tel état de « confusion » et de « désorientation » que vous en deviendrez « irrationnelles », « déraisonnables » et « irritables ». Vous aurez le sentiment de perdre la tête, d’autant plus sûrement d’ailleurs que vous aurez déjà perdu le sommeil, sinon vos clés, vos chèques de voyage et votre passeport, avant même d’être arrivées à destination.

Les longues heures passées en avion vous déshydrateront à coup sûr, d’où les « maux de tête », le « dessèchement de la peau », l’« irritation nasale » et le « mal de gorge », pour ne rien dire des « risques de rhume et de grippe ». Je vous fais grâce des problèmes de diarrhée qui affectent la moitié des personnes voyageant sur un long-courrier. Ce que mes petits-enfants américains appellent avec des étoiles dans les yeux le air-plané food, apprenez-le, « est une nourriture quelque peu suspecte sur certaines lignes dans certaines parties du monde ». N’en disons pas plus pour ne pas risquer la poursuite en libelle. Le document suggère aussi de prendre une douche dans les aéroports lors des escales. Que n’y ai-je pensé plus tôt ! N’hésitez pas à suivre ce conseil, même s’il faut pour cela faire le détour par Tokyo ou Hawaii.

Voler vers l’ouest provoque moins de jet stress que de voler vers l’est. Cela peut vous aider à choisir votre destination, mais ne règle pas le problème du retour. À bien y penser, autant aller dans le sud, je sens qu’on risque moins d’en perdre 1e nord. Encore un conseil : faites des allers retours entre la cabine de pilotage et 1a queue de votre 747 préféré. Si les hôtesses n’apprécient pas votre va-et-vient à l’heure où elles servent le lunch, expliquez-leur que la nourriture à bord est infecte et que vous avez à coeur votre santé. Ne prenez pas de somnifères, ils risquent de provoquer chez vous un « état comateux », ce qui peut entraîner la formation de caillots. Évitez l’aéroport d’Heathrow, on y meurt beaucoup. Sur une période de trois ans, 18 % des 61 personnes qui y sont mortes subitement ont succombé à cette complication. L »histoire ne dit pas dans quelles aérogares les malades chroniques choisissent d’aller trépasser. Le danger croît avec le nombre de fuseaux horaires à traverser. Qu’on se le dise !

Grâce au Ciel, il y a moyen de parer à tous ces inconvénients : la prise de comprimés Jeteuse, les bien nommés. Ils sont un « complément vitaminé ». Ne partez pas sans eux, Internet vous le recommande, Internet vous le commande. Si vous avez peur de prendre l’avion, vos craintes sont mal placées, c’est le jet stress qui blesse et qui tue. Je vous l’avoue, j’ai mis du temps à comprendre que toutes ces informations terrifiantes et évocatrices de fins dernières, dont le web m’entortillait, visaient à me faire acheter des Vitamines, j’ai cru un moment qu’on allait plutôt me proposer de la MORTadelle. Ouf ! je vous quitte pour aller prendre l’air.

MARIE GRATTON, MYRIAM