No. 14 – LES RELIGIEUSES, DES FEMMES PARMI D’AUTRES FEMMES

Etaient-elles des anges?

Sont-elles des femmes pleinement femmes?

Sont-elles des femmes à libérer?

Se sentent-elles concernées par les luttes féministes d’aujourd’hui?

Autant de questions qui assaillent l’esprit des personnes qui sont à l’extérieur et même à 1’intérieur des communautés de femmes. J’ai lu d’abord avec grand étonnement dans L’autre moitié de 1’Eglise: les femmes.1

Le mouvement féministe ne doit pas considérer comme des adversaires les religieuses prises individuellement, même si elles sont parfois enfermées dans une position hostile. L’adversaire, c’est le pouvoir idéologique et économique représenté par leurs ordres, et non pas ces femmes, plus opprimées encore que les autres femmes.

Même si des recherches ont permis à une historienne de montrer la contribution importante des religieuses au travail des féministes au début du XXe siècle au Québec2 , à une autre d’affirmer que « les religieuses sont des féministes sans le savoir »3, i1 m’apparaît que la participation des religieuses à l’élan actuel des femmes reste encore à voir et à promouvoir.

Comme toutes les femmes, les religieuses ont à découvrir leur identité de femme; c’est une étape importante qui ne peut être escamotée et qui revêt différents aspects au cours des divers âges de la vie. Déployer son autonomie dans le climat de la liberté des enfants de Dieu, à travers un voeu d’obéissance. Réapproprier son corps, savoir respecter ses rythmes, être positive face à sa réalité physique en chair, en os et en sang. Développer ses capacités affectives, sa sensibilité, sa possibilité de communion avec des soeurs et des frères. goûter la libération apportée par le voeu de chasteté. Sentir les oppressions qui pèsent sur les épaules des femmes, savoir partager généreusement de son temps, de ses énergies. de ses avoirs tel que le stimule le voeu de pauvreté.

Plus notre conscience d’être une femme se sera développée, plus nous nous rendrons proches des autres femmes et nous ne pourrons nous empêcher de souffrir avec elles face aux injustices constantes qui abîment nos corps, nos intelligences, nos coeurs, toute notre personne, quoi! Si le cadre institutionnel nous apporte beaucoup de sécurités matérielles, nous rend-il aveugles face à l’oppression économique qui étreint plusieurs de nos soeurs, les femmes. Des rapports nous apprennent que parmi les personnes pauvres au Canada, les femmes s’y retrouvent dans une proportion de trois sur cinq. Si le voeu de chasteté nous a bien protégées d’avilissement physique et moral, nous fait-il oublier toutes nos soeurs qui ont été violées, toutes celles qui vendent leur corps pour le plaisir des hommes, qui s’astreignent à des formes de contraception fort nocives pour assouvir les besoins de l’autre sexe.4 Si des communautés ont une « certaine forme » d’auto-gérance, savons­nous que la plupart des femmes doivent se soumettre presque constamment à  des hommes: leur mari, leur patron, leur curé, leur médecin, leur législateur, leur ministre.

A travers le monde et au Québec, les religieuses ont entrepris un travail de sensibilisation intra-communautaire à la cause des femmes. L’heure est venue de ne pas être indifférentes aux injustices faites aux femmes, de promouvoir l’autonomie, une égalité complète, de nouveaux modèles pour les femmes, d’être en état de solidarité avec nos soeurs. Nous ne pouvons être compétentes dans tous les domaines, mais nous ne pouvons manquer d’être bien informées, de participer autant que possible avec d’autres femmes regroupées pour la réalisation totale de nos dynamismes humains. Les groupes de femmes sont variés et nombreux aujourd’hui; leurs prises de position peuvent nous surprendre, nous bouleverser même. Nous avons sûrement un travail de discernement à  faire, mais il m’apparaît important de savoir se laisser interpeller profondément avant de rejeter ce qui nous apparaît contraire au dessein de Dieu sur sa création. Laissons-nous envahir par la sagesse créatrice, féconde, lumineuse, qui n’a pas peur des audaces!

Les groupes de femmes et les autres femmes se demandent qui nous sommes, sans doute qui nous sommes devenues puisque les communautés religieuses ont modifié plusieurs de leurs aspects extérieurs. Nous cherchons à  vivre un projet de vie chrétienne dans une vie de communauté; c’est ce qui nous spécifie et c’est cette façon d’être différent que nous devons apporter aux autres femmes. Nos expériences de vie, même si nous traversons des périodes de questionnements, s’avèrent des sources d’eau vive, de communion, de joie que nous devons partager.

Rimouski. Monique Dumais.

1 Rita Pierre et Franca Long, L’autre moitié de l’Eglise: les femmes. Paris, Cerf, 1980, p. 81.

2 Marta Danylewyck, travail de recherche sur deux communautés religieuses de Montréal (non publiés).

3 Micheline Dumont-Johnson, « Les communautés religieuses et la condition féminine » Recherches sociographiques XIX, (janvier-avril 1P78), pp. 79-102.

4 Louise Vandelac, « Contraception autoroute ••. pour sexualité bolide ». Le temps fou, février 1981, pp. 35·40.