MARIE : SYMBOLE DU FEMININ OU SYMBOLE FÉMININ DE DIEU ?

MARIE : SYMBOLE DU FEMININ OU SYMBOLE FÉMININ DE DIEU ?

Louise Melançon Sherbrooke

De par les travaux en exégèse comme en histoire du christianisme, et particulièrement de par les recherches féministes, l’on sait mieux maintenant comment s’est développée la mariologie au cours des siècles. Le sens originel visé par l’événement-Marie et dont témoignent les Évangiles nous est parvenu à travers une savante construction où se sont emboîtées une culture patriarcale, une idéologie masculine aussi bien qu’une utopie chrétienne.

Aujourd’hui, compte tenu des transformations profondes concernant les femmes, et Conséquemment le rapport féminin-masculin, qui sont en train de s’opérer, un discours sur Marie est-il possible ? Nous pensons que des représentations d’un autre temps gardent emprisonnés un sens et des valeurs disponibles aujourd’hui et capables de dynamiser les croyants et les croyantes.

1. De Marie de Nazareth au modèle de la féminité

De Marie de Nazareth, mère de Jésus le Galiléen, l’on sait peu de choses… quelques traces dans les écrits des évangélistes. Comme pour son fils d’ailleurs, ce qu’on sait passe par le portrait que Luc ou Marc, Jean ou Mathieu ont dessiné. Ce personnage de Marie nous est, en effet, présenté à travers des récits et des genres littéraires qui la situent par rapport à d’autres personnages bibliques et dans une intention nettement théologique, c’est-à-dire la manifestation de « l’histoire du salut ».

Le discours sur Marie a pourtant pris beaucoup d’ampleur au cours des siècles, dû particulièrement aux traditions populaires, reflétant sans aucun doute une culture patriarcale et une idéologie masculine, mais cherchant avant tout à élaborer un sens chrétien à partir des symboles féminins tels que disponibles selon l’époque et la culture. Marie a été pour les femmes chrétiennes le modèle de féminité auquel il fallait se conformer. Beaucoup d’études féministes ont montré comment s’est construit ce modèle idéal, à partir de la survalorisation (incompréhension ?) de la virginité chez les Pères de l’Église, en passant par l’idéalisation de la femme dans l’amour courtois du Moyen-Age, jusqu’à l’idéologie victorienne de la société industrielle. Comme résultat : une vraie femme devrait être douce, passive, fragile, soumise, toute consacrée à l’amour du mari et des enfants, ou (mieux ?) de Dieu.

2. De l’archétype mariai au symbole féminin

Cet archétype mariai en termes de modèle rétréci et rigide de la féminité véhiculait pourtant autre chose : un sens théologique qui devait se dire à travers Marie et le symbole féminin. Le discours mariai actuel revient d’ailleurs à des éléments essentiels : Marie est le symbole de l’humanité sauvée/ de l’humanité nouvelle, parce qu’elle a donné naissance à Jésus/ Fils de Dieu/ le Sauveur. Si elle est « porteuse du Verbe’, elle n’est pas seulement un instrument passif puisqu’elle a dû consentir/ dans la foi/ à cette oeuvre de salut elle est une personne douée de liberté. Elle est ainsi symbole de l’Église, mais aussi de chaque croyante ou croyant qui, dans la foi, accueille le salut venant de Dieu.

Se dégage de cette compréhension mariale une valorisation du féminin en termes maternels : Marie est la mère féconde, la theotokos (Mère de Dieu) de la tradition orthodoxe. Mais cette mère engendre de l’Esprit : elle est fécondée par Dieu pour donner le Verbe sauveur au monde. Epouse virginale de l’Esprit donc, symbolisant l’union de l’âme à Dieu, l’alliance de Dieu avec l’humanité. C’est une compréhension spirituelle très haute du mystère de l’Incarnation de Dieu dans le monde où le féminin devient un signe eschatologique, signe de salut et de sainteté. Les icônes de la theotokos (Mère de Dieu) orthodoxe en sont l’illustration la plus remarquable. Si cette représentation du mystère mariai glorifie à la fois l’humain, le féminin et les femmes, répond-il suffisamment à l’expérience des femmes aujourd’hui ?

3. Marie : symbole religieux, symbole de libération ?

Pour que la symbolisation du féminin en Marie soit réellement positive pour les femmes, ne pourrait-on pas aller plus loin et considérer le féminin comme un principe spirituel de Dieu lui-même ? Marie ne pourrait-elle pas symboliser l’Esprit même, la Ruah, dans son rôle d’engendrement maternel ? Certaines théologiennes et théologiens explorent aujourd’hui une telle manière de représenter Dieu – l’action de Dieu – en faisant place autant au principe féminin que masculin. Sinon, si le féminin ne peut signifier que l’humanité, même élevée au plus haut rang, le masculin aura toujours une supériorité à pouvoir signifier Dieu, même entendu dans le sens de son « abaissement » de l’Incarnation, et du plus grand don et service.

D’autre part, Marie, la femme de Nazareth, est aussi représentante des « pauvres de Yahve ». Le Magnificat est justement l’hymne des humiliés de ce monde qui affirment leur espérance de libération, et non un hymne à la beauté de la maternité virginale.

L’exaltation de Marie doit donc être reliée à celle de tous les petits, les mal-pris de ce monde.

Quand Dieu(e) vient flan* le monde. II (Elle) transgresse l’ordre du monde pour y inscrire la nouveauté de son ‘Règne*, c’est-à-dire VAGAPE, qui est vie en abondance. Par ce biais, le mystère mariai pourrait signifier que le féminin dans sa différence a une valeur de libération pour une humanité trop « masculine ».