QU’AVONS-NOUS FAIT DU DROIT DE VOTE ?

QU’AVONS-NOUS FAIT DU DROIT DE VOTE ?

Louise Desmarais – militante féministe et professionnelle au gouvernement du Québec

« Malgré l’opposition de l’Église catholique, le projet de loi en faveur du suffrage féminin et de l’éligibilité des femmes est annoncé dans le discours du trône. Le 11 avril, il est finalement adopté par 67 voix contre 9 à l’Assemblée législative, devant les galeries des visiteurs réservées aux femmes pour l’occasion. Le 25 avril, la loi franchit la dernière étape de la sanction par le Conseil législatif qui l’adopte dans une proportion de 13 à 5. »1

Les femmes allaient enfin devenir des citoyennes, être admises dans la cité… des hommes. Le cinquantième anniversaire de cette victoire sera l’occasion de dresser un bilan de nos luttes et de dégager des perspectives pour l’avenir.

À ce sujet, la question qui surgit est la suivante : qu’avons-nous fait de cet héritage ou plutôt pouvons-nous être satisfaites de l’usage que nous en avons fait ? Vous vous en doutez bien … la réponse ne sera pas unanime.

Dans une perspective égalitariste, la réponse sera affirmative. La présence de plus en plus grande des femmes en politique en témoigne. Elles ne sont plus simplement échevins, députées mais mairesses et ministres. Bientôt elles pourront occuper le poste de première ministre. Dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, nous avons opéré des brèches importantes dans l’édifice de la discrimination.

Mais si l’égalité demeure un objectif essentiel à poursuivre, sa logique comporte des pièges dont il faut être conscientes. En effet, grâce à elle, les femmes peuvent désormais appartenir aux unités combattantes de l’armée canadienne. Mais est-ce vraiment une victoire que d’obtenir un égal droit de tuer au nom de la patrie ?

L’égalitarisme, seul, conduit inévitablement à cautionner

le système patriarcal source de notre oppression ;

la discrimination n’en est que la manifestation.

C’est pourquoi, me plaçant d’un point de vue radical, ma réponse sera différente. Je dirais que nous nous sommes contentées de l’égalité, la considérant comme une solution en soi. Nous n’avons pas utilisé le droit de vote dans une perspective politique, c’est-à-dire pour défendre nos intérêts, changer nos vies et donc toute la société.

Depuis cinquante ans, nous avons aveuglément donné le pouvoir aux autres, aux hommes, sans même exiger rien en retour pour nous-mêmes. Nous avons fait des manifestations, signé des pétitions, présenté des mémoires en commissions parlementaires. Mais jamais nous n’avons clairement et collectivement utilisé nos votes pour que nos revendications deviennent réalités.

Pourquoi cela ? Parce que nous ne sommes pas politiques.

Or, être politique « c’est se voir soi-même telle qu’on est, dans un rapport de force. C’est une identité intime avec un sexe, une classe, une race, un âge en conflit avec un autre sexe, d’autres classes, d’autres races, d’autres âges (…). La dimension politique de la vie des femmes est sûrement la plus difficile à acquérir et à assumer parce qu’elle affirme ce qui est le pus difficile à admettre pour une femme : que nous sommes puissantes et, en même temps, que nous ne sommes pas toutes puissantes. Pour la même raison, parce que les deux impliquent qu’il faut se battre et nous avons horreur du conflit. »2

Devenir politique est une urgence pour nous les femmes !

Et dans l’Église ?

C’est parce que je doute sérieusement des résultats de l’égalitarisme que je ne souscris pas avec enthousiasme à la revendication de l’accession des femmes au sacerdoce.

Des femmes députées, ministres dans un système patriarcal, des femmes prêtres dans un régime monarchique de droit divin servent d’alibis. Elles deviennent des symboles anesthésiants, nous laissant l’illusion du changement.

Ce sont des hommes qui définiront unilatéralement les conditions d’accession à cette fonction, d’exercice de ce pouvoir. Les femmes devront accepter les règles du jeu ; pour être élues, elles ne devront représenter aucune menace réelle, avoir démontré leur loyauté indéfectible à l’institution. Elles devront respecter la ligne de parti.

Je ne peux m’opposer à l’accession des femmes au pouvoir dans l’Église mais je crois qu’il nous faut être très vigilantes et critiques.

De plus, pour que cette accession soit possible et ne soit pas réduite à l’état de symbole insignifiant, il faut que les féministes chrétiennes s’organisent comme mouvement, s’affirment comme force, brisent le silence et prennent la parole sur tout ce qui les concerne et ce, d’abord comme femmes. Il nous faut créer un espace essentiel de liberté.

Le pouvoir individuel détenu par une ou plusieurs femme(s) ministre(s) ou prêtre(s) est une question de promotion personnelle et je n’ai rien contre. Mais en lui-même il ne changera jamais rien à la vie des femmes.

Les hommes désertent l’institution ecclésiale. Actuellement les femmes sont devenues indispensables à sa survie. Saurons-nous utiliser cette conjoncture historique favorable pour exiger plus que l’égalité ?

Saurons-nous être politiques ?

1 Lamoureux, Diane. Citoyennes ? Femmes, droit de vote et démocratie. Éditions du Remue-ménage, 1989, 195 p., p.53

2 Lacelle, Nicole. « Les femmes ne sont pas nées pour se soumettre », in G.R.A.F.F. Nous, notre santé, no* pouvoirs. Éditions du Remue-ménage/Éditions Coopératives Albert St-Martin. 1983, p. 197-202.