UN LABORATOIRE SPATIAL EXPÉRIENCES À TOUT PRIX

UN LABORATOIRE SPATIAL EXPÉRIENCES À TOUT PRIX

Monique Dumais, Houlda

D’abord une question : Pourquoi est-ce si crucial aujourd’hui de tenir compte  des expériences des femmes ?

Pendant des siècles, presque tout l’arrimage de la réflexion ne s’est-il pas fait à partir des expériences des hommes ? Comment et pourquoi ont-ils toujours imposé leur façon de réfléchir, de travailler, sans se préoccuper de leurs compagnes, leur douce moitié, selon leur expression ? C’est tellement plus simple de penser détenir toute la vérité, sans avoir à consulter, à se remettre en question. Mais, est-ce satisfaisant ?

Pour répondre à cette question, je vous propose de quitter la planète Patriarcat pour découvrir une autre planète réservée aux femmes. Quel nom conviendrait-il de donner  à cette planète ?  J’avais d’abord pensé à Gynesia, du mot grec gune, femme,  mais comme vous le verrez, Humania m’a semblé mieux approprié pour désigner l’intégration  des expériences des femmes et des hommes. Retenons ce nom Humania, en utilisant un laboratoire spatial, où se font les expérimentations qui seront des formes de déconstruction et de reconstruction, peut-être même de re-description selon le souhait de Judith Butler1.

D’abord quitter la planète Patriarcat

Patriarcat, comme son nom l’indique, c’est le territoire entretenu par les hommes, des pères, qui exercent sur lui leur autorité, à travers leur législation. Ils retirent ainsi beaucoup de prestige et d’influence sur ce qu’ils ont appris à  contrôler. Les femmes qui les accompagnent se doivent d’accepter en toute soumission leur domination.

Cette planète bien connue est un monde nommé, déterminé, analysé, structuré selon la nature, en fonction d’une culture immémoriale où les femmes sont ignorées, toujours dans l’ombre de l’homme, mises à contribution sans reconnaissance.

Allons  maintenant vers Humania

Humania c’est l’espace que les femmes veulent se donner. Elles ont enfin découvert qu’elles pouvaient parler non plus avec les mots que leur avait transmis la culture patriarcale, mais tirés de leur propre source.  Il s’agit d’aller puiser dans ce qui était au plus profond d’elles-mêmes, de laisser surgir leurs connaissances cultivées dans le quotidien, au fil des heures, des jours, des mois et des ans.  Fille, femme, amoureuse, épouse, mère, sage-femme, grand-mère, cueilleuse, cuisinière, couturière, enseignante, infirmière, militante et combien d’autres domaines d’exploration où elles ont vécu, aimé, souffert, cherché, et plus.

Processus du laboratoire spatial

Mais ce n’est pas du jour au lendemain que l’on peut s’investir entièrement dans la parole et l’action. Découvrir que nos potentialités ont été réduites, limitées, comporte un premier temps de dénonciation qui n’est guère aisé, car il suppose des oppositions, des affrontements. L’autre ne se laisse pas facilement interpeller, il résiste, c’est lui qui sait. Le sexage a toujours bien fonctionné, comme l’a si bien démontré Colette Guillaumin2. Qu’elle soit différente de l’homme, la femme le sait, mais ce n’est pas unilatéral. Les différences définies par les hommes ont été si souvent enfermantes.

C’est donc tout d’abord un espace de liberté que femmes et hommes doivent se donner. La nouvelle approche de Judith Butler que je commence à scruter peut nous entraîner très loin. Il ne s’agit pas de trouver une identité féminine, ce qui nous maintiendrait dans la dichotomie sujet/objet, mais bien d’envisager la subversion de l’identité, de considérer  les contextes politiques dans lesquels elle baigne et de se donner des capacités d’agir. Le danger c’est d’imaginer un je préexistant.  Si l’identité est affirmée à travers un processus de signification, si elle est toujours déjà signifiée et qu’elle continue à signifier en circulant dans différents discours enchevêtrés, alors on n’arrivera pas à régler la question de la capacité d’agir en recourant à un je préexistant à la signification3 . Il importe d’aller plus loin. C’est là une invitation pressante  à se construire de toutes sortes de manières dans et par l’acte4.

Judith Butler va encore plus loin dans Défaire le genre, en travaillant à la question de savoir ce que pourrait signifier le fait de Défaire les conceptions normatives restrictives de la vie sexuelle et genrée5. En s’appuyant sur les théories féministes et queer, elle critique les normes qui gouvernent le genre et essaie de dégager les conditions de la perpétuation ou de la production de formes plus vivables, plus désirables et moins soumises à la violence6.

Il est facile d’imaginer que tout ce travail demande une attention constante aux expériences des femmes. Même si rien ne semble acquis, vogue la navette spatiale vers Humania !

1. Judith Butler, Trouble dans le genre. Pour un féminisme de la subversion, Paris, La Découverte, 2005, p. 276
2. Colette Guillaumin, Sexe, Race et Pratique du pouvoir. L’idée de Nature, Paris, Ct-femmes, 1992.
3. Judith Butler, op.cit., p. 269.
4. Ibid., p. 267.
5. Judith Butler, défaire le genre, Paris, Éditions Amsterdam, 2006, p. 13.
6.  Ibid, 4e de couverture