Dix ans déjà !

Dix ans déjà !

Un élan créateur surgi de nos forces vives

 

Monique Dumais

Louise Me lançon

Marie-Andrée Roy

 

Le début

 

Le 14 août 1976. l’esprit du grand vent du large souffle à Rimouski et donne irrémédiablement le goût à trois femmes de balayer la poussière patriarcale qui appesantit l’Eglise québécoise. L’air salin tes inspire pour créer un collectif féministe capable de redonner saveur et vigueur à une parole chrétienne affadie, ramollie par une tradition polluée par le sexisme et la misogynie cléricale.

Monique avait lancé une invitation : pourquoi ne pas regrouper des femmes engagées en théologie, en catéchèse, en sciences religieuses ou en pastorale ? Les réponses, enthousiastes, donnent naissance à la première vague des chrétiennes résolument féministes des années 70.

Cette naissance se situe au confluent de deux grands courants de pensée contemporains : te mouvement des femmes et Vatican II. L’autre Parole aurait-elle vu te jour sans toute l’effervescence du mouvement des femmes de cette période ? Certainement pas. Rappelons-nous l’élan du féminisme révolutionnaire depuis te début des années 1970. Des groupes, des collectifs se formaient pour différents types d’actions concernant la condition des femmes ; des journaux, des livres provoquaient une large conscientisation des femmes.

Le domaine de la religion ne devait pas être oublié car. même si on affirme que te Québec est devenu une société sécularisée depuis ta révolution tranquille, tes Églises, notamment l’église catholique, continuent d’exercer une présence influente dans te paysage québécois. Nous étions de celles qui désiraient opérer une transformation de ce côté-là. Le concile Vatican II nous avait donné l’espoir d’un rajeunissement de l’Église vers un modèle plus communautaire et vers une large place aux laïcs : dans cette foulée, tes facultés de théologie se sont ouvertes aux femmes, les admettant enfin .à un savoir réservé jusque là aux clercs. Nous ne devions pas tarder à découvrir que l’agglomamento de l’Église n’allait pas de soi, que les résistances se faisaient nombreuses et qu’il ne suffisait pas de « faire de la théologie » pour se tailler une place à part entière dans cette institution qui. de toute manière, continuait de reproduire un discours théologique largement sexiste et discriminatoire. Les nouvelles initiées sentirent rapidement te besoin de se solidariser et découvrirent les vertus du féminisme. Les conditions étaient réunies pour que L’autre Parole voie le jour.

Dès te point de déport, deux objectifs s’imposent clairement : « au niveau de la recherche, reprendre te discours théologique en tenant compte des femmes, et, sur te plan de l’action, entreprendre des démarches pour une participation entière des femmes dons l’Église ». (L’autre Parole, no 1). Un feuillet de liaison adressé à une centaine de personnes devait assurer un début de conscientisation.

Le cheminement

 

Les deux objectifs du début, tout en demeurant très pertinents et en continuant d’orienter nos réflexions, nos prises de paroles et nos interventions, se sont consolidés et enrichis au fil des années de conscientisation et d’expériences avec les femmes. Du côté de ta recherche, un travail de désexisation et de réécriture de ta Bible se poursuit, en même temps que s’affirment de nouvelles perspectives pour une vie ecclésiaste qui intègre tes femmes à part entière et pour une symbolique liturgique qui célèbre te féminin. Une tradition des femmes, délibérément maintenue discrète et cachée par tes pères du christianisme, veut maintenant s’inscrire de façon plus visible et permanente dans l’histoire.

Du côté de l’action, des manifestations variées allant de rencontres de sensibilisation, pétitions d’appui à Teresa Kane, paroles collectives avant ta visite du Pape Jean Paul II au Canada, conférences de presse à l’occasion de déclarations des évêques du Québec au sujet de l’avortement, lettres de support à la pièce « Les fées ont soif. etc.. marquent, au gré des événements, nos visées de défendre ta liberté et ta justice sociale avec et pour tes femmes dans l’Église.

L’ensemble de ces pratiques d’action-réflexion nous a permis de mieux articuler notre féminisme et notre christianisme. Vouloir ta libération des femmes, c’est vouloir que les femmes soient des « sujettes » de l’histoire. qu’elfes participent pleinement à l’avènement de cette humanité nouvelle, à cette promesse de salut où femmes et hommes apparaîtront debout, solidaires, libres et responsables. Et à cette fin. nous avons appris, en solidarité avec toutes nos soeurs féministes, à dénoncer tes différentes formes d’oppression et d’aliénation des femmes tant dans l’Église que dans ta société. Par cet engagement féministe, nous avons compris, dans nos corps et dans nos coeurs, ce que signifiaient les paroles de Paul sur tes douleurs de l’enfantement de l’humanité nouvelle. Notre féminisme nous a permis d’approfondir notre christianisme et aujourd’hui nous voyons mal comment nous pourrions être chrétiennes sans être féministes.

Nos dix années d’expériences nous ont permis de mûrir nos rapports avec l’institution ecclésiastique. S’il nous semble souhaitable que des pas, si petits soient-ils. se fassent dans cette institution, nous nous refusons de miser tous nos espoirs sur cet appareil et d’adopter une attitude passive à son égard. De plus, en choisissant de bannir tes rapports de domination patriarcale au profit de rapports de fraternité et de sororité, nous avons décidé de ne plus jouer aux filles en quête de permission auprès de leurs pères ecclésiastiques. Nous avons résolument décidé de créer nos propres choix d’alternative, d’énoncer et de pratiquer aujourd’hui tes signes de ta promesse à réaliser.

Si te collectif L’autre Parole a d’abord rassemblé des étudiantes ou enseignantes en théologie, très rapidement il s’est ouvert à toutes celles qui veulent revendiquer pour la condition des femmes et qui se savent dynamisées par leur foi chrétienne. En effet, nous avions besoin des expériences variées des femmes de toutes conditions et de toutes formations. Notre oeuvre de critique de ta tradition patriarcale et de création de nouvelles voies en a été considérablement enrichie.

Notre publication L’autre Parole est un lieu d’expression de nos réflexions et de nos activités ; il est un agent de communication qui nous permet de rejoindre des tectrices et aussi des lecteurs dans différentes régions du Québec, à travers te Canada, aux États-Unis et même en Europe.

L’avenir

 

L’entreprise de L’autre Parole n’est pas terminée, loin de là. Nous constatons que nous avons fait entendre de fortes paroles de critique vis-à-vis une tradition et une Église discriminatoires envers tes femmes ; cette parole a été accueillie et portée par d’autres femmes. Les autorités ecclésiales du Québec ont aussi entendu nos paroles de contestation et elles ont vu nos traces créatrices : elles affirment désormais que « te féminisme est un fait positif, et que justice doit être rendue aux femmes. Toutefois tes beaux discours, tes nominations de femmes à différentes fonctions dans l’Église n’ont pas encore assuré te partenariat désiré. Les femmes continuent d’être actives, « de servir » corps et âme l’Église, et pourtant elles demeurent invisibles au niveau des prises de décision ; elles n’ont pas encore de lieu pour une parole publique et officielle qui leur donnerait un pouvoir égal à celui des hommes dans l’Église. Nous avons aussi et surtout à continuer ta tâche de conscientisation des femmes afin que grandisse notre solidarité et s’enrichisse notre parole de femmes dans l’Église.

Face à l’immensité de la tâche qu’il nous reste à accomplir, le projet de L’autre Parole nous semble plus que jamais d’actualité. Ce que nous voulons, ce n’est pas seulement une Église qui fasse un peu plus de place aux femmes ; c’est une Église différente, où autoritarisme, hiérarchie, dogmatisme et misogynie s’effaceront pour que fleurisse une Église démocratique, communautaire, prophétique et féministe ! nous avons besoin ! Plus que d’une simple vague, c’est d’un ras de marée dont

Il nous apparaît donc important de souhaiter :

Longue vie à L’autre Parole.

surgie de la profondeur des expériences des femmes.

générée par la force de libération contenue dans les Évangiles.

ardente à dénoncer toutes les mises en

subordination des femmes dans l’Église.

portant toutes les promesses d’une vie

communautaire, riche et abondante.