PROJET DE SOCIÉTÉ ET VISION FÉMINISTE

PROJET DE SOCIÉTÉ ET VISION FÉMINISTE

Louise Melançon –Myriam

Au moment où le Québec remet en question son statut constitutionnel, il apparaît important, comme l’ont bien montré de nombreuses interventions à la Commission Bélanger-Campeau, de ne pas perdre de vue le type de société que nous voulons, et donc de ne pas séparer le projet constitutionnel d’un véritable projet de société.

Comme femmes animées d’une vision féministe, nous pensons pouvoir et devoir apporter une contribution originale en prônant un type de société où femmes et hommes habiteraient ensemble dans la justice, le respect et l’amitié.

Comme femmes croyantes, nous estimons aussi que des valeurs évangéliques se marieraient bien avec les valeurs sociales que nous privilégions pour bâtir une société québécoise où il ferait bon vivre pour tous et toutes.

1. La vision féministe

Parler d’un projet de société « féministe » suppose d’abord la prise de conscience que nos sociétés sont encore aujourd’hui des sociétés de type patriarcal1 où la culture et les valeurs masculines dominent la vie publique alors que la culture et les valeurs féminines sont confinées à la vie privée. Nous souhaitons une société où le féminin et le masculin seraient intégrés dans la vie publique comme dans la vie privée. Tout en sachant qu’il y a une part d’utopie dans cette vision .d’une « humanité réconciliée » où les relations seraient harmonieuses entre hommes et femmes, nous croyons quand même que cette vision d’une société « autre » est nécessaire pour mettre en branle des changements aptes à l’établissement d’un système social le plus juste possible.

Là où, par exemple, les entreprises considéreraient comme un investissement d’organiser des garderies dans le milieu de travail,

là où, par exemple, des horaires de travail souples permettraient aussi bien aux pères qu’aux mères de s’occuper des enfants,

là où, par exemple, les relations humaines, la valorisation de la personne seraient aussi importantes que l’équilibre des budgets ou la productivité rentable, que ce soit dans les usines, les universités ou les appareils gouvernementaux, là seraient les lieux où pourrait se construire une société plus juste, égalitaire et démocratique.

2. Des valeurs à privilégier

Pour que ces changements puissent se faire, il y a une condition fondamentale : // faut accepter nos différences tout en voulant partager nos domaines respectifs. Il faut que les hommes acceptent non seulement que les femmes accèdent aux divers lieux de travail et exercent des fonctions d’autorité, mais qu’elles le fassent autrement. Les femmes doivent accepter que les hommes prennent leur place à la maison, dans la cuisine ou le soin et l’éducation des enfants, même s’ils se comportent de manière différente. Cette condition est essentielle pour qu’il y ait réellement un partage du pouvoir qui, au service d’une volonté politique commune, permettra l’établissement d’une société plus juste, plus riche et plus humaine.

Les valeurs mises en lumière dans une telle vision sociale, soit le respect des différences, la valeur des relations personnelles, la participation de tous et de chacun et chacune, le sentiment communautaire, la solidarité contribueraient à une redéfinition du pouvoir et à son mode d’exercice ; mais cela en vue d’une action responsable2, a savoir la recherche d’équilibre plutôt que la poursuite unilatérale d’un modèle exclusif, comme l’est, par exemple, le modèle néo-libéral où une certaine conception de l’excellence, du progrès et de la rentabilité ne favorisent qu’un petit nombre, ou au contraire un modèle collectiviste qui nivelle, homogéinise, égalitarise.

3. La vision de croyantes

Cette vision sociale féministe correspond, pour nous qui croyons en « l’Évangile de Jésus-Christ »,3 au projet de création et de salut d’un Dieu Amour qui fait vivre en fondant les différences dans un mouvement de communion. Le Dieu dont témoigne Jésus de Nazareth est essentiellement lié à l’amour de l’autre, des autres, quels qu’ils soient. Les valeurs impliquées dans cet amour couvrent autant le domaine du public que le domaine du privé : respect, compassion, générosité envers les personnes autant que la justice, le rassemblement et le service communautaire.

Mais notre expérience chrétienne, comme femmes, nous permet d’apercevoir l’appropriation et l’interprétation masculines par lesquelles nous a été transmise la Bonne Nouvelle. Nous pouvons découvrir alors l’image du Dieu solitaire (monothéisme), puissant et autoritaire (pouvoirs, hiérarchies, dominations) qui s’est alliée à celle d’un Dieu masculin, d’un Dieu Père. Nous décelons aussi les traces de représentations féminines de la divinité que l’avènement du patriarcat a contribué à effacer en combattant les cultes de fertilité. En affirmant que Dieue est aussi Mère, nous cherchons surtout à dénoncer la sexuation indue de l’Autre et à le signifier comme l’Amour qui nous fait vivre ensemble avec nos différences.

La mutualité et la convivialité seraient alors les valeurs centrales de notre vision chrétienne féministe. Elles sont à la base, des changements que nous réclamons, souhaitons et espérons dans la société ecclésiale ; elles feraient aussi la marque du projet de société québécoise que nous voulons élaborer et réaliser avec d’autres, avec tous les autres, hommes, femmes, anglophones, francophones, autochtones, immigrants, immigrantes, noires, jaunes, rouges, blancs… Et qu’alors l’utopie devienne réalité !

1. Dans une excellente étude socio-anthropologique (La paternité usurpatrice, Montréal, Éd. du Remue-ménage, 1985), Asâdée Azâd montre bien la naissance et les caractéristiques des sociétés patriarcales dont nous sommes encore tributaires

2. cf. Sharon Welch, A Feminist Ethic of Risk, Minneapolis, Fortress Press, 1990.

3. n s’agit de l’événement dans l’histoire auquel la foi se réfère.