DIMENSION DE LA PRATIQUE DANS LA TRADITION CHRÉTIENNE, la violence peut-elle être exorcisée ?

DIMENSION DE LA PRATIQUE DANS LA TRADITION CHRÉTIENNE,

la violence peut-elle être exorcisée ?

Flore Dupriez – Vasthi

La violence exercée contre les femmes dans l’Église catholique a des sources différentes et prend souvent des formes fort subtiles. Pour les comprendre, il nous faut remonter aux origines du christianisme et tenir compte de la situation des femmes dans le monde méditerranéen comme aussi de la crise morale traversée par l’Empire romain. En effet, l’empereur Auguste et les moralistes de cette époque prêchaient un retour à des valeurs ancestrales plus exigeantes.

Les causes

Plus que tout autre facteur, la première place donnée à la raison par les philosophes grecs va justifier le mépris où l’on tient les femmes dominées, dit-on par l’Impulsivité. Et voilà donc les femmes enfermées dans un piège aussi logique qu’indestructible destiné à traverser les siècles sans s’user…

Sans doute, les premiers chrétiens ont-ils cherché à créer une nouvelle société faite d’égalité, de liberté et d’amour : des valeurs nouvelles mais quelque peu utopiques. Dans ce contexte, la valorisation de la virginité paraissait une démarche possible et convenait somme toute très bien à ce groupe de marginaux persécutés, désireuse de préparer une autre forme de vie. Mais ce qui fut dommageable pour les femmes, après ce premier élan, ce fut le discours des Pères de l’Église souvent en proie avec leurs propres fantasmes sexuels ; pour persuader auditeurs et auditrices de respecter la virginité, ils trouvèrent un bouc émissaire facile : les femmes, déjà inférieures tant sur le plan politique que social. Tertullien n’écrit-il pas que la femme à l’instar d’Eve est la porte de l’Enfer et que son mari est son maître ? Les soi-disant déficiences de la nature féminine sont présentées comme des conséquences de la culpabilité présumée d’Eve au Paradis terrestre. Et aucun de ces penseurs n’a assez d’intelligence pour voir dans le personnage d’Eve, l’image de l’humanité devenue adulte et capable d’assumer ses responsabilités, c’est-à-dire la vie et son corollaire la mort.

Par la suite, l’Église va se hiérarchiser. Elle s’alliera à l’État pour définir le rôle et le statut des femmes : épouses fidèles, mères fécondes ou vierges pures. Ces dernières acquièrent plus de liberté et même d’autorité, comme en témoignent les abbesses du Moyen-Âge, parce qu’elles n ‘exercent pas leur sexualité. L’alliance Église et État va même donner aux maris le droit d’infliger à leurs femmes des châtiments corporels, fouet et bâton « mais tout cela dans la dignité pour que les apparences soient sauves ».(1 )

La hiérarchie justifie la place de plus en plus grande qu’elle prend, par la lutte qu’elle doit mener contre les hérésies, les débordements de la sexualité humaine et par le contrôle qu’il lui faut exercer sur les valeurs des fidèles. Elle insiste beaucoup sur la différenciation des sexes dont dépend le bon ordre de la société. L’Église se heurte pourtant à la grande ambiguïté qui fait la richesse des femmes : elles sont aussi pures que sorcières, elles sont à la fois la vie et la mort. L’Église y perd son latin et est donc de plus en plus tentée de contrôler ces êtres qui ne sont pas faits, à son avis, de raison et de logique. Il faut donc les soumettre à l’autorité de leurs maris, les empêcher de devenir prêtres car, comme le répète encore le Concile Vatican II, le ministre ordonné est l’image du Christ.

Les prêtres qui agissent « in persona Christi » doivent donc être des hommes. Et l’Église continue sans remords de confondre le signifiant et le signifié de la symbolique du ministre. L’image de la masculinité serait essentielle.

C’est de la sorte que l’image du prêtre homme sacré a pu rester opérationnelle jusqu’à nos jours mais pour combien de temps encore ? Signalons, à ce propos, une remarque de Jean Delumeau : « Le christianisme doit s’incarner dans cette période que nous vivons et il n’y a pas de raison qu’il n’y arrive pas. Mais il ne peut le faire qu’à travers les femmes. Voilà pourquoi je souhaite que l’Église catholique leur ouvre la porte du sacerdoce qu’aucune raison théologique ne justifie de leur refuser. Car les femmes savent concilier la foi et la modernité ».(2)

Des solutions

Pour cela, l’Église devrait abandonner sa peur de l’indifférenciation, elle devrait renoncer à se croire autorisée à contrôler la sexualité humaine, grande force magique de la nature. Elle devrait plutôt aider l’humanité à résoudre le grand problème humain qui transcende les différences de sexes, de temps, de religion : celui ce la mort.

Le Moyen-Âge s’était résigné à la mort. Lors de la Renaissance, les Occidentaux devenus plus riches, plus puissants, plus instruits accordèrent plus d’attention au corps et redécouvrirent du fait même la mort.

Le titre de l’article annonçait des recettes pour exorciser toutes les formes de violence dont il a été question. La première serait d’éliminer toute forme de préjugé sur « l’impur » relié aux femmes. Mais les hommes d’Église devraient aller plus loin que cela en reconnaissant que le vrai sacré n’est pas celui qui est transmis par les sacrements qu’ils se réservent.

Le sacré ne réside-t-il pas essentiellement dans toutes les valeurs ou tous les actes qui permettent une victoire de la vie sur la mort et de l’amour sur la haine ?

(1) Violence en héritage ? Comité des affaires sociales de l’Assemblée des évêques du Québec. 1989. p. 26.

(2) « Réhabiliter Eve », in Nouvel Observateur, 11 avril 1990, p.11.