ROSE MAILLET, DITE SOEUR SAINT-LUC-DE-LA-CROIX

ROSE MAILLET, DITE SOEUR SAINT-LUC-DE-LA-CROIX

(récit fictif d’une vocation) 

Yvette Laprise – Myriam

Le 15 août 1907.

Seule dans sa cellule, soeur Saint-Luc-de-la-Croix se remémore le cheminement de sa vocation…

« Dix ans, déjà, depuis mon entrée en religion ! Que de chemin parcouru depuis le jour où je pressentis le premier appel à la vie du couvent !

Quand j’étais petite, à l’âge de cinq ans,

J’entendais Jésus qui me disait souvent :

« Ah ! venez, ma mignonne, ah ! venez au couvent… »

Que d’ingénuité dans ce refrain que je fredonnais alors !

Devenir religieuse, c’est là un rêve que j’ai caressé dès ma tendre enfance. N’étais-je pas prédestinée ? Je me rappelle, lorsque monsieur le curé venait faire sa visite paroissiale, après avoir béni la famille agenouillée à ses pieds, il traçait sur mon front (ô privilège !) le signe de la croix comme pour signifier par là mon appartenance exclusive à Dieu…

Sans doute, les religieuses qui m’enseignaient, pressentant que je pouvais devenir une future recrue, n’ont-elles pas été neutres dans mon choix. Moi qui ne connaissais que le chemin de l’église et celui de l’école, je me rappelle très bien avoir nourri beaucoup d’admiration pour les soeurs du couvent si dévouées et si parfaites. Les fêtes liturgiques qui occupaient une place importante dans le calendrier scolaire me faisaient vibrer particulièrement. Un cantique, entre autres, avait le don de me remuer jusqu’aux larmes :

« Coeur de Jésus vous cherchez des apôtres

Des coeurs vaillants s’immolant avec vous

Des coeurs jaloux de souffrir pour les autres

Coeur de Jésus, nous voici, prenez-nous. »

Oui, je me sentais prête à souffrir par amour, mais j’étais loin de soupçonner à ce moment-là l’étendue des exigences de cet appel.

Le passage de la vie de famille à la vie du couvent ne s’est pas fait sans déchirure. Si Maman était fière de compter une religieuse dans ses quatorze enfants, mon père ne le voyait pas d’un même oeil. Je l’entends encore dire à des voisins : « J’aimerais mieux conduire ma fille au cimetière que de la voir s’enfermer dans un couvent. » Cher Papa, il lui a bien fallu se résigner ! Heureusement qu’il ne m’a pas gardé rancune !

Jeune, je voulais donner un sens à ma vie. Etre choisie parmi d’autres jeunes filles, c’était bien un honneur. Même s’il fallait en payer le prix un jour ou l’autre, j’étais prête. L’adieu au monde, quel geste noble mais aussi quel déracinement ! Au noviciat, les soeurs aînées ne manquaient pas de le rappeler aux nouvelles aspirantes qui franchissaient les portes du couvent :

« Pourquoi venir en cette humble demeure

Enfant du monde, ainsi t’ensevelir

Ne sais-tu pas qu’avec nous, à toute heure

Tu vas prier, travailler, obéir ? »

Prier, oui, travailler, ça va de soi, mais obéir, demander toutes ses petites permissions… Notre maîtresse des novices avait bien raison de nous rappeler sans cesse que pour devenir épouse de Jésus, il était nécessaire de faire mourir la demoiselle.

Que de fois j’ai été tentée de retourner dans ma famille, mais au fond de moi, j’avais la conviction que ma place était au couvent.

En entrant en religion, je suis entrée dans un territoire sacré. Consacrée à Dieu par une profession publique, ma vie devait tendre à devenir plus céleste que terrestre. En changeant mon nom pour celui de soeur Saint-Luc-de-la-Croix, j’ai tourné la page de mon passé dans le monde pour me mettre à la suite de Jésus en portant sa croix.

Aimer Dieu et sauver les âmes… c’est ce qui compte. Qu’importé tout le reste… »