CONCILIUM : LES FEMMES, LE TRAVAIL ET LA PAUVRETE

CONCILIUM : LES FEMMES, LE TRAVAIL ET LA PAUVRETE

Le numéro 214 de Concilium 1987-7-13 est consacré à la théologie féministe, sous la direction d’Elizabeth Schussler Fiorenza et d’Ann E. Carr, sur le thème Les femmes, le travail et la pauvreté.

Dans son éditorial, Elizabeth Fiorenza rappelle que la théologie féministe s’est plutôt occupée, au point de départ, des problèmes religieux et théologiques. L’exploitation économique et la pauvreté des femmes est visible partout dans le monde quels que soient les contextes socio-économiques, comme nous le montrent les études de cas, sous la signature de féministes sociologues, théologiennes, permanentes d’organismes religieux, tant d’Amérique du Sud et du Nord que d’Europe et d’Asie. Les bas salaires, les fonctions les moins bien considérées, la double journée de travail caractérisent la reconnaissance économique du travail des femmes.

La théologie féministe s’en émeut et s’interroge. L’idéal du service gratuit qui modèle la vie des femmes y serait-il pour quelque chose ?

C’est justement de cela dont nous parle une des nôtres, Monique Dumais, dans son article intitulé « Une théologie du service pour les femmes, une mise en tutelle inéluctable ? ».La notion de service est au coeur de la tradition chrétienne, nous dit-elle, mais une théologie du service qui se déploie dans le contexte d’une suprématie du masculin sur le féminin ne peut que desservir, si ce n’est asservir les femmes qui sont reléguées aux tâches dites humbles, effacées, exigeant un dévouement inlassable. Cette notion restera un piège tant qu’elle ne voudra pas dire la même chose pour les hommes et pour les femmes.

Ce n’est pas seulement les rôles imposés et la socialisation des femmes à cet égard qu’il faut changer, mais la vision de la place qu’elles sont capables d’occuper égalitairement dans l’organisation sociale y compris, il va sans dire, dans toutes les institutions de celle-ci dont l’Église n’est pas la moindre en importance.

En s’appuyant sur des statistiques à l’occasion d’une rencontre oecuménique, Schelthuis-Stokvis nous dit que, même si 50 % de la population ecclésiale est composée de femmes, les postes, les délégations et les commissions qui représentent les Églises de manière visible et où se prennent les décisions sont réservées à ceux qui accèdent au sacerdoce. D’où nous viendra le changement ? La balle est lancée dans le champ de notre réflexion.

Pourtant les femmes travaillent dans les Églises, mais elles occupent partout les fonctions les moins bien considérées, que ce soit dans les tâches institutionnelles ou de bénévolat. La notion de service gratuit serait-elle mieux assimilée par les femmes ou ces dernières n’ont-elles simplement pas la possibilité structurelle de faire autrement ? Qui plus est, les femmes plus à l’aise financièrement et plus instruites travaillent bénévolement dans l’Église. Les femmes qui n’ont pas la possibilité de ne pas gagner leu/ vie n’ont pas non plus la possibilité de « servir » selon les normes valorisées par l’Église : le bénévolat !

Les hommes et les femmes sont donc identiques, nous dit Meyer-Wilmes, mais de valeur non identique selon le discours traditionnel de l’Église fondé sur la nature de la femme. On n’en est pas à une pirouette près, mais avec l’auteur de l’article, on peut quand même se demander si les penseurs du concile oecuménique Vatican II de 1981 « pensent » vraiment ce qu’ils écrivaient dans la citation suivante :

« Toute forme de discrimination touchant les droits fondamentaux de la personne, qu’elle soit sociale ou culturelle, qu’elle soit fondée sur le sexe, la race, la couleur de la peau, la condition sociale, la langue ou la religion, doit être dépassée et éliminée comme contraire au dessein de Dieu. »

Quant à Jean-Paul II, il pense certainement ce qu’il dit à propos de l’implication en terme de service gratuit pour les femmes quand il s’exprime dans Familiaris consortio (1981) :

« II n’y a pas de doute que l’égalité de dignité et de responsabilité entre l’homme et la femme justifie pleinement l’accession de la femme aux fonctions publiques. Par ailleurs, la vraie promotion de la femme exige que soit clairement reconnue la valeur de son rôle maternel et familial, face à toutes les autres fonctions publiques et à toutes les autres professions. »

Devant cette notion de service gratuit, les religieuses et les femmes laïques sont également traitées dans le traitement inégal que les institutions ecclésiales leur appliquent. « La solidarité dans l’adversité » deviendra-t-il le slogan des femmes dans l’Église ? C’est un peu ce que l’on perçoit en filigrane dans la réflexion éditoriale de E. Carr. Les structures patriarcales, profondément inscrites dans la famille et la société et qui sont à la source du dénigrement du travail des femmes, ne sont, c’est triste dit-elle, plus évidentes que dans l’Église. Elle constate, dans un même souffle, que la théologie féministe, dans son effort pour participer au combat ouvrier des femmes, partout mais spécialement dans le Tiers-Monde, est devenue plus concrète, plus analytique, plus visionnaire.

Les membres de L’autre Parole participent depuis déjà longtemps à ce travail et nulle facette de la vie des femmes ne les laisse indifférentes. Aussi la lecture du numéro de Concilium servira-t-il tout à la fois de rappel, de promesse de solidarité et d’invitation à l’analyse de leur propre pratique féministe et théologique, visionnaire et joyeuse.

Bonnes vacances à celles qui en auront : professionnelles, domestiques ou militantes !

Judith Dufour – Vasthi