SOMMES-NOUS UNE EKKLÈSIA ?

SOMMES-NOUS UNE EKKLÈSIA ?

Je vais tenter de répondre à cette question à partir de mon expérience dans la collective depuis maintenant près de vingt ans. Il ne s’agit évidemment pas d’une réponse définitive, encore moins normative ; je vais simplement énoncer quelques-unes de mes réflexions afin que nous puissions ensemble échanger et essayer d’aller plus loin. Il s’agit donc d’un texte très synthétique, qui emprunte parfois un style un peu télégraphique. À vous de compléter les interstices…

J’entends par ekklèsia une communauté de disciples égaux où toutes les personnes sont des « élues », où toutes les personnes sont reconnues comme porteuses d’une parole. Cette communauté partage une môme foi, un même amour et une môme espérance.

Elle partage une même foi en l’utopie chrétienne, au Jésus ressuscité. Cela signifie que nous croyons que la vie est plus forte que la mort, qu’en tant que femmes nous sommes appelées à vivre pleinement, à ôtre des ressuscitées, des vivantes. Cela implique donc que nous travaillions à contrer les forces de mort du monde patriarcal.

Cette communauté partage aussi un môme amour que nous appelons sororité. Cela suppose que l’on apprenne la charité envers soi (se pardonner ses limites) et que l’on développe la solidarité entre femmes.

Cette communauté partage enfin une môme espérance c’est-à-dire que les personnes n’ont pas renoncé à devenir libres et qu’elles poursuivent collectivement et inlassablement leur quête de l’égalité.

Se dire ekklèsia cela suggère que l’on s’inscrit dans le temps et l’espace, que nous reconnaissons que nous avons un passé, un présent et un avenir.

Notre passé, nous le situons en filiation avec une tradition, c’est-à-dire que nous discernons que notre utopie a été partagée par d’autres au cours de l’histoire chrétienne. Cette mémoire s’avère balbutiante parce qu’on commence tout juste à se la donner. Pourtant, nous aurons besoin d’une mémoire forte si nous voulons nous projeter dans l’avenir. La reconstruction de notre passé, de notre mémoire constitue une condition essentielle pour exister en tant qu’ekklèsia aujourd’hui.

Notre présent nous amène à vivre au coeur des préoccupations de notre temps, à partager les aspirations de l’actuel mouvement des femmes, à être partie prenante des pratiques de libération de toutes les femmes.

Notre avenir nous le voyons avec un regard de femmes déterminées à durer, capables que nous sommes toutes ensemble de contrer « l’éphémérité ». Nous voulons un avenir afin d’être fécondes et de nous multiplier, c’est-à-dire de partager notre utopie avec d’autres femmes. Nous entendons communiquer un souffle de vie, une vision du monde, nous affirmer pleinement comme actrices de l’histoire sociale et ecdésiale.

Pour se dire ekklèsia il faut aussi être en mesure de proposer une théologie (une vision de Dieu), une lecture des Écritures, une spiritualité, une éthique et une praxis.

Notre théologie est balbutiante mais elle est là, depuis nos débuts d’ailleurs. Il s’agit d’une théalogie, d’une théologie féministe. Elle part de nos situations d’oppression, d’aliénation et de nos pratiques libératrices. Elle implique une double herméneutique continue de la tradition chrétienne en tant que tradition patriarcale et en tant que promesse de libération.

Notre rapport aux Écritures constitue une de nos richesses et une de nos originalités. Nous effectuons un véritable travail collectif de réécriture qui implique une réappropriation des textes sacrés, dont nous avons été dépossédées pendant trop longtemps, et une inscription de notre expérience dans ces Écritures.

Nous avons posé les jalons d’une éthique féministe en menant une réflexion sur les grands enjeux du devenir des femmes, notamment en ce qui concerne la maîtrise de notre corps et de notre santé reproductive. Ensemble, nous avons également voulu mieux cerner les relations qui régissent une communauté de disciples égaux (exigences de solidarité, d’écoute, de respect) et nous avons cherché à clarifier les valeurs, les attitudes qui traduisent notre option chrétienne et féministe.

Au chapitre de la spiritualité, je puis affirmer sans hésiter que nous avons essayé, dès les débuts, de donner une langue spirituelle à notre engagement socio-politique et ecclésial. Par nos célébrations, nos rituels, nous avons été en mesure de célébrer, de prier notre longue marche de libération. Nous nous sommes donné des mots pour la dire, des symboles pour la nommer autrement, des gestes pour l’exprimer. Nous avons appris à maîtriser non seulement le langage logique, intellectuel de la théologie, mais nous avons su nous donner aussi un langage poétique capable de faire le pont entre la raison et l’imaginaire, entre la terre et le ciel.

Au plan de la praxis, plusieurs de nos numéros illustrent notre engagement pour le changement de la situation des femmes, de tous les opprimés. Nous avons entendu le cri de celles qui ont faim et soif de liberté ; nous avons marché avec celles qui dénoncent les injustices ; nous avons clamé notre solidarité avec celles et ceux qui luttent pour un monde meilleur.

Mais, même si nous semblons réunir toutes les conditions requises pour constituer une ekklèsia, je pense que nous sommes éminemment fragiles, vulnérables. Je m’explique. Nous avons bien une théologie, un rapport aux Écritures, une spiritualité, une éthique et une praxis mais tout cela demeure très partiel. Ce que nous avons, c’est une amorce et non un ensemble de ressources pour faire tradition. Notre théologie reste fragmentaire, nos réécritures ne pèsent pas bien lourd, notre spiritualité, bien qu’inspirante est encore trop épisodique, notre éthique s’avère tout à fait balbutiante sans parler de notre praxis qui souffre de nos maigres moyens.

En fait, pour constituer une ekklèsia rayonnante, capable de faire tradition, nous aurions besoin d’être en mesure de proposer une théologie beaucoup plus complète (avec ce que cela implique d’ecclésiologie, de vision de Dieue, de relecture féministe de la tradition), une maîtrise plus ample des Écritures afin de générer davantage de réécritures, une éthique capable de discourir sur l’ensemble des grands enjeux de notre devenir, une spiritualité plus audacieusement inscrite dans le cycle de nos saisons et dans l’ensemble de nos expériences, une praxis qui dit toujours plus haut, toujours plus fort, nos colères et nos espoirs.

Comment faire ? Nous sommes si peu nombreuses. Ne devrions-nous pas tenter de nous multiplier, au moins un peu, afin d’avoir davantage d’antennes partout au Québec ? Ne devrions-nous pas également développer le réseau de nos solidarités féministes et chrétiennes au plan international ?

MARIE-ANDRÉE ROY, VASTHI