FÉMINISTES ET CHRÉTIENNES, QUE POUVONS-NOUS CÉLÉBRER ?

FÉMINISTES ET CHRÉTIENNES, QUE POUVONS-NOUS CÉLÉBRER ?

Louise Melançon – Myriam

En cette année 1990, nous fêtons les 50 ans du droit de vote des femmes au Québec. Une telle célébration renvoie surtout au chemin parcouru depuis et aux nombreux acquis des femmes qui donnent au fait lui-même toute son importance. En tant que femmes chrétiennes, pouvons-nous réellement célébrer avec nos soeurs ? La fête peut-elle avoir autant de signification pour nous ? Nos avancées dans l’Église nous permettent-elles de rejoindre leurs rangs pour nous unir dans la joie, sinon en regardant vers le passé, du moins en regardant vers l’avenir ?

1. Les études précieuses dont nous disposons sur l’histoire des femmes au Québec1 montrent que si des femmes chrétiennes (catholiques) ont tenté de participer aux revendications féministes du début du siècle (comme Marie Gérin-Lajoie), leurs luttes ont plutôt tourné court à cause de leur soumission au clergé d’une Église catholique toute-puissante. De telle sorte que le droit de vote a été gagné malgré les oppositions de clercs et de laïcs catholiques. Il fallut attendre les années 1960 pour voir apparaître dans l’Église des laïcs autonomes (pensons à la crise de l’Action catholique) et un mouvement de femmes, dans les années 1970, qui décidèrent de faire avancer les choses.2 Le contexte était bien différent. La « révolution tranquille » avait fait reculer le pouvoir de l’Église qui, en même temps, vivait l’événement d »‘ouverture » que fut Vatican II. Depuis, les femmes ont pris leur place dans l’action pastorale, et leur présence est de plus en plus grande dans les structures. Mais ces avancées des femmes dans l’Église sont bien relatives, fragiles et surtout limitées par leur exclusion des ministères.3

2. Le problème fondamental pour les femmes dans l’Église se trouve dans la contradiction entre un discours d’égalité et de non-discrimination pour tous, y compris hommes et femmes, et le discours traditionnel sur la complémentarité des sexes et l’idéalisation de la femme. L’enseignement du Pape actuel en est un parfait exemple. D’un côté, un enseignement social progressiste prônant l’égalité, la démocratie, le pluralisme, la foi en un ordre égalitaire à travers des efforts de plus en plus altruistes. D’un autre côté, un enseignement concernant le domaine du privé caractérisé par la défense d’institutions statiques, fondées sur la loi divine et naturelle, sur la hiérarchie et le paternalisme.4 On reconnaît là un attachement fixation à la séparation des rôles sexuels, à une conception de la maternité comme destinée de la femme, à la fonction exclusivement féminine du soin et de l’éducation des enfants.

3. Alors que le féminisme libéral des années 1900-1940 s’intéressait à la condition féminine à l’intérieur de la séparation des rôles, le mouvement des femmes des années 1970-1990 a eu comme caractéristique de faire éclater le privé et le public et de remettre en question les rôles attribués aux hommes et aux femmes. Si des changements sont enclenchés dans la société à ce sujet, beaucoup de chemin reste à parcourir avant que les femmes n’aient plus à assumer une double tâche et à demeurer les grandes responsables de la vie affective.

Quand les hommes auront développé leurs capacités affectives et paternelles et qu’ils sauront et pourront partager avec les femmes toutes les tâches de soin et d’éducation des enfants, et toutes ces tâches analogues de sollicitude, d’amour, de service dans la société, alors pourrons-nous espérer une restructuration des rôles dans l’Église. Car les nommes d’Église n’auraient alors plus à craindre ni à envier les femmes pour leur rôle de nourricières et de gardiennes de la vie. Ils n’auraient alors plus à reproduire au niveau du sacré ces tâches réservées aux femmes dans la vie profane, ou plutôt ils ne sentiraient plus le besoin d’exclure les femmes du domaine du sacré. Au contraire, ils partageraient avec elles ce pouvoir de « donner la vie en abondance » dans une intégration du naturel et du spirituel.

Est-ce un rêve ? une utopie ? ou tout simplement l’objet de notre espérance qui nous autorise à fêter avec nos soeurs dans un regard vers l’avenir … ? Avenir que nous ferons ensemble en continuant, malgré tous le obstacles, non seulement à revendiquer nos droits de participer à part entière à la vie publique, mais aussi à réclamer le partage avec les hommes des tâches qui nous étaient attribuées de manière exclusive.

1 Coll. Clio, Histoire des femmes au Québec, Lavigne, M., Pinard, Y., Les femmes dans la société québécoise.

2 « La femme, un agent de changement dans l’Église » (enquête faite à Montréal en 1975)

3 Marie-Andrée Roy, « Les revendications des femmes dans l’Église », Souffles de femmes, 1989, pp.29-72 ; ainsi que l’annexe, pp.211-237.

4 Christine E. Gudorf, « Encountering the Other : the Modern Papacy on Women », Social Compass, 36(3). 1989, p.295ss.